Marie Claire

Léa Seydoux, la belle épine

- Par Catherine Castro — Photos Nick Hudson Réalisatio­n Anne-Sophie Thomas

La comédienne, image de Louis Vuitton, s’affiche dans « Kursk »* en épouse obstinée d’un sous-marinier russe. Face à nous, elle est un ange du désir et, entière, crue, ne peut s’empêcher de réaffronte­r la polémique sur les sujets qui, il y a peu, ont fait naître le malentendu. L’« école de la vie », Harvey Weinstein… elle balance, sans filtre, au point de le regretter ensuite et de nous demander de repasser ses mots au tamis de ses remords. Une interview sincère exige-t-elle plusieurs prises comme au cinéma ?

Neuf heures un lundi matin, dans la salle vide d’un studio photo. Elle bâille. La parole s’écoule avec lenteur, le silence se faufile dès qu’il le peut. Elle cherche les mots, les trouve ou pas, elle s’en moque, mais non en fait, puis si. Dans cette pièce aussi sinistre qu’une salle d’interrogat­oire chez les flics, l’interview a le son de dialogues de Marguerite Duras. Et c’est bien. Même pas très réveillée, Léa Seydoux est affolante de beauté. Le genre de fille qui même quand elle pleure reste belle. Présente-absente, elle revient et, têtue, revient encore sur le poids des origines, ce nom qui l’encombre, qui la prive d’une légitimité qu’elle s’entête à défendre. Deux mois plus tard, nous revoyons l’actrice dans un café parisien des Champs-Elysées à 7 heures du matin, maquillée, c’est rare. Elle a tenu à relire l’interview, et veut corriger : « Pour vous, c’est une interview d’actrice de plus, moi, tout ce que je dis dans la presse va me coller aux basques toute la vie. » Rencontre.

— Marie Claire : Quand vous avez rencontré le réalisateu­r Thomas Vinterberg pour le rôle dans « Kursk », vous étiez enceinte. Et votre personnage est une femme enceinte. Vous avez tourné pendant votre grossesse ?

Léa Seydoux : Non, c’est un faux ventre. Mais il en a eu l’idée quand il m’a vue pour le rôle, alors que j’étais enceinte. Je me souviens de ce rendez-vous, j’étais sur une autre planète, le cinéma était très loin, j’avais même oublié que j’étais actrice. C’est vraiment Thomas qui m’a donné envie de faire le film.

Pourquoi ?

Parce qu’il est hyper beau gosse, ah, ah ! (Elle éclate

de rire.) Mais pas que ! Il est intelligen­t, sensible, charismati­que. J’ai toujours envie de travailler avec des metteurs en scène dont je sens qu’ils sont des interlocut­eurs possibles. Pour moi, le cinéma c’est ça, une réflexion sur la vie.

Vous avez dit que lorsque vous avez rencontré Thomas Vinterberg vous aviez oublié que vous étiez actrice. Ça vous arrive souvent d’oublier que vous êtes actrice ?

Parfois j’y pense, comme lorsque le chauffeur de taxi, ce matin, m’a demandé : « Vous allez sur un tournage ? » Il m’a reconnue, mais sa façon de le dire était très élégante. En général, les gens ne me reconnaiss­ent pas dans la rue. A l’étranger, en Asie, je me fais beaucoup plus arrêter dans la rue.

Vous êtes tranquille dans la rue ?

Bien sûr. Si je ne pouvais pas sortir en toute tranquilli­té, je le vivrais très mal. Je pense parfois aux grandes stars. Elles ne peuvent pas sortir.

Mais vous êtes une star, pourtant !

Je suis une actrice qui se fond dans des rôles, je peux disparaîtr­e derrière mes personnage­s. Si ce n’était pas le cas, je serais démunie.

Votre statut d’actrice fausse-t-il le rapport aux gens ?

Ah, pas du tout ! Je n’en ai pas l’impression. Au contraire, des gens se permettent parfois des familiarit­és, trop. Parfois, j’aimerais faire plus autorité. Mais c’est parce que je ne fais pas exister mon statut d’actrice, c’est un choix. J’ai besoin d’être proche de la vie pour exprimer les choses. Etre actrice, c’est un dialogue avec les autres. C’est leur faire voir ce qu’eux-mêmes vivent, comme un miroir grossissan­t. Je vois le cinéma comme une exploratio­n de la vie. Parfois, on se retrouve dans des blockbuste­rs, on joue des superhéros, mais même les superhéros, il faut les humaniser. En tant que spectatric­e de cinéma, ce qui me touche le plus ce sont les choses simples, comme dirait (elle éclate de rire.) Claude Sautet.

« Des gens se permettent parfois des familiarit­és, trop. »

Pourquoi avez-vous choisi de devenir actrice ?

Au départ, ce métier ne me faisait pas spécialeme­nt rêver. Mais c’est le seul que j’aie trouvé qui me correspond. J’ai une forme de narcissism­e, mais pas l’envie démesurée d’être vue, toute mon ambivalenc­e est là. Je n’ai pas assez la volonté d’être actrice, comment vous dire ? Le statut, je vous l’ai dit, je m’en contrefich­e. Après, je suis contente d’avoir réussi, d’avoir ma place, oui, même si tout ça est très fragile.

On sent une sauvagerie un peu crue chez vous.

C’est vrai, je suis sauvage. Alors après, évidemment, je vais entendre : « Quoi, elle n’est pas dans le système ? Elle s’appelle Seydoux ! » Mon nom de famille, je n’y peux rien, mais en tant qu’individu il y a quand même des codes auxquels je n’ai pas envie de répondre totalement. En fait, la contradict­ion me constitue. Je ne me sens pas vraiment dans le système, et en même temps j’y suis. Je ne suis pas très politiquem­ent correcte. La preuve : certaines choses que j’ai pu dire. « J’ai fait l’école de la vie », par exemple ? Exactement, l’école de la vie. Je vois bien que ça peut prêter à confusion, même énerver. Mais en fait j’assume. Je ne veux pas être la bonne élève. Si je dis quelque chose, c’est que je le pense. Je ne sais pas si c’est de la sincérité, c’est plutôt de l’honnêteté. Ou les deux : sincérité et honnêteté. Je n’ai pas cette volonté de plaire à tout prix ; d’une certaine façon, qui m’aime me suive. Après, je veux être aimée. Bien sûr que je veux être aimée.

Ce matin, vous n’êtes pas maquillée du tout. Dans la vie, vous ne vous maquillez pas ?

Non, je ne me maquille pas.

C’est cohérent avec ce que vous dites.

Oui, sûrement. Pour en revenir à l’école de la vie, c’est fou les proportion­s que ça a pu prendre, c’est absurde ! En France, on ne peut jamais exister par soi-même, on est toujours ramené à ses origines, toujours. Moi, ou les gens qui viennent de la cité. Pourquoi n’a-t- on pas le droit d’exister pour ce qu’on fait ? Je le redis, et je n’ai pas honte : je me suis faite toute seule. Point barre. Si les gens rigolent, tant pis.

Etre née du bon côté n’empêche pas la souffrance…

Voilà. En tout cas, c’est sûr, devenir actrice est né d’une souffrance. Parce qu’on naît du bon côté, on ne souffrirai­t pas ? Quel cliché ! La vie n’est pas aussi simple, binaire. Peut- être que les gens ne sont pas traversés, je ne sais pas.

Ça vous met en colère ?

J’essaie d’avancer.

J’ai lu que vous aviez peur de l’avion, et que vous avez fait un aller-retour Paris-Lyon dans la journée pour vaincre cette phobie.

Oui, je suis restée toute la journée à l’aéroport, à regarder les avions. J’ai beaucoup de phobies, mais je travaille à les surmonter. Une attaque de panique, c’est d’une rare violence, on a l’impression qu’on n’arrivera jamais à vivre. Le diaphragme se contracte, tu commences à suer, tu as l’impression que tu vas mourir, c’est horrible. On apprend à vivre avec, mais ça gratte toujours à la porte.

« Si Weinstein avait eu envie de me violer, il aurait pu, et il ne l’a pas fait. Je n’ai pas eu à en venir aux mains. »

Vous aimez vivre en couple ?

J’adore.

Vous êtes mariée ?

Non. A un moment j’ai voulu, puis plus, mais peutêtre un jour. J’adore la vie de famille, mais après, l’idée du couple… en fait, ce qui est flippant dans le couple c’est le regard social, la morale qui va avec. Mais si on se dit qu’un couple c’est partager quelque chose avec la personne qu’on aime, c’est génial.

Vous avez dit : « On est tous soumis à un endroit. » Que vouliez-vous dire ?

Quand je disais : « Je me sens hors système », je voulais dire insoumise. Comme actrice, je suis soumise à l’autorité de metteurs en scène. Si on est rétif à l’autorité, on ne peut pas travailler. C’est un truc qu’il faut capter très vite quand on est enfant, parce que la vie c’est comme ça.

Vous avez accordé une interview au « Guardian », l’an dernier, dans laquelle vous confiez que Harvey Weinstein vous avait sauté dessus. Pourquoi vous êtes-vous tue quand c’est arrivé ? Parce que je ne me sens pas du tout victime, en fait. Mais aussi parce que des mecs comme Weinstein ont un pouvoir énorme. Le pouvoir fait autorité, il donne l’impunité, c’est ça qui est dégueulass­e.

En France, vous avez déjà été confrontée à de tels abus de pouvoirs ?

J’ai eu des metteurs en scène qui sont tombés un peu amoureux, je ne peux pas leur en vouloir. Ça fait partie de la vie, de nous, on est parfois submergé par nos sentiments. Bon, les hommes ont plus tendance à faire ça. J’ai déjà dragué des mecs. Parfois ça a marché, parfois pas. (Rires.)

Pour sa défense, Harvey Weinstein avait dit quelque chose comme : « Je suis d’une époque où les codes étaient différents. » C’est quand même énorme ! Tout ce que je peux dire c’est : je me suis retrouvée dans cette situation, s’il avait eu envie de me violer, il aurait pu, et il ne l’a pas fait. Je n’ai pas eu à en venir aux mains, à me débattre. Vu son poids, il aurait pu me plaquer contre un mur, me forcer, il ne l’a pas fait. Quels rapports aviez-vous avec lui ?

Je le connaissai­s assez bien, j’avais de la tendresse pour lui, mais il me faisait flipper. Quand je le voyais, j’avais des sueurs froides, je me disais : « Bon, il va falloir être gentille avec lui, et en même temps le repousser, tout ça très gentiment. » Il fallait toujours ménager la chèvre et le chou.

Et Kechiche, il a abusé de son autorité ?

Je ne veux plus parler de ça, triturer le passé, je veux avancer. La page est tournée. Voilà. J’ai envie d’une vie douce.

(*) De Thomas Vinterberg, avec aussi Matthias Schoenaert­s, Colin Firth. Assistante Axelle Cornaille. Coiffure Joseph Pujalte/Artlist Paris. Maquillage Sandrine Cano Bock/Open Talent Paris. Manucure Charlène Coquard/Open Talent Paris.

 ??  ?? Robe Louis Vuitton.
Robe Louis Vuitton.

Newspapers in French

Newspapers from France