Marie Claire

La photo d’enfance Joann Sfar

L’auteur de bandes dessinées, illustrate­ur et romancier Joann Sfar se souvient de cette époque où, dans l’appartemen­t familial, sa personnali­té s’affirmait à la lumière du cap de Nice.

- Par Marina Rozenman

« J’ai 2 ou 3 ans. C’est ou ma mère ou mon père qui a pris la photo. Je pose dans leur salle de bain. Nous vivons dans un immeuble que mon père a fait construire au cap de Nice. Dans un appartemen­t dans lequel je suis né, et où je resterai jusqu’à mes 22 ans. Il a la spécificit­é de donner complèteme­nt sur la mer. Parfois, par temps clair, on voit même la Corse. C’est un peu un cadeau empoisonné parce qu’après, où que vous soyiez, il vous manque l’eau et la lumière. Ma maman était chanteuse et pas mal show-biz, donc faire faire ce T-shirt avec mon prénom dessus est tout à fait le genre d’idée qui a dû l’amuser… “Joann”, c’est elle qui l’a inventé. Elle a enlevé le h du Johann allemand. J’y tiens parce qu’elle l’a choisi, mais aussi parce que je me suis toujours dit que ça faisait un peu tahitien ou maori, le o et le a côte à côte. Maintenant, pourquoi cette image ? Parce que c’est le regard d’un enfant qui ne sait pas que dans quelques mois, il va perdre sa mère. Mon père imposera à toute la famille de me faire croire, jusqu’à mes 6 ans, qu’elle est partie en voyage. Lui, c’était un type plein de paradoxes : il avait le bateau, la voiture, il jouait du piano, toutes les nanas étaient

“C’est le regard d’un enfant qui ne sait pas que dans quelques mois, il va perdre sa mère.”

folles de lui… et en même temps c’était un monsieur qui, jusqu’à l’âge de 35 ans, avait dormi sur le canapé, chez sa mère. Pour moi, bien sûr, il était le plus fort et il savait tout faire. Sauf dessiner ! Au point que lorsqu’il dessinait un chat je fondais en larmes de rage, tellement j’avais l’impression qu’il se moquait de moi. Lorsque j’entends raconter que les orphelins sont plus forts que les autres, je suis scandalisé. Mais ce qui est sûr, c’est que quand vous avez été aimé et construit pendant les premiers mois de votre vie, on ne peut plus vous détruire. Quand ma mère est morte, j’étais déjà construit. C’est tout. Elle m’a construit. Et quand on me dit que je suis prétentieu­x, eh bien je suis prétentieu­x de tout l’amour que j’ai reçu. »

Derniers ouvrages parus : Modèle vivant, éd. Albin Michel, et Le chat du rabbin 8, Petits paniers aux amandes, éd. Dargaud.

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Joann Sfar, au début des années 70, dans l’appartemen­t où il est né.

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