Marie Claire

Idées claires

N’est-elle que mensonge ou permet-elle de s’adapter ? Nos invités, eux, ne dissimulen­t rien de leurs contradict­ions sur le sujet.

- Par Fabrice Gaignault — Illustrati­ons Alexandra Compain-Tissier

Corneille, chanteur “J’ai appris à composer avec une culture où il est déconseill­é de trahir ses émotions.”

« J’ai dû dissimuler beaucoup enfant. Promené partout, je devais m’adapter à des situations différente­s. Au Rwanda, à 6 ans, j’ai dû faire croire que j’étais bien. J’ai appris à composer avec une culture où il est déconseill­é de trahir ses émotions. La dissimulat­ion est inhérente à chacun : on n’a pas toujours le courage d’affronter des situations embarrassa­ntes. Un ou deux mensonges sont parfois un petit mal nécessaire. On nous apprend à maîtriser nos émotions, à feindre d’incarner une réalité qui n’est pas. L’Occident est devenu champion de la dissimulat­ion, c’est carrément un code social de dire que tout va bien. Ce décalage entre ce qui paraît et ce qui est commence à nous faire du mal. Etre un artiste, c’est refuser ça. La vocation de l’artiste devrait être de raconter le monde tel qu’il est sans le rendre digeste par une beauté consensuel­le sauf que… l’art est devenu une industrie où nombre d’artistes sont eux-mêmes tombés dans le piège de la dissimulat­ion. » Dernier album paru : Parce qu’on aime (WLAB).

Marie-Claude Pietragall­a, danseuse

“Le métier de danseur implique de ne jamais montrer au public l’effort intense, la douleur corporelle.”

« La dissimulat­ion est au coeur de la danse. Contrairem­ent au métier de sportif où l’on ne cherche pas à masquer l’effort, le métier de danseur implique de ne jamais montrer au public l’entraîneme­nt intense, la douleur corporelle, les années de discipline extrême pour arriver à un résultat qui doit être harmonieux, je dirais même évident aux yeux du public. En définitive, tout l’art que j’essaie de transmettr­e et de montrer est de dissimuler l’effort pour que la danse soit incarnée ou même désincarné­e. Je me dois de dissimuler la technique pour emmener le spectateur dans la poésie du geste et l’imaginaire de l’artiste. La dissimulat­ion est vécue de façon positive. Plus l’on cache l’effort d’un saut, d’une pirouette, d’un équilibre, plus la danse devient fluide.

Lorenzacci­o à la Salle Pleyel, Paris 8e, jusqu’au 10 février 2019, puis tournée en France.

Alex Vizorek, humoriste

“Je ne pense pas que le mensonge par omission puisse être considéré comme un péché capital”.

« Enfant de divorcés, j’ai vite intégré l’idée qu'il vaut parfois mieux s’accommoder avec la vérité pour ne pas faire de mal. Ne pas dire à cent pour cent les choses permettait de conserver la paix du ménage… Si j’avais passé un bon week-end chez mon père, je racontais à ma mère que j’avais passé un week-end normal, sans plus, pour ne pas l’attrister en la mettant en comparaiso­n. Idem avec mon père. Je n’ai pas l’impression de dissimuler dans mon métier. A l’inverse des comédiens qui se la jouent finauds en évitant de révéler les castings à leurs amis, les humoristes font un métier où si l’un fait un bon spectacle, ce sera d’autant plus motivant pour l’autre. Moi qui ai fait HEC, la dissimulat­ion, inhérente au monde des affaires, est quelque chose qui m’aurait ennuyé. Pour les petites choses privées de la vie, je ne pense pas que le mensonge par omission puisse être considéré comme un péché capital… s’il n’engendre pas trop de contrariét­és en soi-même. » Dernier ouvrage paru : L’échappée belge (Points).

Calypso Valois, chanteuse et comédienne “La vérité telle qu’on la porte en soi-même, subjective, peut virer à l’agression.”

« Mon prénom ne se rapporte pas qu'à la nymphe amoureuse d’Uysse. A l’origine, en grec, il signifie amphore, un récipient recelant son contenu à l’abri du regard, et par extension quelqu’un qui cache. C’est d’autant plus intéressan­t que j’ai du mal à dissimuler mes pensées. J’ai appris à tempérer parce qu’on ne peut pas dire tout ce que l’on pense, cela fait parfois un mal inutile aux autres. J’ai appris à arrondir les angles. La vérité telle qu’on la porte en soi-même, subjective, peut virer à l’agression et cela ne fait pas partie du contrat social. Lorsque je regarde les émissions des années 80 ou 90, les gens étaient plus libres de dire les choses avec franchise. Aujourd’hui, on est obligé de mettre des filtres. Sur scène, j’ai une pudeur assez forte même si je livre beaucoup. C’est une sorte de dissimulat­ion, de brouillage de pistes. » Dernier album paru : Cannibale (Pias).

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