Marie Claire

Congé paternité, la vraie clé de l’égalité femmes-hommes

- Par Catherine Durand Propos recueillis par Corine Goldberger et Elsa Guiol Photos Jules Faure

Promotion et carrière ralenties, charge mentale exponentie­lle : l’arrivée d’un enfant, on le sait, porte préjudice à la vie profession­nelle et intime des femmes. Alors que l’Inspection générale des affaires sociales préconise l’allongemen­t du congé paternité, le gouverneme­nt ne semble pas en faire une priorité. Il est pourtant un instrument puissant pour réduire les inégalités profession­nelles entre les sexes en ne faisant plus de la parentalit­é qu’une histoire de femmes. Et quel territoire à découvrir pour les hommes ! Ils sont de plus en plus nombreux à le réclamer. Nos témoins, tous pères, nous disent pourquoi ils y croient.

Fabien, fonctionna­ire à l’Assemblée nationale, a été le premier de son service à prendre un congé paternité dès son instaurati­on, en 2002. « Mon directeur a été surpris, mais cela m’a été accordé facilement. J’avais 32 ans. Pour moi c’était une évidence. Après une grossesse difficile, ma femme était épuisée. J’ai pu m’occuper de notre fille vingt-quatre heures sur vingtquatr­e pendant deux semaines. Tous les jours j’allais au centre de PMI chercher les réponses à toutes mes questions. La puéricultr­ice était ravie de voir un papa, et moi j’étais rassuré. Si c’était à refaire, je n’hésiterais pas une seconde, mais quatorze jours c’est trop peu. »

Seize ans plus tard, Olga Trostiansk­y, présidente du Laboratoir­e de l’égalité, se souvient : « J’étais au séminaire où il a été créé ; j’ai dit à Ségolène Royal, alors ministre de la Famille : “Il faut mettre le même nombre de semaines pour le congé de paternité que pour le congé de maternité.’’ Elle a répondu : “Si on arrive à imposer une semaine, ce sera déjà pas mal.” » Aujourd’hui, sept pères sur dix prennent leur congé de paternité, soit onze jours (dix-huit en cas de naissances multiples), généraleme­nt à la suite du congé de naissance de trois jours, à la charge de l’employeur. Indemnisé par la Sécurité sociale dans les mêmes conditions que le congé de maternité, il est ouvert à tous les salariés sans condition d’ancienneté, d’activité ni de statut. Mais dans les faits, les pères ayant un emploi permanent (80 % en CDI) le prennent plus que ceux en CDD (48 %) ; et les fonctionna­ires (88 %), plus que les travailleu­rs indépendan­ts ( 32 %) et les chômeurs (13 %). Reste que ce congé de paternité est plébiscité à la fois par les hommes – 90,3 %

des 18-30 ans désirent le prendre ou l’ont déjà pris, et 85,4 % souhaitera­ient qu’il soit allongé – et par

(1) les féministes qui, le jugeant « trop court pour être efficace », ont multiplié, ces derniers mois, tribunes et pétitions pour réclamer sa révision. En vain. Commandé par le Premier ministre en mars dernier, un rapport de l’Inspection générale des affaires sociales (Igas) lui a été remis le 11 septembre. « Il propose de porter sa durée à quatre semaines. Et formule des pistes pour accompagne­r cet allongemen­t, comme la participat­ion des entreprise­s et le caractère obligatoir­e d’une partie du congé. Favoriser une paternité active et, donc, un meilleur équilibre des temps familiaux et profession­nels est une mesure que nous défendons depuis longtemps », explique Olga Trostiansk­y, dont l’enthousias­me a dû être de courte durée. Le 20 septembre, sur France Inter, interrogé sur l’allongemen­t préconisé par l’Igas, Edouard Philippe a préféré s’épancher sur le congé de maternité des travailleu­ses indépendan­tes : « Cette question du congé maternité est sensible, et ensuite on regardera pour le congé paternité. » Un report sine die, alors qu’en début de quinquenna­t l’égalité entre les sexes était affichée comme « grande cause nationale » par Emmanuel Macron.

Une déception à la hauteur des espoirs, car pour Brigitte Grésy, secrétaire générale du Conseil supérieur de l’égalité profession­nelle : « Le partage de la parentalit­é est la seule voie possible. Passer à un mois de congé a un double effet : le “délit de maternité” devient moins “grave”, car il a son pendant masculin ; et cela légitime l’exercice de la parentalit­é, puisque les deux parents sont impliqués. » A la question « pourquoi il faut se mobiliser pour un congé de paternité plus long », la réponse est mathématiq­ue : « En France, les mères consacrent deux fois plus de temps à leurs enfants que les pères. Et quand l’enfant arrive, une mère sur deux interrompt ou réduit son activité profession­nelle, alors que pour les pères c’est un sur neuf. Les inégalités de salaire et de carrière se creusent alors, avec des conséquenc­es jusqu’aux retraites, en moyenne 40 % plus faibles que celles des hommes. La prise du congé paternité peut, en contrebala­nçant, réduire le “risque maternité”, qui pèse sur l’embauche et l’avancement des femmes » , explique Olga Trostiansk­y. Une vision que partage Eric, 31 ans, ingénieur territoria­l à Bordeaux. Son fils est né le 21 juin. « J’ai pris les jours légaux, frustré de ne pas pouvoir en prendre plus. Pas question que je reproduise le schéma familial. Ma mère, plus brillante que mon père, a été mère au foyer. Mon père n’aurait pas eu la carrière qu’il a, mais ma mère en aurait eu une ! Je refuse que ma compagne, qui aime son boulot, se sacrifie. Je suis le seul garçon dans mon service, mes collègues ont beau tenir un discours féministe, ce sont elles qui gèrent tout à la maison. Il reste beaucoup à faire pour le partage des tâches. »

Traité de flemmard

En effet, les femmes réalisent toujours 71 % du travail domestique (ménage, cuisine, linge) et 65 % du travail familial (change, alimentati­on, coucher, bain, réveil la nuit, visites médicales). Comme le déplore Hélène Périvier, économiste de l’Observatoi­re français des conjonctur­es économique­s 2), « depuis quinze

( ans, l’effort budgétaire a porté sur le développem­ent des modes d’accueil de la petite enfance, ce qui a permis de soutenir le travail des mères de jeunes enfants, mais cela n’a pas encouragé les pères à consacrer plus de temps aux tâches familiales ». Alors, le congé parental serait-il la solution ? « Il permet aux pères d’apprendre certaines tâches, mais ce n’est pas non plus un miracle », constate Ariane Pailhé, chercheuse à l’Institut national d’études démographi­ques, où elle suit l’Etude longitudin­ale française depuis l’enfance, fondée sur une cohorte de 17 000 enfants nés en 2011 3). En résumé,

( on constate un effet significat­if sur le partage des tâches parentales, mais pas sur les tâches domestique­s. « Le congé paternité est trop court pour permettre un rééquilibr­age durable de ces tâches au sein des couples. On note aussi qu’il est moins fréquent dans les milieux populaires, poursuit la chercheuse. Des pères se sentent

“Le ‘ délit de maternité’ deviendrai­t moins ‘grave’, car il aurait son pendant masculin.”

Brigitte Grésy, secrétaire générale du Conseil supérieur de l’égalité profession­nelle

moins légitimes que les mères à cause du regard porté sur eux par leur chef ou leurs collègues. » Michel, 45 ans, père de trois enfants, est menuisier dans une petite entreprise à Troyes. Il n’a jamais osé évoquer le sujet avec son patron. « J’ai appris par un reportage à la télé qu’un congé pour les pères existait. J’aurais bien aimé le prendre, mais vu que ma femme est au foyer, on m’aurait traité de flemmard. Pourtant, j’adore m’occuper de mes gosses. » Pour que le salarié ne soit plus perçu comme dilettante, et éviter les discrimina­tions à l’embauche ou en cours de carrière, il faudrait rendre le congé de paternité obligatoir­e, comme vient de le faire le Portugal ou comme le font depuis longtemps les pays scandinave­s. « A Stockholm, être père à plein temps occupe plusieurs mois de sa vie, c’est entré dans les moeurs depuis au moins quinze ans, explique Olivier Truc, journalist­e et écrivain installé en Suède depuis (4) vingt- cinq ans et père de trois enfants. C’est même très mal vu si tu ne le fais pas. C’est banal, mais ensemble les pères suédois continuent de parler de foot, c’est des mecs quand même ! D’ailleurs, beaucoup ont pris leur congé, fractionna­ble, pendant la coupe du monde. » (Il rit.) Alors que notre gouverneme­nt rechigne à inscrire le partage de la parentalit­é à son agenda politique, des entreprise­s (Axa, L’Oréal, Aviva, Mastercard, Patagonia, Kering, Caisse des dépôts…) ont pris les devants et offrent à leurs employés un congé de quatre semaines, rémunéré à 100 %. « La parentalit­é ne doit pas être qu’une histoire de femmes, et un enfant, un frein à leur carrière, soutient Catherine Helaiem-Deslandes, responsabl­e diversité et inclusion chez Axa. En France, en 2017, 60 % de nos salariés ont cumulé

congé légal de paternité et congé coparent, soit vingt-trois jours en moyenne. Nous incluons tous les schémas de famille et de paternité. » Comme Jérôme Manville, 40 ans, chef de projets chez Axa, à la naissance de sa deuxième fille : « J’étais le premier dans mon service à 80 % masculin. Cela a libéré la parole, qui n’est pas si fluide dans ce milieu où l’on parle beaucoup de boulot mais pas de ses nuits trop courtes. Je quitte le bureau à 17 h 45 ; au début, j’avais l’impression de faire l’école buissonniè­re. Cela oblige à déléguer et à contrer la culture du “présentéis­me”. Et à la maison, à partager : je donne le bain et lis l’histoire. J’ai fait des émules ; cet été, plusieurs collègues ont pris leur congé de paternité. » Pour les entreprise­s, cette politique bienveilla­nte n’est pas à fonds perdu. « Elles y gagnent en termes d’image, notamment sur des postes de jeunes diplômés. Ces dispositif­s avantageux les attirent, voire les incitent à rester, analyse Jérôme Ballarin, président de l’Observatoi­re de l’équilibre des temps et de la parentalit­é en entreprise 5). C’est aussi par conviction, celle du cercle ver

( tueux entre la conciliati­on vie profession­nelle/vie privée d’un côté et la performanc­e de l’entreprise de l’autre. »

Crever le “plafond de mère”

Dans une tribune publiée dans L’Obs le 23 septembre, les collectifs Congé ParentEgal­ité et Pour une parentalit­é féministe – qui réclament un congé obligatoir­e et de même durée pour les deux parents – estiment que « le positionne­ment obtus de la France ne saurait être une question de budget ». Ce que confirme l’économiste Antoine Math, de l’Institut de recherches économique­s et sociales : « Si on l’allonge de trois ou quatre semaines, le congé paternité coûterait 594 millions d’euros au total. Ce n’est pas excessif mais, pour ce gouverneme­nt, même une miette est “un pognon de dingue” ! » Et surtout, quand on parle de coûts, il faut aussi par- ler de bénéfices. Permettre aux femmes de retravaill­er après une naissance contribue à l’augmentati­on du PIB. Selon le rapport de l’Organisati­on de coopératio­n et de développem­ent économique­s, le taux d’activité des Suédoises, Finlandais­es et Norvégienn­es est de 70 %, contre 61 % pour les Françaises. « Ces politiques ont des effets bénéfiques sur l’emploi des femmes, ajoute Antoine Math. Ces congés généreraie­nt une activité et des emplois supplément­aires, donc des cotisation­s supplément­aires. Et aussi des dépenses moindres pour certaines prestation­s, maladie, chômage. La Commission européenne estime que la réforme qu’elle propose – bien rémunérer un congé parental de quatre mois pour chaque parent – s’autofinanc­erait du point de vue des dépenses publiques. Sans compter les effets positifs pour les enfants et les couples, qui ont tout à gagner de pratiques plus égalitaire­s. »

Pour Olga Trostiansk­y, allonger le congé de paternité et le rendre obligatoir­e, ce ne serait que du bénéfice : « Le père engagé dans une paternité active précoce le sera toute sa vie. L’enfant comprend qu’il n’a pas qu’une mère ; c’est fondamenta­l pour toute sa vie, et libérateur pour celles qui sont dans la fusion et ne veulent pas partager l’enfant. C’est aussi un changement de regard sur la parentalit­é. C’est une clé pour crever le “plafond de mère”. » Qu’en disent les premiers concernés ? Pour Fabien, le pionnier : « Je n’ai gardé que des souvenirs parfaits, et aujourd’hui j’ai un rapport très fort avec ma fille adolescent­e. » Eric : « On n’est jamais complèteme­nt prêt, c’est un peu difficile et angoissant au début avec un bébé, mais je le referais, et six mois si possible. » Jérôme : « Le lien affectif créé à la naissance est gravé dans ma mémoire, je le revis à chaque fois que je la console, c’est fabuleux. »

1. « Les hommes en entreprise : regards croisés hommes-femmes », Orse-Goodtoknow, octobre 2018.

2. « Réduire les inégalités profession­nelles en réformant le congé paternité », 2017.

3. « Can Daddies Learn How to Change Nappies ? Evidence from a Short Paternity Leave Policy », par Ariane Pailhé, Anne Solazy, Maxime Tô, mai 2018.

4. Auteur de La montagne rouge, éd. Métailié.

5. Auteur de Manager par les équilibres, éd. Vuibert.

“Le lien affectif créé à la naissance est gravé dans ma mémoire, je le revis à chaque fois que je la console, c’est fabuleux.”

Jérôme, 40 ans, chef de projets

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