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Pendant plus de quarante ans, Dominique Rolin et Philippe Sollers, son cadet de vingt-trois ans, se sont aimés en marge de leurs vies publiques respectives. Et beaucoup écrit. L’écrivain revient avec nous sur cette correspondance* et le pacte intime qui l
« Il me reste tout d’elle »
Dans son bureau, aux éditions Gallimard, l’auteur de Femmes nous parle avec une émotion contenue du second tome de cette correspondance. Constitué d’un florilège de plus de deux cents lettres que lui avait adressées Dominique Rolin, disparue il y a six ans. Une parution succédant à celle de ses propres lettres adressées à l’auteure de Trente ans d’amour fou (le leur, qui dura en fait jusqu’à la mort de Dominique). Que lui reste-t-il d’elle, à part ses lettres ? « Tout. Son extraordinaire beauté ( jusqu’à la fin), son rire, son talent. Elle est tout à fait vivante. »
« Les gens pensent inceste »
Quand ils se sont rencontrés, en 1958 – Philippe Sollers, alors jeune écrivain promis à un brillant avenir, Dominique Rolin, auteure confirmée avec Le souffle ( prix Femina 1952) –, la société française n’était pas prête à accepter un tel écart d’âge dans ce sens. « Elle ne l’est toujours pas. Les gens pensent inceste ! Alors, parce que c’est révolutionnaire, il faut s’organiser. D’où la clandestinité. »
« L’axiome »
« Arrêtez de me parler de couple », nous répète Philippe Sollers quand nous persistons à employer ce terme : « C’était un partenariat. » Deux amants libres et indépendants. Liés par un pacte, qu’ils appelleront « l’axiome » ou « le plan » : un lien mystérieux, indissoluble, entre amour, écriture, expérience intérieure et travail.
« Jusqu’à la fin »
Choc, quand Philippe Sollers se marie avec la psychanalyste et philosophe Julia Kristeva, en 1967. Mais Dominique Rolin tient le coup, et ses lettres nous montrent le degré d’amour et d’humanité dont elle a su faire preuve dans ces circonstances pour s’y adapter. Sollers aussi, d’ailleurs, qui n’a pas brisé leur pacte alors, ni jamais. « Ne pas s’expliquer, ne pas se plaindre, considérer nos relations avec d’autres comme totalement étanches. Et continuer à s’aimer jusqu’à la fin. » Le mérite de Kristeva n’est pas mince non plus. Car pour chacun la jalousie rôde, forcément. Mais bien maîtrisée, la plupart du temps.
Des mots plus justes que les nôtres
Il est très troublant de lire par- dessus l’épaule de ces deux intelligences en action en train de s’écrire, de ces deux coeurs battant sur le papier, exceptionnels mais néanmoins semblables à ceux du commun des mortels… Car, en amour, ils partagent avec nous coups de chaud ou de blues, élans mentaux ou charnels. Leur talent leur permet de trouver des mots plus justes que les nôtres pour transmettre ce pur caviar des relations humaines, l’émotion.
(*) Lettres à Dominique Rolin de Philippe Sollers, éd. Gallimard, 21 €, et aussi Lettres à Philippe Sollers de Dominique Rolin, éd. Gallimard, 24 €.