Marie Claire

Entretien Christine Angot : « Je ne cherche jamais à blesser »

Elle est libre. D’aimer, de haïr ou de se faire détester. De dire ce qu’elle pense, encore et toujours. Elle est libre d’être elle-même et de le rester. Femme de mots, de conviction­s, parfois intolérant­e et blessante, la romancière publie son nouveau livr

- Par Fabrice Gaignault Photo Jules Faure

Je l’avais croisée un mois plus tôt, alors que nous avions déjà prévu de réaliser une interview avec elle. Christine Angot m’avait dit : « Vous ne m’avez pas interviewé­e depuis 1999. Presque vingt ans. C’était à l’Hôtel des Saints-Pères. » Prodigieus­e mémoire. Christine Angot sort son vingt- deuxième livre. Un triangle amoureux. Une femme entre deux hommes, celui qui partage sa vie et celui qui ressurgit au point de tout chambouler. Il n’est pas difficile de sentir que ses personnage­s ressemblen­t à l’ancien (Doc Gynéco) et à l’actuel (Charly). Chez Christine Angot, toutes ressemblan­ces avec, etc., n’est pas forcément fortuite. Quelques jours avant l’entretien, les filles du magazine étaient surprises de ne pas me voir transpirer. Qui a peur de Christine Angot ? Imprévisib­le, colérique, violente. Certes. Mais aussi entière, intense, différente. Une parole de braise se consumant en flammèches qui réchauffen­t ou brûlent, selon la direction que prend chez elle le vent. Ce jour-là, dans l’immense pièce vide d’un resto bling qui ne lui ressemble pas, le vent souffle dans la bonne direction. Rendez-vous dans vingt ans ?

—Marie Claire : Peut-on dire que votre nouveau livre est roman d’amours plurielles ? Christine Angot : Oui, sans doute. En tout cas c’est un livre où les personnage­s sont bousculés à cause de l’amour. Ils sont dans une vie de couple plutôt paisible qui leur convient. Et tout à coup il y a une perturbati­on, l’amour, qui repart avec un autre. Ce qui va très bien pourrait ne plus exister.

—L’amour d’hier ressurgit au détour d’une rue…

Oui, un amour du passé vient jeter un doute sur un amour présent. Cet équilibre, cette confiance à laquelle on aspire tous, la recherche de l’amour heureux, de l’amour qui dure nous occupe à chaque instant. Mais il y a quelque chose de triste dans l’amour qui dure : cette réussite contient la mort. Puisqu’on va jusqu’au bout, jusqu’à la fin. Là, avec l’irruption de Vincent, l’amour d’avant, le désordre s’installe et c’est reparti… le coeur qui bat, l’impression de vivre la peur, le téléphone au pied du lit.

—Pourriez-vous aimer deux hommes en même temps, comme c’est le cas dans le livre ?

Au même moment, je ne sais pas. Il n’y a pas que la question d’aimer deux hommes dans le livre ; il y a aussi : est- ce qu’elle est dans un piège, un instrument dans leur amitié, dans leur rivalité ? On parle beaucoup de la domination des hommes sur les femmes, on parle moins de celle des hommes entre eux. Les hommes s’évaluent entre eux, déjà avec leur père.

—Vincent c’est, bien sûr, Doc Gynéco, et Alex, Charly, votre compagnon actuel.

Pour le livre ça n’a aucune importance. Mais j’ai une vie heureuseme­nt pour moi. Les gens croient que la presse people leur apprend des choses, non, c’est juste des images. Et ce n’est pas la question. Doc Gynéco n’est pas Vincent. Vincent, c’est Vincent. Ça n’a rien à voir. Qu’un roman s’écrive par la confrontat­ion au réel, c’est la base de la littératur­e.

—Dans une rupture, l’horizon se déplace avec l’irruption d’une nouvelle rencontre.

Oui, rencontrer quelqu’un, c’est échapper à sa vie.

—Vous écrivez aussi : « C’est triste de ne pas avoir réussi à vivre avec la personne qu’on aime. »

Oui, c’est triste, mais la vérité d’une personne ne cesse pas d’avancer. Le sentiment n’est pas un bloc figé. Il n’y a pas plus vivant que le sentiment et l’envie d’y échapper. On ne peut pas s’y installer tout le temps. Il faut être libre. Ecrire, c’est n’aimer personne de réel pendant qu’on écrit. Ecrire, c’est aimer écrire.

—Vous rempilez chez Ruquier. Vous comprenez que des gens vous trouvent parfois très agressive ?

Ils peuvent sans doute être dérangés, oui, je le comprends, mais je ne cherche jamais à blesser. Je ne m’arroge jamais le droit de juger.

—Votre clash avec Sandrine Rousseau, c’était quand même violent.

Ça n’avait rien à voir avec la violence. C’était un profond désaccord. Elle est invitée pour un livre où il est question d’agression sexuelle. Elle cite Une semaine de vacances dans son livre, qu’elle intègre à un discours militant. Je ne dis rien. Puis, quand elle déclare qu’il faut « former des gens pour recueillir la parole » des victimes, je me suis dit : « Je ne peux pas entendre ça. » Il se trouve que le viol, je l’ai connu de manière radicale. Radicale. Je supporte mal les discours de ceux qui arrivent avec des solutions toutes trouvées.

—Un mot de l’autre peut avoir une fonction de détonateur si vous ne le trouvez pas à sa place.

Les gens ont parfois une manière de placer les mots qui en dit long. J’ai toujours eu l’idée de l’importance du mot.

—On entend : « Angot, la fille de chez Ruquier, elle écrit aussi des livres. » Vous le prenez comment ? Bien. Les gens ne sont pas tous obligés de s’intéresser à la littératur­e. C’est un autre lien qui passe, avec la télé. Quand j’ai fait une tournée dans les université­s américaine­s, pour L’inceste, à Yale, à Harvard, partout, on m’a parlé de cette émission. C’est une émission populaire de débat, ce n’est pas si fréquent.

—Quand Eric Naulleau dit de vous…

Alors là, non, ça ne m’intéresse pas. Je ne veux pas entendre ce qu’il raconte. Ça n’existe pas Naulleau.

—Lisez-vous ce qu’on écrit sur vous ?

Très peu. Je fais très attention à ma santé.

—Vous aviez rêvé, très jeune, d’être écrivain ?

Pas du tout. L’écriture m’est tombée dessus, comme ça. Un jour, j’ai écrit. A 22 ou 23 ans.

—Que faisiez-vous à cette époque ?

Des études de droit à Reims. J’ai envoyé trois manuscrits à tous les éditeurs de Paris, qui me sont revenus. Ça a duré cinq ans. Le quatrième a été publié.

—Vous n’avez jamais songé arrêter d’écrire ?

Le fait de tenir, de s’accrocher, indique que vous allez y arriver. Trois livres plus tard, j’ai été virée de chez Gallimard. J’ai envoyé le suivant à quatre éditeurs qui l’ont refusé. Puis j’ai rencontré Jean-Marc Roberts, et voilà. Il y a eu dix ans de silence avant L’inceste.

—Comment viviez-vous ? Vous aviez un boulot ?

Non, parce que le père de ma fille avec lequel je suis restée dix-sept ans m’a permis d’écrire sans avoir à travailler. Il n’était pas spécialeme­nt riche, il était prof, mais il y croyait. Je ne pourrai jamais oublier ce qu’il a fait pour moi.

—Savez-vous si votre père s’intéressai­t à vos livres ?

Il a été très fier en apprenant que j’allais publier mon premier livre. Il l’a annoncé dans son environnem­ent profession­nel, ce qui revenait à enfin révéler qu’il avait une fille. J’avais quand même 30 ans. Mais quand il a lu le livre, là il a coupé. Il est mort deux mois après la sortie de L’inceste. Deux mois.

—C’est lié pour vous ?

Je n’en sais rien, je constate.

(*) Un tournant de la vie, éd. Flammarion. Et aussi : le 7 novembre, sortie d’Un amour

impossible, le film de Catherine Corsini, adapté du roman éponyme de Christine Angot.

“Mon père a révélé qu’il avait une fille à son environnem­ent profession­nel quand j’ai eu 30 ans.”

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