Une adaptation pas très prodigieuse
En ne décollant pas le nez du texte, la très attendue série adaptée du best-seller phénomène d’Elena Ferrante déçoit un peu. Illustrant la difficulté que l’écriture impose au langage de la caméra.
Voici un pari assez facile à gagner : de nombreuses paires d’yeux seront au rendez-vous de cette folle histoire d’amitié féminine, doublée d’un phénomène littéraire tenant en haleine des millions de lectrices et de lecteurs dans le monde, en quarante- deux langues, et qui revient assez logiquement sous forme de série. L’adaptation de L’amie prodigieuse est produite et réalisée en Italie, mais bénéficie de l’appui de poids de HBO, chaîne historique américaine des grandes séries contemporaines. Le tout avec la collaboration de sa mystérieuse créatrice, Elena Ferrante, qui aurait participé à l’écriture par le biais d’e-mails échangés avec les coscénaristes Laura Paolucci ( Gomorra) et Francesco Piccolo ( Habemus papam).
Un choix parmi 9 000 candidates
Tout comme son modèle de papier, l’adaptation de L’amie prodigieuse s’appuie sur des chiffres faramineux : quatorze immeubles reconstruits lors de travaux herculéens visant à reproduire la Naples des années 50, 1 500 costumes créés et, bien sûr, point d’orgue de l’entreprise, un choix parmi 9 000 candidates afin de dénicher les deux héroïnes, Elena et Lila. Avec un résultat qui ne brille pas par son originalité, tout du moins dans les deux premiers épisodes qu’il nous a été donné de voir : Elena aux yeux clairs, timide et discrètement intense, et Lila aux allures de sauvageonne brune et aux yeux de braise, croisement entre le Mowgli de Rudyard Kipling et l’enfant sauvage de François Truffaut.
Ce casting le montre d’emblée, la série se situe dans un respect total de l’oeuvre d’origine, ce qui n’est pas toujours une bonne idée en termes d’adaptation : ce que l’on gagne en fidélité, on le perd souvent en surprise et en fièvre. La voix off qui surligne, le plus souvent sans la moindre utilité, des scènes se suffisant pourtant à elles-mêmes montre bien cette difficulté à décoller du roman pour produire une oeuvre propre. On suivra donc les aventures d’Elena et Lila sans déplaisir mais avec un certain détachement. Ressentant comme un air de déjà-vu… Sauf très ponctuellement, comme lors de ce moment surréaliste où les hurlements d’une femme invisible sortent longuement d’une fenêtre à mesure qu’elle y jette des objets épars.
Dans cette scène presque absurde, aussi énigmatique que légèrement effrayante, on retrouve, trop brièvement, toute l’intensité et l’électricité qui a fait tourner des milliards de pages dans le monde, et qu’il aurait fallu à cette vaste fresque populaire en images qui fouille dans les tréfonds des terreurs enfantines et de l’émancipation féminine.