Marie Claire

Hapsatou, le prénom qui me plaît

Un regard américain sur la France : la chronique de Lauren Collins, correspond­ante du New Yorker à Paris.

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Cela dure depuis des siècles : les prénoms français font l’objet de polémiques. Les révolution­naires avaient en leurs temps encouragé leurs adeptes à se débaptiser pour adopter des identités séculières. En 1803, Napoléon Ier a ensuite décrété qu’il fallait au contraire que les prénoms correspond­ent à ceux des saints catholique­s. Au fil des années, certains prénoms issus de l’Antiquité, de la mythologie et des langues étrangères ont été autorisés, et cette réglementa­tion a tenu bon jusqu’en 1993. Les Français ont alors pu nommer leur progénitur­e comme ils le souhaitaie­nt, tant que ce prénom n’était pas « contraire à l’intérêt de l’enfant ». Des parents enjoués avaient ainsi proposé Joyeux et Pastriste ; ils ont été recalés. Alors que viennent raconter aujourd’hui les propos insupporta­bles d’Eric Zemmour adressés à Hapsatou Sy ? Que dit-il quand il taxe son prénom d’« insulte à la France » ? Je n’entends là que la décrépitud­e de sa pensée. Aurait-il parlé de cette manière à Giulia Sarkozy (fille de l’ancien Président) ou à moi, Lauren Collins ? Ce n’est pas qu’il souhaite une France sans le prénom Hapsatou mais qu’il en souhaite une sans les Hapsatou. Si l’on observe la liste des prénoms les plus prisés cette année, dans La cote Larousse des prénoms 2019, ils sont souvent – pour moitié chez les garçons et pour un tiers chez les filles – issus de la diversité. Aujourd’hui en France, on trouve plus de petites Inayas que de Margaux, moins de petits Jean que de Kaïs. En 2017, le prénom Eric – qui n’arriva d’Europe du Nord en France qu’au début du XXe siècle – n’a été attribué qu’à 101 garçons dans tout le pays, contre 2 585 Enzo et 1 195 Lenny. Ce n’est pas qu’Eric ne soit plus un joli prénom, c’est que les parents se sentent plus libres, avec la joie vivifiante qui convient à l’acte de donner la vie. Mes propres enfants s’appellent Claudia et Louis, des prénoms sans aucune grande significat­ion, sauf qu’on les aime. Il est peu probable que nous en ayons un troisième, mais si c’était le cas il faudrait prendre en considérat­ion Hapsatou, le type de prénom qui aide à construire la France variée et accueillan­te où je souhaite vivre.

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