Marie Claire

Edito

- Marianne Mairesse, directrice de la rédaction @marianne.mairesse

Le lion, la lionne et le beau papillon

Je vous prie par avance de m’excuser, très certaineme­nt, pour la naïveté de cet édito. Je vais vous parler d’une impression sans peu de réponses, mais cette impression pose question pour toutes les femmes. J’ai rencontré Yann Moix après avoir lu son livre Rompre* où il décortique son état d’homme abandonné qui a tout fait pour l’être, et il le sait, le raconte avec précision et éclat. Je lui ai demandé, pendant l’entretien, s’il était ébloui par la jeunesse parce que j’ai l’impression que beaucoup d’hommes le sont, que la jeunesse est magique. Il a répondu : pas particuliè­rement, et il semblait sincère. Je lui ai alors demandé s’il pourrait aimer une femme de 50 ans, car il a 50 ans : « Ah non il ne faut pas exagérer ! » J’ai éclaté de rire. « Ça c’est pas possible », a-t-il poursuivi, criant de sincérité — et je l’en remercie pour cela. Impossible pour lui. Impossible. Impossible.

Il se trouve que j’ai 45 ans. J’ai voulu comprendre — c’est sans doute là où je suis naïve. Je lui ai demandé : « Pourquoi ? »

Il en a été quelque peu gêné, alors que je peux tout entendre, très tranquille­ment, c’est pour cela que je fais ce métier. Donc à ma question, il a fini par répondre « pour son corps ». Il a lâché, un peu chahuté, qu’un corps de femme de 25 ans « est extraordin­aire » alors qu’un corps de femme de 50 ans « n’est pas extraordin­aire du tout ». Il a raison, c’est un fait. Mon corps devient moche parce que je vieillis et que j’aime trop les glaces Berthillon. J’oscille entre regarder cette lente déchéance en face et me dire que je m’en fous parce qu’il y a toujours la littératur­e. Mais ce mardi-là, un homme me dit clairement que je suis devenue invisible. Que fais-je de cette vérité ? Et vous, qu’en faites-vous ? Je vois bien que l’homme que j’aime, qui a 43 ans, regarde dans la rue des filles de 20 ans (même rationalis­é, c’est un couteau à chaque fois), ces filles au corps et au visage rebondis, comme des lucioles. Dans le film de Louis Garrel ( L’homme fidèle), c’est Lily-Rose Depp qui incarne cette tentation. Sa compagne Marianne (interprété­e par Laetitia Casta), qui se sait menacée par ce torrent frais, lui dit de coucher avec elle pour voir.

Je ne sais pas quoi faire de cette invisibili­té, alors je ne fais rien. Peut-être parce que le physique n’est pas une question centrale dans ma vie, quand pour certains hommes elle est cruciale, voire vitale.

Avec une femme de 50 ans, ils se rapprochen­t de la mort. Cette fébrilité est peut-être plus triste qu’un visage et qu’un corps qui vieillisse­nt. Je reste tranquille, peut-être aussi parce que la mort ne me fait pas peur. J’ai les fleurs, le ciel, la littératur­e et mes enfants. Mon homme tiendra-t-il le choc ?

* Ed. Grasset.

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