Plages du Sinaï, la bulle protégée des Egyptiennes
Loin de l’oppression citadine du Caire, de leur famille et de la société des hommes rois, elles vont chercher un peu de quiétude et d’apaisement dans le sud du Sinaï. Un espace de liberté fragile où se découpent sur le ciel les silhouettes des complexes hôteliers abandonnés par les touristes occidentaux. Tandis qu’à quelques heures de route, l’armée continue de mener une guerre sanglante contre le dernier bastion de l’armée islamique.
C’est donc cela l’oeil du cyclone, ce périmètre de calme irréel au coeur d’une tempête dévastatrice ? A demi allongé sur un tapis bédouin, vous laissez le bruit du ressac bercer votre vague à l’âme. Murmures de la conversation de vos voisins. Les dés d’une partie de backgammon qui s’entrechoquent. Peut- être êtes-vous déjà « montashi », comme disent les Egyptiens de cet état de douce torpeur provoqué par une cigarette de haschisch (inutile de nier ; c’est d’ailleurs l’une des premières choses que l’on vous aura proposées à votre arrivée ici). Plus tard, vous reprendrez votre livre, vous vous resservirez du thé, plongerez dans les eaux chaudes et translucides de la mer Rouge, et ainsi de suite. Difficile pourtant d’imaginer voisinage moins propice à la sérénité que celui de la côte orientale du Sinaï, en Egypte. A moins d’une heure de route, en effet, dans la moitié nord de cette immense et désertique presqu’île, débute la zone interdite où l’armée égyptienne mène une guerre sanglante contre le dernier bastion de l’Etat islamique. Au même moment, le reste du pays étouffe, encore groggy de l’échec de la révolution de 2011 ; tandis que le voisin israélien – la ville d’Eilat est toute proche – poursuit sa croissance hystérique, empêtré dans ses contradictions internes.
Remède à la mélancolie
Et sur la rive opposée du golfe d’Aqaba, en Arabie saoudite, à 20 km seulement, on décapite en public les condamnés à mort. Le Proche-Orient serait sans doute condamné à un désespoir définitif s’il n’avait réussi à préserver du chaos régional les 200 km de bande côtière qui séparent les stations balnéaires de Taba et de Charm el-Cheikh. Largement ignoré des touristes européens effrayés par un tel environnement, le sud du Sinaï est ainsi devenu pour les Egyptiens et leurs voisins une bulle fragile. Un refuge. « Quand on arrive ici, il ne faut pas longtemps avant de se mettre psychologiquement à nu. » Après avoir dirigé le camp Rocksea pendant vingt ans, Ricarda Reichle