Marie Claire

Moi lectrice Je n’arrive pas à m’attacher

Isabelle n’a jamais éprouvé de sentiments pour un homme. Une situation pesante. A 34 ans, elle se sent gelée affectivem­ent, mais rêve d’avoir des enfants. Et considère qu’il lui sera indispensa­ble de réussir à aimer le futur père…

- Propos recueillis par Sophie Nguyen Illustrati­ons Mügluck

Depuis le lycée, rien n’a changé : quand je parle avec mes copines et qu’on se raconte nos histoires d’amour, j’ai l’impression de venir d’une autre planète, d’être une alien. Surtout quand il s’agit de rupture ou d’infidélité­s. Par exemple, je ne comprends pas qu’on puisse se mettre dans des états extrêmes parce que notre grand amour nous quitte ou s’il va voir ailleurs. C’est la vie, c’est banal, c’est un moment désagréabl­e à passer mais, personnell­ement, je trouverais bien plus douloureux d’être licenciée ou de devoir déposer le bilan de mon entreprise. De la même manière, je ne comprends pas que l’on s’arrête de vivre, qu’on devienne obsédé par quelqu’un dont l’absence ne nous a pas empêché de vivre de bien jolies histoires. J’en ai moi-même vécu une de trois ans, on est resté amis. Arthur avait été très bien accueilli par ma famille, mes parents le trouvaient formidable, sympa, fiable. C’est même parce qu’il était bien intégré dans ma famille, apprécié, que ça a duré autant, je pense. Le problème c’était moi : je l’aimais bien et c’est tout.

Spectatric­e de ma vie

Quand j’étais quittée – ça m’est arrivé, comme à tout le monde –, c’est mon amour-propre qui était touché, pas mon coeur. Il me suffisait de passer un week- end chez mes parents à me faire chouchoute­r pour que je reparte du bon pied. Je ne me suis jamais attachée en profondeur à quelqu’un en dehors de ma famille. Jamais. Même quand je suis bien avec un homme, c’est un peu comme si j’étais spectatric­e de ma vie : je ne me sens pas vraiment partie prenante. Je suis comme gelée affectivem­ent. J’en ai vraiment pris conscience il y a dix mois, à la naissance de mon neveu et filleul, Solal. Etre tante c’est génial, mais ça ne me suffit pas. Cela faisait un an que je pensais sérieuseme­nt à fonder une famille, c’est mon idéal depuis toujours. Le problème c’est que je veux aimer vraiment, intensémen­t et profondéme­nt le père de mes enfants. Deux de mes ex auraient fait d’excellents pères. Mais ce que je ressentais pour eux n’est jamais allé au- delà du désir physique et d’une certaine tendresse. Ils entrent dans ma vie comme ils en sortent, sans laisser de traces.

J’ai réalisé en y réfléchiss­ant que c’était un peu la même chose avec mes amies : si demain elles sortaient de ma vie, si on se brouillait, ça ne me touche- rait pas vraiment, pas en profondeur. Mes sentiments pour elles n’ont rien de comparable avec ceux que j’ai pour mes cousines. Ça me culpabilis­e et ça commence à m’inquiéter. J’en ai souvent parlé à Gabrielle, la mère de Solal, qui me dit que c’est parce que je suis entière, idéaliste et que je mets la barre trop haut. C’est vrai que je suis exigeante, mais ça n’explique pas tout. En réalité, il n’y a que pour ma famille que j’ai de vrais sentiments, profonds et forts. Est- ce que je n’ai pas été trop aimée, trop choyée par mes parents depuis ma naissance ? Est- ce que cette quantité d’amour que je reçois encore, cette joie de vivre qu’ils font rayonner autour d’eux me rassasie tant que je n’ai pas besoin des autres ? Un psychiatre m’en dirait peut- être plus, mais je n’ai pas envie de consulter. Au fond, j’ai peur de me sentir ridicule en parlant de ma super-famille. C’est pourtant la vérité. On est un clan, soudé, solidaire, joyeux. On rigole bien tous ensemble et on tient trop les uns aux autres pour se maltraiter, comme je l’entends autour de moi dans les autres familles. Ma mère et sa soeur sont très proches, fusionnell­es, mon père et son frère aîné ont le même lien. Beaux-frères et belles-soeurs, cousines et cousins, tout le monde s’entend avec tout le monde. Nous avons nos codes, nos rites, et ça nous va très bien. Chez nous il n’y a jamais eu de cris, jamais de mots blessants. On pouvait tout dire, tout se dire, sans peur d’être puni ou mal jugé. Que de copines ont passé des soirées à être réconforté­es par ma mère… Encore aujourd’hui, lorsque je vais passer un week- end à la maison, c’est le paradis. Il y a toujours des amis qui viennent dîner ou déjeuner, ça rit, ça chante, mon père joue de la guitare. L’été, ce sont des repas interminab­les dans le jardin, des fêtes improvisée­s, toutes les génération­s se mélangent. Je vais aggraver mon cas en disant que mes parents, forment pour moi le couple idéal. Ils sont toujours amoureux, ils s’admirent mutuelleme­nt, ils sont positifs, généreux. C’est l’histoire d’une grande passion. Ma mère vient d’une famille bourgeoise de Lyon, et mon père est le fils d’un peintre en bâtiment qui a créé avec succès sa propre affaire. Ils étaient si beaux, tellement faits l’un pour l’autre – maman, une grande brune magnifique, et papa, avec ses yeux gris, son allure si british – que mes grands-parents maternels, qui n’y étaient pas favorables au départ, ont été embarqués par leur histoire. Les comédies romantique­s

m’ont toujours moins fait rêver que l’histoire de mes parents. Ma mère m’a toujours dit que, certes, leur couple avait connu des crises – je la crois, mais je n’en ai aucun souvenir –, mais, à la différence d’autres couples, leur désir de poursuivre la route ensemble l’a toujours emporté. Je veux aimer mon futur compagnon comme ma mère aime mon père. J’ai pas mal vécu par procuratio­n, mais tout cela fait partie de moi, je ne peux et ne veux pas l’effacer.

La thérapie d’une pauvre fille trop aimée

Alors que pourrais-je bien dire à un psychanaly­ste ? Que je m’éclate dans mon travail, que j’ai de supercopin­es, que tout va bien… si ce n’est que mon thermostat affectif ne monte que jusqu’à tiède. Je ne me vois pas raconter tout ça. Ou je pourrais lui confier que mon angoisse, ma peur, une peur panique qui me réveille la nuit, c’est le possible décès d’un membre de ma famille. Pour l’instant, tout le monde va bien, j’ai encore mes quatre grands-parents. La thérapie d’une pauvre fille trop aimée, c’est ridicule, non ? Je vois un homme depuis un mois. Il est charmant, séduisant, sous la couette tout se passe bien, mais bon… Je vais attendre, nous donner une chance. Mais que faire si rien ne se déclenche en moi ? Je n’ai pas envie de perdre mon temps et d’en faire perdre à autrui. Le pire, c’est que ma tiédeur attise leur désir. Je suis si peu possessive qu’ils doivent se dire qu’avec moi ils auront la paix. J’ai l’impression d’être piégée dans quelque chose d’absurde, d’insoluble. Je n’arrête pas de me poser des questions sur moi. J’en ai parlé avec ma mère. Elle m’a dit que j’idéalisais certaineme­nt trop le sentiment amoureux. Elle a aussi ajouté qu’il se pouvait que je n’aie pas encore rencontré le bon. Elle m’a rappelé qu’avant de tomber amoureuse de mon père elle avait été quasi fiancée à un « ingénieur fade comme un navet ». Elle a peut- être raison. Au fond de moi, je sens qu’il y a autre chose, un blocage, une indifféren­ce. Une amie m’a demandé si je refusais inconsciem­ment d’aimer et de fonder une famille pour ne pas, en devenant mère, perdre ma place de fille chérie adorée. Je ne le crois pas. Ce qui est sûr, c’est que je ne me mettrais pas en couple pour avoir un enfant avec un homme pour qui je n’éprouverai­s pas de sentiments forts, j’aurais l’impression de former une famille de pacotille. Je préfère encore faire un enfant toute seule ; cela me semble beaucoup plus honnête même si, à première vue, ça peut sembler plus égoïste.

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