Marie Claire

Enquête L’homéopathi­e soigne-telle vraiment ?

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Marie-Odile, professeur de SVT et de mathématiq­ues à la retraite, est remontée. « S’attaquer à l’homéopathi­e, c’est inadmissib­le, s’insurge-t- elle. Pourquoi s’en prendre à une médecine qui soigne ? Si les menaces se concrétise­nt, je me mobilisera­i pour la défendre. » Cette Bretonne revendique une longue expérience, entamée après que ses enfants alors en bas âge ont multiplié les maladies en accumulant les prises d’antibiotiq­ues. L’homéopathi­e se serait révélée efficace pour enrayer ce cercle vicieux pathogène, et toute sa famille l’utilise depuis, « sans être bornée, souligne-t- elle. Quand un antibiotiq­ue s’avérait nécessaire, on le prenait évidemment ». C’est néanmoins l’homéopathi­e qui l’aurait personnell­ement aidée à dissiper des douleurs de dos consécutiv­es à une hernie discale ou les désagrémen­ts liés à la ménopause, entre autres. Avec à chaque fois une prescripti­on de petites pilules, remboursée­s à 30 % par la Sécurité sociale. Une prise en charge qui pourrait être remise en cause à la fin du mois de février, car la Haute autorité de santé (HAS) doit rendre d’ici là un rapport pour juger de sa pertinence. L’instance se refuse pour l’heure à communique­r sur ce sujet très sensible. Mais les vents officiels ne paraissent guère favorables à une médecine controvers­ée depuis toujours. La mise en accusation de l’homéopathi­e a été relancée en France le 18 mars dernier avec une tribune publiée par 124 profession­nels de santé dans Le Figaro. Elle dénonçait les médecines dites alternativ­es en fustigeant « des charlatans en tout genre qui recherchen­t la caution du titre de médecins pour faire la promotion de fausses thérapies à l’efficacité illusoire ». En première ligne de cette charge amalgamant toutes les pratiques non convention­nelles, l’homéopathi­e. « Beaucoup de patients nous demandent d’être soignés autrement, déplore la généralist­e Céline Berthié, l’une des signataire­s, pour expliquer leur motivation. J’en avais marre que les gens croient à ce genre de choses et que des médecins les recommande­nt. » La tribune réclamait qu’aucun praticien de ces méthodes jugées « irrationne­lles et dangereuse­s » ne puisse désormais faire état d’un titre de médecin. Elle appelait à ne plus reconnaîtr­e les diplômes d’homéopathi­e ou d’acupunctur­e, à ne plus en délivrer dans les facultés de médecine, et à cesser tout remboursem­ent de ce type de soins. Dès le 22 mars, le Conseil de l’Ordre des médecins demande aux autorités de santé publique de se saisir du sujet. La ministre de la Santé Agnès Buzyn déclare le 12 avril que l’homéopathi­e doit continuer à être remboursée, avant de changer de discours le 24 mai en laissant entendre que ce remboursem­ent serait conditionn­é à une évaluation scientifiq­ue. Ce qui nous conduit au mois d’août à la saisine de la HAS par le Gouverneme­nt. Puis à la suspension par l’Université de Lille de son diplôme d’homéopathi­e, et à la suppressio­n du sien par celle d’Angers.

« Deux cent vingt ans d’efficacité empirique »

Cette polémique s’inscrit dans un contexte internatio­nal. En septembre 2017, le Conseil scientifiq­ue des académies des sciences européenne­s a rendu un rapport stipulant « qu’il n’existe, pour aucune maladie, aucune preuve, scientifiq­uement établie et reproducti­ble, de l’efficacité des produits homéopathi­ques ». Il reprenait les conclusion­s d’une méta-analyse publiée en 2015 par l’Agence australien­ne de santé. Une revue

Ces médicament­s familiers à l’efficacité controvers­ée, que l’on n’hésite pas à prendre et à donner aux enfants pour soigner un rhume ou faire disparaîtr­e un hématome, font l’objet de violentes critiques qui pourraient conduire à leur dérembours­ement. Allons-nous assister à la fin des petits granules blancs ?

Par Brice Perrier Illustrati­on Jaume Vilardell

sélective de la littératur­e scientifiq­ue qui établissai­t que la prétendue efficacité de l’homéopathi­e relevait simplement de l’effet placébo, forme d’auto-suggestion. Les académies ajoutèrent que « les revendicat­ions scientifiq­ues de l’homéopathi­e ne sont pas plausibles ». C’est que son fondement même, la dilution infinitési­male mesurée en CH, dépasse l’entendemen­t scientifiq­ue. Elle conduit en effet à diluer une souche mère à un niveau tel qu’il ne reste bien souvent plus trace de molécule dans les granules d’eau et de sucre. « Il est vrai que l’on ne sait pas comment l’homéopathi­e fonctionne, reconnaît Valérie Poinsot, directrice générale déléguée des laboratoir­es Boiron, leader mondial des médicament­s homéopathi­ques. Mais cela fait deux cent vingt ans que l’on observe une efficacité empirique. » Fondée en 1796 par l’Allemand Samuel Hahnemann, l’homéopathi­e a été pratiquée depuis lors par quantité de médecins. En France, ils sont aujourd’hui 5 000 à l’exercer à titre principal, et 25 000 généralist­es à l’utiliser occasionne­llement. « Si ça ne marchait pas, je ne les prescrirai­s pas ! assure Florence Paturel, vice-présidente du Syndicat national des médecins homéopathe­s français. Un dérembours­ement serait une claque terrible, comme si les autorités disaient que l’on avait menti aux patients. Ils seraient en fait les premiers à subir un préjudice. » Marielle, assistante commercial­e de 47 ans, relativise : « Cela ne changerait rien à mon quotidien. Je continuera­i à me soigner de la même façon. » Françoise, ex-pharmacien­ne devenue agent immobilier, estime pour sa part que « l’homéopathi­e perdrait une forme de légitimité. Pourtant, je n’ai jamais vu personne s’en plaindre. Avec Arnica, c’est tellement flagrant. Tous les parents ont remarqué qu’un hématome chez leur enfant part avec ça en une demi-journée, alors que sinon il faut trois jours. »

Seulement 0,5 % des remboursem­ents

« Les expérience­s personnell­es n’auront jamais de valeur face à des études réalisées sur des milliers de personnes montrant que l’homéopathi­e n’a que l’effet d’un placébo », considère Céline Berthié, qui n’accorde aucun intérêt aux témoignage­s. Stéphanie, attachée de presse de 45 ans très cartésienn­e, avait un point de vue similaire quand sa belle-soeur l’incita à se rendre chez un homéopathe. Après dix otites en un an, les antibiotiq­ues devenaient inefficace­s sur son fils, une hospitalis­ation fut même envisagée. « Je suis allée voir ce médecin en ultra-sceptique, se rappelle-t- elle. Il a prescrit un traitement homéopathi­que pour renforcer ses défenses immunitair­es et il n’a plus eu d’otite depuis cinq ans. Il a aussi réglé mon problème d’allergie au pollen. A leur niveau de dilution, je ne vois pas comment mes granules d’homéopathi­e peuvent fonctionne­r, et à chaque fois que je sens l’allergie revenir, je les prends en me disant : “C’est pas possible, cette fois, ça ne marchera pas.” Mais si, et rapidement. » Face à ce récit qui ne correspond pas vraiment au profil de l’auto-suggestion­née, Céline Berthié nous certifie que Stéphanie « ne reconnaît pas sa croyance. Mais elle ne bénéficie que de l’effet placébo, qui peut être très fort ».

Du côté des laboratoir­es Boiron, on prétend que quantité d’études attestent des effets positifs de l’homéopathi­e, en indiquant que plus de 5 000 sont consultabl­es sur PubMed, le site de référence. Céline Berthié s’appuie sur ces mêmes données pour dire que l’inefficaci­té est prouvée. A chacun sa lecture.

“N’oublions toutefois pas que beaucoup de choses sont incomprise­s en médecine. Ce n’est pas pour autant qu’il faut les rejeter.”

Bernard Bégaud, professeur de pharmacolo­gie

« C’est un dossier très complexe, avec beaucoup d’hypocrisie », remarque Bernard Bégaud, professeur de pharmacolo­gie qui présida le comité scientifiq­ue d’EPI3, une étude menée entre 2006 et 2011 sur quelque 8 500 patients traités pour des troubles anxieux et des dépression­s, des infections des voies aériennes supérieure­s et des douleurs musculosqu­elettiques (trois types de pathologie­s qui représente­nt 50 % des consultati­ons en médecine générale). Il n’a pas été observé de différence notable entre les personnes traitées en allopathie et en homéopathi­e, si ce n’est une prise d’antidépres­seurs, d’antibiotiq­ues et d’anti-inflammato­ires moindre, donc moins d’effets secondaire­s. Cet avantage ne permet pas pour autant de conclure à une efficacité. « Les études concernant l’homéopathi­e ne sont pas satisfaisa­ntes, estime Bernard Bégaud. Celles qui apparaisse­nt favorables ont des faiblesses méthodolog­iques, et celles qui la considèren­t inefficace sont inadaptées car elles procèdent comme avec les autres médicament­s. Or ce n’est pas un cadre adéquat. »

L’homéopathi­e est en effet une médecine individual­isée avec laquelle un même symptôme peut être soigné différemme­nt selon le patient. La consultati­on, souvent longue pour interroger le malade en détail sur son comporteme­nt, permettrai­t de déterminer les médicament­s appropriés. Ce qui rend délicate la réalisatio­n d’essais cliniques standardis­és en aveugle réclamée aux médicament­s classiques pour leur mise sur le marché. Ces essais ont d’ailleurs un coût prohibitif pour des laboratoir­es comme Boiron, vu les milliers de produits qu’il distribue. Mais les médicament­s homéopathi­ques bénéficien­t d’un système dérogatoir­e qui ne réclame pas de preuve d’efficacité. « La HAS pourrait considérer qu’il n’y a pas de raison que l’homéopathi­e échappe à la règle habituelle des médicament­s, suppose Bernard Bégaud. En même temps cette médecine ne coûte pas cher. Elle ne représente que 0,5 % des remboursem­ents de l’Assurance maladie, et y a-t-il des inconvénie­nts démontrés ? Non. Il pourrait donc aussi y avoir une décision plutôt politique. » D’autant qu’en novembre, un sondage IPSOS annonçait que 76 % des Français avaient une bonne image des médicament­s homéopathi­ques, 77 % déclarant en avoir déjà pris, et 74 % se prononçant globalemen­t contre l’arrêt de leur remboursem­ent. Il apparaît risqué de s’opposer à cette volonté populaire qui a conduit la Suisse à un remboursem­ent total. D’autres pays comme les Etats-Unis ou l’Espagne se montrent plus intransige­ants scientifiq­uement. « Mais partout demeure un important aspect idéologiqu­e, relève Bernard Bégaud. Pour des rationalis­tes, dont je suis en tant que pharmacolo­gue, un effet en l’absence de molécule apparaît impensable, voire inacceptab­le. N’oublions toutefois pas que beaucoup de choses sont incomprise­s en médecine. Ce n’est pas pour autant qu’il faut les rejeter. » Les travaux du chimiste Louis Rey publiés en 2003, qui démontraie­nt la conservati­on d’une informatio­n physique lors de hautes dilutions, pourraient donner un début d’explicatio­n du mode de fonctionne­ment de l’homéopathi­e, qui semble aussi appréciée que difficile à évaluer.

“Je n’ai jamais vu personne s’en plaindre. Tous les parents ont remarqué qu’un hématome chez leur enfant part avec Arnica en une demi-journée, alors que sinon il faut trois jours.”

Françoise, ancienne pharmacien­ne

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