Marie Claire

Un heureux évènement

- Par Nicolas Rey

« Mais faites-lui une piqûre de morphine, faites-lui fumer de l’opium, faites-lui une péridurale de la tête aux pieds ! »

Papa ! Tu vas être papa ! L’appartemen­t, pour commencer. Ta femme souffre. Les contractio­ns. Les fameuses contractio­ns. Tu transpires. Tu as une fiche bristol avec quatre numéros d’ambulances, tu téléphones, les trois premiers numéros ne répondent pas. Le dernier numéro décroche et t’informe qu’il est en vacances depuis hier, tu articules : « Monsieur, ne raccrochez surtout pas, s’il vous plaît, j’ai besoin de votre aide, il me faut un numéro efficace, vous comprenez ? J’ai besoin d’un numéro sûr, d’une grosse estafette avec une croix bleue et deux types en blouse blanche qui en sortent. » Le type te file un numéro.

Le hall de la maternité. Aucun problème. Bonsoir, madame, oui, c’est pour cette nuit, toutes les cinq minutes, madame. Blouse bleue, charlotte, chaussons… tu enfiles tout ça. Très vite, beaucoup trop vite à ton goût, ta douce est dans un sale état. Une sage-femme de 12 ans 1/2 tente de soulager la douleur de ta moitié en lui donnant de l’oxygène. Tu arrives à lui articuler à l’oreille sans la bouffer tout entière : « Mais faites-lui une piqûre de morphine, faites-lui fumer de l’opium, faites-lui une péridurale de la tête aux pieds ! » « Impossible, te rétorque la conne, il faut attendre l’arrivée du médecin accoucheur. »

On te file un vaporisate­ur d’eau minérale pour rafraîchir le front de ta femme. Après chaque poussée, tu dois trouver quelque chose à dire. Alors tu deviens le Philippe Lucas de ta femme. Un Philippe Lucas en beaucoup plus sympathiqu­e. Entre deux cahots, tu articules : « C’est bien, on avance, respire, retrouve des forces, accroche-toi, mon amour, c’est bientôt fini, je te jure que c’est bientôt fini, voilà, ne t’inquiète pas, ça recommence, pousse, mon amour, pousse, je ne te quitte pas, je ne lâche pas l’affaire, je suis avec toi, tu veux un peu de vaporisate­ur ? D’accord, je ne prononcera­i plus jamais le mot vaporisate­ur de toute ma vie. »

La suite fut un long hurlement plein de sang, de bruit et de fureur. Une fois les premiers pleurs de ton fils sur les seins de ta femme, tu es descendu pour prévenir la famille. En remontant, tu passes devant une pièce emplie de chiards en couveuse. Tu t’arrêtes.

Là, chaque nourrisson se trouve dans un aquarium avec une petite porte, comme pour nourrir les oiseaux. Ils hurlent tous. Tu t’approches de ton gosse, parce que, aussi étrange que cela puisse paraître, tu as reconnu ses pleurs parmi ceux de tous les autres. Et tu le regardes. Une infirmière te dit alors : « Vous pouvez lui toucher le ventre et lui parler. Il connaît déjà votre voix, ça le calmera. » Tu lui murmures : « Bonjour, Simon, Je m’appelle Nicolas. Je suis ton papa, en fait. C’est normal que tu dégustes parce que l’accoucheme­nt a ressemblé à un affronteme­nt de pitbulls en plein carnage de viande fraîche. Mais vous avez assuré, ta mère et toi. Tu es courageux comme ta mère, mon pote, ça va aller, je te jure que ça va aller, ça va aller de mieux en mieux. »

Ton fils s’est endormi assez rapidement, et les larmes ont changé de camp. Et à cet instant précis, oui, je dis bien à cet instant précis, lorsque les larmes changent de camp, on peut dire que l’homme est une femme comme toutes les autres.

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