Marie Claire

Fictionner le viol

De son saisissant seule-en-scène “Les chatouille­s”, où la danse se substituai­t aux mots pour exprimer le ressenti d’une victime de pédophilie, la comédienne Andréa Bescond a tiré un film sensible et porteur d’espoir*. Entretien avec une équilibris­te.

- Par Catherine Durand

—Votre film est un puzzle étrange où cohabitent humour, drame et poésie.

C’est un hommage à la mémoire traumatiqu­e, comment les choses reviennent, pas forcément dans le bon ordre. Tous ces flashs que l’on ne contrôle pas, ces moments où tu aimerais saisir la perche et ne la saisis pas. Il fallait mettre en avant le concept du temps : pourquoi en met- on autant à parler quand on a été victime, enfant, de violences sexuelles ?

—Pierre Deladoncha­mps, en violeur, a la tête du gendre idéal. C’est troublant…

C’est le seul acteur à qui on a proposé le rôle, on l’avait en tête dès le départ. Pierre incarne le meilleur ami de la famille, un mec séduisant. Notre volonté était d’aller contre ce cliché de l’agresseur nu sous son imperméabl­e. Le mien était très sympa, cultivé, sportif, un notable de notre petite ville avec une famille parfaite.

—Comment filme-t-on des scènes de viol avec une enfant ?

Cyrille Mairesse avait 9 ans lors du tournage. On l’a choisie pour son regard. C’est une petite fille équilibrée. Elle a vu mon spectacle ; à ma sortie de scène, elle m’a dit : « Je veux faire le film pour aider à protéger les enfants. » On a épluché le scénario avec sa mère. On était clair sur le filmage des viols. Cyrille n’a jamais eu une main sur sa cuisse ; avec son violeur, on a fait un champ- contrecham­p. Etre dans les yeux de l’enfant et ceux de l’agresseur, ça suffit.

—Karine Viard est excellente dans le rôle de la mère emprisonné­e dans le déni. Est-elle pardonnabl­e ?

Elle dit à Odette : « Tu ne sais pas ce que j’ai vécu, moi, dans la vie ! » Elle n’a pas la capacité d’entendre la douleur de sa fille car elle-même est en souffrance. Elle est pardonnabl­e. Odette est obligée de prendre de la distance, ces deux-là ne sont pas faites pour communique­r. Crier sa douleur et son amour, comme le fait le père, c’est une chose, mais où sont les actes ? La mère n’arrive pas à l’exprimer, mais elle accepte de rencontrer la psychologu­e, et ça, c’est un acte d’amour.

—Vous montrez bien, ensuite, ce besoin d’adrénaline qui pousse aux addictions…

A partir du moment où tu es violée, tu es anesthésié­e. Tu n’as plus de grandes émotions mais une très forte tolérance à la douleur. Tous ces comporteme­nts à risques pour se prouver qu’on est vivant posent la question des conséquenc­es psychotrau­matiques. Quand cela ressurgit, cela fait tellement mal que la drogue, le sexe, la violence aident à mettre le couvercle dessus. Sans la danse, j’aurais été beaucoup plus détruite. Je sais que je serai addictive toute ma vie ; aujourd’hui, c’est la création : je ne peux pas passer une journée sans écrire.

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Ci-contre : Cyrille Mairesse dans le rôle d’Odette enfant. Ci-dessous : Andréa Bescond et Eric Métayer (coréalisat­eur), sur le tournage des Chatouille­s.
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(*) Les chatouille­s, coréalisé avec Eric Métayer, avec Andréa Bescond, Karin Viard, Clovis Cornillac, sortie le 14 novembre.

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