Marie Claire

Dans le bureau d’Amélie Verdier

La directrice du Budget de la France nous reçoit à Bercy, au ministère de l’Economie et des Finances, pour nous parler de son parcours et de son quotidien, entre syndrome de la bonne élève, misogynie ordinaire et retours à vélo.

- Par Corine Goldberger – Photo Elise Toïdé

—Que faites-vous en arrivant au travail ?

En général, j’ai déjà lu la presse. Avant de plonger dans le grand bain, j’aime bien regarder les tours en forme de livres ouverts de la bibliothèq­ue François-Mitterrand.

—Qu’est-ce qui vous procure le plus de plaisir au travail ?

La réussite collective, quand, jour après jour, on élabore le projet de loi de finances. Ainsi le budget 2019, présenté au parlement fin décembre, est l’aboutissem­ent d’une année marathon. « Gouverner c’est choisir », c’est pour ça que mon métier est passionnan­t.

—Avez-vous connu la misogynie ?

Une fois, quand j’étais directrice de cabinet, un ministre a dit : « Comment tu fais pour travailler avec cette jolie fille ? » Mon ministre l’a remis à sa place. On m’a souvent dit que j’étais jeune pour avoir ces responsabi­lités. Mais j’ai des collègues hommes du même âge à qui on ne fait pas cette remarque. —Que faites-vous pour tenir le coup ?

J’essaie de rentrer à vélo le soir, pour me vider la tête. Je bois beaucoup de café, et ce qui me fait tenir c’est le fromage, quand je rentre à minuit. Je pourrais vivre de fromage.

—Où déjeunez-vous ?

Le plus souvent ici, à la cantine et au restaurant des directeurs. Et parfois aussi dans mon bureau, toute seule. La petite salade dans le Marais, quand j’étais secrétaire générale de l’AP-HP, c’était quand même plus sympa que Bercy…

—Votre tenue de combat profession­nelle ?

Des petites robes, avec une veste. A 41 ans, je me dis parfois qu’il faut que je me vieillisse… Avec les années, j’augmente la hauteur des talons. Ça donne de l’assurance.

—Votre faiblesse ?

J’ai eu le syndrome de la bonne élève : essayer de faire ce que « le prof » attend de moi. Alors qu’il faudrait au contraire s’en émanciper. Parfois, il faut taper du poing sur la table. Etre accusée de lambiner alors qu’on travaille sur des sujets complexes. Dans notre jargon, on dit qu’on fait le 80/20, c’està-dire que lorsqu’on a déjà couvert 80 % du sujet, il faut accepter qu’on n’aura pas le temps de traiter les 20 % restant.

—Quelle est la place de votre vie privée ?

Je ne ferais pas bien mon travail si je n’avais pas une vie épanouissa­nte à côté. Avec deux filles de 6 et 9 ans, ma vie privée ne se mesure pas en quotas horaires à la maison… J’essaie d’avoir quelques routines, par exemple être là pour le petitdéjeu­ner. Ensemble, même si je suis debout avec ma tasse.

—Votre objet fétiche dans votre bureau ?

Ce cochon tirelire en papier mâché. J’avais mis à l’amende tous les membres de mon comité de direction qui tenaient des propos inutilemen­t négatifs sur les autres directions de Bercy. Un jour on a cassé la tirelire, on a acheté des gâteaux… Je tiens aussi à cette lettre de Turgot, contrôleur des finances de Louis XVI. Il y expliquait déjà, en 1774, qu’avant d’annoncer des dépenses il faut se concerter avec le ministre des Finances.

—Pensez-vous, comme Sheryl Sandberg (numéro deux de Facebook), que pour faire carrière il faut choisir le bon partenaire de vie ? Mon mari m’encourage. Il a lui-même travaillé dans un cabinet ministérie­l et occupe aujourd’hui un poste important. C’est un équilibre à trouver. Parfois, il râle et j’ajuste. Cette énarque issue de la même promotion qu’Emmanuel Macron, ancienne secrétaire générale de l’Assistance publiquehô­pitaux de Paris, connaît bien Bercy. A 41 ans, elle y a en effet été directrice de cabinet de deux ministres.

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—Profession­nellement, que ne supportez-vous pas que l’on dise de vous ?

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