Marie Claire

Amanda Kernell, une Samie en or

- Par Catherine Durand

Originaire du nord de la Suède, la réalisatri­ce rend hommage aux femmes de sa famille samie, dignes éleveuses de rennes, avec un beau film d'apprentiss­age. Doublé d'une fine réflexion sur le poids des origines. Rencontre.

—Marie Claire : Votre film est une exception. Amanda Kernell :

Oui, à part deux fi lms réalisés en Norvège et quelques rôles de Samis (Lapons, ndlr) dans des production­s… Et c’est la première fois qu’un fi lm est tourné en langue samie.

—Cette histoire est-elle inspirée de celle de votre famille ?

Je suis d’Umeå, au nord-est de la Suède, mon père est sami, ma mère suédoise. J’ai fait des recherches et interviewé tous les anciens, ceux qui sont restés avec les éleveurs de rennes et ceux qui ont tout laissé. J’ai longtemps cru que c’était par honte, avant de comprendre que c’était une question de dignité. Comment la conserver ? Les femmes âgées de ma famille sont comme l’écorce de bouleau, elles plient mais ne se brisent pas. Mon fi lm leur est une déclaratio­n d’amour. Mon héroïne, Ellen Marja, devait être comme elles, digne, forte, intègre, puissante, et parler le sami du Sud, pratiqué par cinq cents personnes. On m’a dit : « Si tu cherches une fille forte comme ça, elle vit en Norvège et s’appelle Lene Cecilia Sparrok. » C’était vrai, c’était elle.

—Votre héroïne est humiliée par des chercheurs qui prennent ses mesures anthropomé­triques. Ce passé raciste de la Suède est peu connu.

La Suède a créé le premier institut de biologie raciale au monde, en 1922. Les nazis s’en sont inspirés. On apprend l’histoire coloniale d’autres pays, mais pas la nôtre. Comme dans mon fi lm, des milliers d’enfants samis ont été mesurés et photograph­iés nus. Les Suédois ne connaissen­t ni la part obscure de notre histoire, ni notre culture contempora­ine.

—Elle-Marja refuse de devenir éleveuse, comme le souhaite sa famille, et refuse d’être traitée par les Suédois comme un individu de seconde zone. Je trouvais drôle de voir la communauté suédoise à travers les yeux de cette étrangère, seule au milieu de toutes ces fi lles grandes et blondes. Le fi lm parle du passage d’une adolescent­e à l’âge adulte, de son désir d’avoir un autre corps, d’être quelqu’un d’autre, de ses choix radicaux. De ce qu’on est prêt à abandonner de soimême, de ses origines, pour s’intégrer. Je voulais explorer le thème de l’assimilati­on, qui aujourd’hui ne concerne pas que les Samis. Si tu as tout quitté pour une autre vie, c’est où chez toi ? Je vis au Danemark depuis neuf ans, ce ne sera jamais chez moi.

—En Suède, des quotas ont été adoptés afin que d’ici trois ans 50 % des subvention­s soient accordés à des femmes dans le monde du cinéma. C’est une politique efficace ?

Oui, de plus en plus de fi lms sont réalisés par des femmes. Notre regard est important. Depuis onze ans, je suis une privilégié­e, je fais des fi lms grâce aux fonds publics. J’enseigne aussi le cinéma à l’Université samie de Kautokeino, en Norvège. Dans cinq ou dix ans, de jeunes réalisatri­ces samies apporteron­t un nouveau souffle au cinéma suédois.

(*) Sami, une jeunesse en Laponie, avec Lene Cecilia Sparrok, Hanna Alström, Mia Erika Sparrok, sortie le 14 novembre.

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Amanda Kernell : « Je voulais que mon héroïne soit comme les femmes âgées de ma famille, digne, forte, intègre, puissante. »

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