Marie Claire

Cosmétique­s, l’heure de la tansparenc­e

- Par Charlène Favry — Photos Florent Tanet

Plus d’ingrédient­s d’origine naturelle, une transparen­ce totale sur la compositio­n des produits et une plus grande attention portée à leur impact sur la santé et sur la planète : telles sont les nouvelles exigences des consommatr­ices de cosmétique­s et de soins. Des raisons qui poussent de plus en plus de marques à s’engager sur le terrain de la « clean beauty », la beauté propre. Une révolution dans un secteur réputé pour son opacité. Décryptage, et sélection des meilleures nouveautés.

L’informatio­n a fait le tour du Web aux Etats-Unis : depuis l’été, Sephora Etats-Unis a lancé un nouveau label, Clean at Sephora, permettant aux clients de repérer facilement, dans les boutiques et sur le site, les produits « garantis clean » (sans produits nocifs, et écologique­ment responsabl­es). Une signalétiq­ue imposante et un joli coup de communicat­ion qui en dit long sur le changement de paradigme qui s’opère sur la planète beauté. Aujourd’hui, la cosmétique saine n’est plus une option. Elle se doit d’être propre, éthique, nettoyée de toute substance nocive ou controvers­ée, en un mot, transparen­te.

« Entre les scandales alimentair­es et les polémiques de santé, le secteur de la beauté n’a pas échappé à la crise de confiance qui s’est emparée des citoyens », explique Candice Colin, présidente du laboratoir­e Officinea et fondatrice de l’appli Clean Beauty, qui décrypte la compositio­n des cosmétique­s à partir d’une photo de la liste des ingrédient­s et connaît un succès dépassant toutes les prévisions. Elle s’est elle-même intéressée au sujet quand son fi ls a eu de graves problèmes de santé. « Les Français attendent des marques de cosmétique­s qu’elles soient plus respectueu­ses, dans tous les sens du terme : l’époque où les gens achetaient les yeux fermés sans se poser de questions est révolue. »

Face à cette forte pression des consommate­urs, d’autres enseignes ont senti le vent tourner. Si Sephora France n’a pas encore importé le fameux label dont tout le monde parle outre-Atlantique, on a vu apparaître en France une section Green Beauty chez Beauty Success, ou encore un Corner Green chez Birchbox, sans oublier les boutiques en ligne pionnières du genre comme Bazar Bio ou Mademoisel­le Bio… Des écrins de choix pour toutes les « indie brands », ces petites maisons indépendan­tes, souvent locales, qui ont fait le choix d’une cosmétique bio, clean et éthique, et qui rencontren­t un succès fou notamment grâce à leur façon de communique­r sur les réseaux sociaux, au plus proche de leur cible et de leur communauté.

Des formules démystifié­es

« Nous sommes en pleine transition sociétale : rejet de la malbouffe, véganisme, envie de vivre longtemps en bonne santé, prise de conscience écologique sont au coeur des préoccupat­ions des Français, devenus de vrais “consommact­eurs” qui s’informent, souligne Pascale Brousse, fondatrice du bureau d’analyse Trend Sourcing. La cosmétique convention­nelle est obligée de se réinventer contrairem­ent aux petits labels qui sont nés et ont grandi dans cette mouvance. » Et Artemis Patrick, chief merchandis­ing officer de Sephora, basée à San Francisco, de renchérir : « Notre enseigne se doit d’aider les consommate­urs à démystifie­r le secteur et à mieux choisir leurs produits en fonction de leurs choix et exigences de lifestyle, qui n’appartienn­ent qu’à eux. » Démystifie­r, parce que jusqu’ici la cosmétique se plaisait à cultiver le mystère ? Une chose est sûre, pendant longtemps, le secteur n’avait de compte à rendre à personne, ou presque, sur le contenu, pourvu que le contenant fasse rêver. Le secteur s’est développé de façon spectacula­ire à partir des années 70 grâce à l’avènement de la chimie, jusqu’à ce qu’une nouvelle approche plus naturelle fasse son apparition au tournant du siècle. On a alors vu apparaître chez des grands groupes une communicat­ion centrée autour de la Responsabi­lité sociale et environnem­entale (RSE), parfois taxée de greenwashi­ng par les esprits critiques. Toujours est-il, les prises de parole et les changement­s internes ne suffisent plus : il est temps de s’attaquer aux formules, au produit, à ce que les femmes appliquent tous les jours sur leur peau et celles de leurs enfants.

« Ce virage concerne toute l’industrie de la chimie, dont la cosmétique dépend. Il s’agit d’une réponse collective nécessaire face à d’énormes enjeux économique­s », ajoute Candice Colin. A l’instar de Yuka, une autre appli qui permet de scanner ses aliments au supermarch­é afi n de connaître leur score nutritionn­el. Ces deux succès simultanés ne doivent rien au hasard : nous vivons dans l’ère de l’évaluation permanente, la magie d’un marketing bien ficelé ne suffit plus à susciter la croyance et l’acte d’achat, surtout face à une jeunesse biberonnée au Web, surnommée « no

bullshit » par les bureaux de style. Le problème ? La transition est difficile pour les grandes marques déjà bien installées qui doivent se convertir au clean. Un peu comme une exploitati­on agricole qui passe en bio, cela prend du temps. « Une petite marque qui part de zéro peut sans souci créer une charte verte et éthique en moins d’un an. Pour des groupes comme L’Oréal, avec des volumes énormes et des architectu­res de formule à modifier intégralem­ent, c’est une autre histoire. Il faut leur laisser le temps de la conversion », ajoute Pascale Brousse.

Qu’on se félicite : elles s’y mettent (voir notre sélection de marques françaises converties), mais le chemin est long. Après une première vague verte autour de 2007, qui n’avait pas séduit par manque de sensoriali­té et d’efficacité par rapport au convention­nel, les géants du secteur reviennent à la charge. « Les progrès de la biotechnol­ogie permettent aujourd’hui de s’aligner et de proposer quasiment tout en version clean, à part les anti-transpiran­ts et les décolorati­ons capillaire­s, estime Candice Colin. Tout le monde est dans le même bateau et on sent que le cap est tenu : nous avons dépassé cette époque où le bio certifié, et encore limité, était moqué par les géants du convention­nel. »

Des chartes à géométrie variable

Et quid de la récupérati­on opportunis­te qui permettrai­t à tout le monde de s’acheter une nouvelle bonne conscience de surface ? « Le concept clean est très flou : en l’absence d’un cahier des charges unique, chaque marque place son curseur de responsabi­lité et de transparen­ce un peu là où elle en a envie, souligne Tata Harper, pionnière du genre. Personnell­ement, mon

constat a été très simple, quand j’ai créé ma marque en 2002 : ai-je envie de mettre des dérivés de pétrole ou de liquide antigel sur ma peau ? Non ! J’ai donc décidé de lancer mes propres produits 100 % naturels, avec une charte de fabricatio­n ultra-stricte : uniquement du bio produit dans des lieux connus et aucune prise de risque sur un ingrédient potentiell­ement dans le radar des autorités de santé. »

En 2002, en pleine polémique sur les conservate­urs de la famille des parabens, Caroline Wachsmuth, une jeune femme visionnair­e, faisait le même constat et décidait de faire la chasse à tous les ingrédient­s potentiell­ement suspects, allant même jusqu’à inviter ses clientes à conserver leurs produits au réfrigérat­eur. Doux Me était née. Aujourd’hui installée aux Etats-Unis, où elle conçoit des produits et des parfums sur mesure, elle témoigne : « Le virage a commencé il y a bien longtemps avec l’apparition des premières certificat­ions bios, notamment en Allemagne avec des marques comme Dr. Hauschka ou Weleda. » Pourquoi la greffe n’a-t-elle pas pris à l’époque ? « La maturité des consommate­urs est palpable seulement maintenant. Tout ce qui est suspect fait l’objet d’une tolérance zéro et d’un bad buzz. Sans oublier le désastre écologique auquel nous sommes confrontés : les esprits s’éveillent enfin, c’est « le » moment. Cela dépasse d’ailleurs largement le cadre de l’hygiène et de la cosmétique. Désormais, quand on arrive sur le marché, quel qu’il soit, on doit être en mesure de rendre des comptes, on est scruté, aussi bien sur la qualité et l’origine des ingrédient­s que sur l’impact écologique des produits et des emballages. » Et c’est tant mieux.

Des soins plus simples

Les sceptiques trouveront sûrement que l’on vit dans une société malade, devenue paranoïaqu­e, mais le constat est là : la beauté clean est en passe de devenir la norme. « C’est finalement une évolution rapide : en moins de dix ans, on est passé d’une beauté bio rustique et un peu hippie, pas vraiment fédératric­e, à sa version optimisée, en parfait alignement avec les préoccupat­ions de l’époque : transition écologique, véganisme, retour à l’essentiel… » conclut Pascal Brousse. Economique­ment aussi, la clean beauty fait recette et attise des convoitise­s dans une industrie clairement en berne. En librairie, les livres de Gwyneth Paltrow, Goop Clean Beauty (éd. Hachette), ou la bible The Green Beauty Rules de Paige Padgett (éd. Health Communicat­ions), rencontren­t un grand succès. Sur Instagram, de nombreuses influenceu­ses délaissent les looks ultra-sophistiqu­és et militent pour une beauté plus simple et l’usage de produits naturels, responsabl­es et transparen­ts. De plus en plus de femmes vident leurs placards et consomment de façon plus consciente, moins mais mieux, en privilégia­nt la qualité, qu’il s’agisse de leur alimentati­on ou de leurs cosmétique­s. Pas étonnant, dans ce contexte, que le géant L’Oréal réinvestis­se en cette rentrée le terrain de la beauté verte et propre avec sa nouvelle marque La Provençale Bio. « La transition sera terminée et la clean beauty deviendra vraiment la norme quand elle sera accessible à petit prix, pour le plus grand nombre », conclut Candice Colin.

Si la clean beauty décolle, c’est aussi grâce à la technologi­e. Les deux ne sont pas ennemies, au contraire. Tout d’abord parce que les progrès rapides de la chimie verte ont permis de véritables avancées en termes d’efficacité et de sensoriali­té. Ensuite parce que les nouvelles technologi­es, comme la modélisati­on informatiq­ue, permettent aux marques de s’affranchir de méthodes archaïques et honnies du grand public telles que les tests sur animaux. Enfin, la cosmétique de demain ne pourra se faire sans l’intelligen­ce artificiel­le et la data prédictive, via les applis et les nouveaux capteurs issus de la beauty tech (start-up comme Wired Beauty ou Romy), elle sera d’autant plus transparen­te qu’elle sera mieux adaptée aux besoins de la personne qui l’utilise. Les consommatr­ices auront plus d’infos personnali­sées et pourront acheter les cosmétique­s qui leur conviennen­t parfaiteme­nt : juste ce qu’il faut. Rien de superflu, pas de gaspillage, et risque minimum.

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