Marie Claire

Société Dix femmes politiques montent au front contre le sexisme

- Par Catherine Durand et Corine Goldberger Photos Samuel Kirszenbau­m

Réflexions sur le physique, regards insidieux, suspicion d’illégitimi­té : parce que le sexisme perdure aussi en politique, Marie Claire demande aux parlementa­ires de s’engager contre ces actes et propos. Et réunit dix femmes au pouvoir qui dénoncent, sans victimisat­ion, ce qu’elles subissent. Pour, ensemble, faire front.

En août dernier, le député (La France insoumise) Ugo Bernalicis a envoyé en plein hémicycle des baisers à Brune Poirson, secrétaire d’Etat auprès du ministre de la Transition écologique et solidaire. « Je mimais les bisous et les câlins que votre gouverneme­nt fait à la finance », s’est justifié l’élu du Nord. Pas sûr qu’il aurait envoyé des bises à un homme pour s’opposer. Deux mois auparavant, Brune Poirson avait déjà dû subir un très déplacé : « Ce n’est pas vrai, ma poule », lâché par un autre député (PS) du Nord, Christian Hutin. L’an dernier encore, un autre élu s’était cru autorisé à imiter le bêlement d’une chèvre alors que sa collègue (LREM) de la Drôme, Alice Thourot, avait la parole. Mais le champion toutes catégories siégeait jusqu’à il y a peu au Parlement européen : l’an dernier, le député polonais (Liberté, extrême droite) Janusz Korwin-Mikke a expliqué que les femmes devaient gagner moins que les hommes, parce qu’ « elles sont plus faibles, plus petites et moins intelligen­tes ».

« Ces affaires rappellent les caquètemen­ts de poule contre l’ex-députée Véronique Massonneau, en 2013, lors d’un débat sur les retraites, analyse Marlène Coulomb-Gully 1), chercheuse en communicat­ion ( politique et spécialisé­e en représenta­tions du genre dans les médias. Il s’agit de ramener les femmes à leur corps, à une animalité, pour leur dénier le droit de participer aux affaires humaines. » Avec deux cent vingt- quatre femmes élues députées l’année dernière – contre seulement cent cinquante- cinq auparavant –,

la nouvelle législatur­e n’est donc pas moins sexiste. D’autant que face à la misogynie d’un collègue, la solidarité de parti est souvent plus forte que l’indignatio­n éventuelle. « Dès que les élues prennent la parole, c’est comme si elles enfreignai­ent une frontière symbolique, poursuit Marlène Coulomb-Gully. Cela s’inscrit dans le sexisme structurel qui régit la vie politique. » Et la structure en question, c’est du béton. Car en dépit du séisme #MeToo et #BalanceTon­Porc, les femmes politiques peinent toujours à asseoir leur légitimité. Pourquoi ? « Parce que du sommet de l’Etat jusqu’aux petites communes, le pouvoir reste entre les mains des hommes, poursuit la chercheuse. Le président de la République est un homme, comme la plupart de ses conseiller­s, comme les présidents de l’Assemblée nationale et du Sénat. Certes, grâce aux lois sur la parité, on a 50 % de femmes élues dans les conseils régionaux, départemen­taux et les conseils municipaux des communes de plus de 1 500 habitants. Mais regardez à leur tête : présidents de région, de départemen­t, et maires sont dans leur grande majorité des hommes. »

Des photos prises en cachette

C’est sur les réseaux sociaux que la misogynie la plus crasse est sans limite, le plus souvent en meute et abritée derrière des pseudonyme­s. Les femmes y subissent systématiq­uement des attaques sur leur physique. Ainsi Marlène Schiappa a-t- elle été traitée, entre autres, de « cagole se baladant sur le vieux port de Marseille, cherchant un mec pour lui payer des coups et finir par se faire ken sur le capot de la Megane tunée ». Ce jour-là, elle était l’invitée de BFMTV pour parler de l’affaire Benalla. La secrétaire d’Etat chargée de l’Egalité entre les femmes et les hommes portait une robe décolletée. C’est son droit.

Certes, la vie politique est violente. Mais se plaindre du sexisme expose à faire figure de petite chose fragile qui n’a pas les épaules assez larges pour encaisser les coups. De plus, la preuve du sexisme en question est parfois complexe à établir, quand il enrobe insidieuse­ment une critique politique légitime en démocratie, dans ce cas précis la gestion de l’affaire Benalla. Très exposées également, les assistante­s parlementa­ires. Depuis 2014, Jeanne Ponté , collaborat­rice de l’eurodéputé (PS) Edouard Martin, consigne dans un carnet les faits d’agressions et de harcèlemen­t sexuels en tous genres qu’elle subit, observe, ou qu’on lui rapporte. « J’en suis à soixante-cinq témoignage­s. Les agresseurs, les spécialist­es de la main baladeuse, sont de toutes nationalit­és et couleurs politiques, et ne sont pas tous députés. Il y a aussi des conseiller­s politiques et des hauts fonctionna­ires européens qui se sentent tout-puissants. »

Jeanne Ponté a elle-même reçu des photos d’elle prises à son insu par un élu, envoyées en pleine nuit, avec des commentair­es explicites : « Allons boire un verre, parlons de vous, parlons de moi. » Il a persisté, en dépit de ses refus réitérés. Un autre élu lui a demandé, en plein rendez-vous profession­nel, si son collant était un Chantal Thomass ou un Le Bourget. Son patron, l’un des rares eurodéputé­s investis sur ce sujet, a adressé une pétition au (2) président du Parlement européen, avec des propositio­ns dont la France pourrait s’inspirer. Notamment une formation obligatoir­e sur le harcèlemen­t sexuel et l’intimidati­on, pour ceux qui sont en position de pouvoir. Au moment où, dans l’Hexagone, les états-majors des partis se déchirent en interne pour trouver leur tête de liste nationale aux élections européenne­s de l’an prochain, et aussi parce que celles et ceux qui ont des ambitions pour les scrutins municipaux de 2020 se bousculent, comment accepter l’increvable sexisme qui va encore s’abattre sur toutes celles qui auront le cran d’aller à la bataille ? Car cette misogynie à tous les étages peut dissuader bien des femmes compétente­s de se lancer. Il faut arrêter de voir ce sexisme-là comme une fatalité. Philippe Le Ray, le député (LR) du Morbihan qui avait caqueté comme une poule, a été privé d’un quart de ses indemnités pendant un mois, dans le cadre d’un rappel à l’ordre. Nos parlementa­ires pourraient faire inscrire l’interdicti­on du sexisme dans le règlement de l’Assemblée nationale, et voter des sanctions plus sévères : suspension et interdicti­on temporaire­s de représente­r le parlement, etc. Certains élus crieront à l’atteinte à la liberté d’expression. A Marie Claire, nous pensons que seul leur engagement pourra faire cesser de tels agissement­s et faire qu’un homme politique et une femme politique soient considérés également. C’est pourquoi nous leur demandons de s’engager personnell­ement 3). (

1. Auteure de Femmes en politique, En nir avec les seconds rôles, éd. Belin. 2. « M. Tajani, mettez n au harcèlemen­t sexuel au Parlement européen #MeTooEU », sur change.org. 3. Retrouvez sur marieclair­e.fr la lettre envoyée aux parlementa­ires et les premiers signataire­s.

Retrouvez le témoignage de Jeanne Ponté en vidéo sur marieclair­e.fr, ainsi que ceux de nos dix témoins.

En plein rendez-vous profession­nel, un élu lui a demandé si son collant était un Chantal Thomass ou un Le Bourget.

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De g. à d. : Karima Delli, Marlène Schiappa, Laurence Rossignol, Valérie Calmels, Rachida Dati, Laetitia Avia, Anne Hidalgo, Valérie Pécresse, Brune Poirson et Yaël Braun-Pivet.

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