Marie Claire

Entretien Yann Moix : « Je me sens bien dans l’eau, c’est comme une messe »

- Par Marianne Mairesse Photo Jules Faure

Dans son livre « Rompre »*, il raconte sa dernière rupture qui n’est qu’une nouvelle manifestat­ion de son incapacité à aimer tranquille­ment. Pour « Marie Claire », il a accepté de poursuivre l’introspect­ion face à une femme de 45 ans. Lisez, et vous comprendre­z.

Yann Moix emploie beaucoup le mot « patauger ». Le temps de l’enfance a dû être incommensu­rablement long pour lui. Ce fut un petit garçon martyr. Il s’est fait frapper aux rallonges électrique­s, mettre la tête dans la cuvette, a mangé sa merde. Il emploie aussi beaucoup le mot « chance ». Quand on vit l’enfer, on peut regarder le ciel. Les femmes, dit-il, sont son salut. Une chance d’être regardé et enlacé. Mais comme il ne connaît pas ce langage, il fait tout pour se faire jeter, à chaque fois. Il y parvient et souffre comme il a souffert enfant, condamné perpétuel. Son livre pose la question de la fatalité familiale. Peut- on se sauver de son enfance ? La cage mentale et affective est- elle de fer ? Dans son ouvrage, il raconte sa dernière rupture, le 16 septembre 2017. La dernière fois qu’il a vu Michelle, c’était dans ce café de rugbymen où nous avons rendez-vous, près de chez lui. Des néons rouges, des télés avec des matchs, des maillots sous vitre dédicacés au marqueur noir. J’apprécie l’anonymat du lieu. Yann Moix est un homme à vif, de verbe et de perception. Très intelligen­t, intelligen­ce un peu gâchée par sa prétention. Mais j’ai surtout remarqué ses yeux saillants, ses yeux toujours un peu humides et un peu inquiets. Je suis sûre qu’il avait le même regard enfant. Tranché par la vie et en attente du regard de l’autre. Fondamenta­lement optimiste, il nage une heure par jour. Suivons ses mouvements. —Quand on a lu votre livre, la première question que l’on a envie de vous poser est : comment allez-vous ?

En pleine forme !

—En ce moment, vous êtes seul, entouré de femmes, ou avec une femme ?

Avec une femme, depuis quelques mois.

—Dans votre fonctionne­ment, le début d’une histoire implique fatalement la rupture. Vous pensez que cela va être ainsi jusqu’à votre mort ?

Oui, comme une mouche dans un bocal, c’est certain. Il faut voir la chance que j’ai. Je passe ma vie à rencontrer des filles extraordin­aires, intelligen­tes, belles, gentilles, jeunes et à chaque fois, cette chance, je la refuse. Je la gâche. Je l’extermine. Elles ont toujours l’impression d’être sur un siège éjectable. Cette sensation d’insécurité est ce qu’il y a de pire, mais je ne fais rien de plus grave. Pendant que ce sentiment flotte, je suis gentil, facile à vivre.

—Quelles sont vos plus belles qualités ?

Curiosité, humour et enthousias­me.

—Les pires ?

Caractérie­l, colérique, impulsif. Et généreux. Je ne suis pas radin.

—Quelqu’un de colérique et d’impulsif n’est pas si facile à vivre que ça…

Je ne supporte pas que l’on me force à faire quelque chose. Entendre : « N’oublie pas que l’on part pour

“Chaque fois que je quitte une femme, je souhaite la mort de mes parents.”

Saint-Malo à 15 h » peut me rendre fou. Je suis un spécialist­e des annulation­s de voyage le jour même. Les choses anticipées m’angoissent. La désolidari­sation me rend fou aussi. Si une fille ne prend pas ma défense, si elle n’épouse pas ma cause, ça me détruit.

—Quand vous êtes avec une femme, voyez-vous les hommes comme des rivaux ?

Oui. Et je considère toujours que dans une compétitio­n sentimenta­le, je perdrais. Je n’ai aucune confiance en moi et une self- estime proche de zéro. Autant dans la phase de séduction, je me sens absolument invincible – il peut y avoir quinze types, des surfeurs, des Ryan Gosling –, mais une fois que je suis avec la personne, si un type se met dans la zone de confrontat­ion, je suis comme Jean Yanne : à la moindre difficulté, j’arrête tout.

—Vous dites que ce livre est un suicide à l’aveu. Pourquoi un suicide ?

Il n’y a rien de plus difficile à dire que la vérité. Je ne connais personne qui la dise vraiment. Même quand on rompt, on ment. Si vous dites à une femme : « Je et qu’elle répond : « Tiens, donne-moi on se liquéfie. Là, j’ai tout dit. vais tout te dire », d’abord ton portable »,

—Vous écrivez que vous êtes très accroché au physique des femmes. Etes-vous attiré par un certain type ?

Je ne sors qu’avec des Asiatiques. Essentiell­ement des Coréennes, des Chinoises, des Japonaises. Je ne m’en vante pas. On essaie d’être dans la vérité et dans la franchise. Beaucoup de gens seraient incapables de vous l’avouer car c’est du racialisme. C’est peutêtre triste et réducteur pour les femmes avec qui je sors, mais le genre asiatique est suffisamme­nt riche, large et infini pour que je n’en aie pas honte.

—C’est systématiq­ue ?

Je ne regarde même pas les autres. C’est grave. —Vous dites que les femmes, à un moment, sont « usées » et que vous avez besoin d’une femme « neuve ». Cette usure est physique ou relationne­lle ? C’est souvent physique. C’est un problème de désir. Il m’arrive souvent, au bout de quelques mois, de ne plus en avoir aucun pour la femme avec qui je suis. Et dès lors qu’il n’y a plus de relations sexuelles, il n’y a plus d’histoire.

—Est-ce que la jeunesse vous éblouit ?

Pas forcément, non. Ce n’est pas un critère. J’ai eu la chance de croiser Fanny Ardant chez Gérard Depardieu, je ne sais pas quel âge elle a, mais elle est extraordin­airement belle.

—Ça veut dire que vous pourriez aimer une femme de 50 ans ?

Ah non, il ne faut pas exagérer ! Ça, ce n’est pas possible.

— Vous vous rendez compte que c’est horrible pour les femmes ?

Je vous dis la vérité. A 50 ans, je suis incapable d’aimer une femme de 50 ans. —Pourquoi ? Parce que.

— Expliquez-moi.

Je trouve ça trop vieux. Quand j’en aurai 60, j’en serai capable. 50 ans me paraîtra alors jeune.

—Ça vous dégoûte physiqueme­nt ?

Non, ça ne me dégoûte pas. Mais ça ne me concerne pas, ça ne me viendrait pas à l’idée. Elles sont invisibles. Je préfère le corps des femmes jeunes, c’est tout. Point. Je ne vais pas vous mentir. Un corps de femme de 25 ans, c’est extraordin­aire. Le corps d’une femme de 50 ans n’est pas extraordin­aire du tout. Mais je ne suis pas dans la pathologie des mecs qui ne peuvent tomber amoureux que d’une femme de 25. J’en suis capable pour une femme de 40.

—Est-ce que l’idée d’être père progresse en vous ?

Oui, c’est en train.

—Qu’est-ce qui vous fait le plus peur ?

La chronophag­ie. L’idée que, alors que je suis en train de travailler, je ne le puisse plus. Je lis beaucoup, j’écris beaucoup. Mon rêve est d’avoir un enfant sans m’en occuper. Le croiser de temps en temps, jouer, dessiner, faire les devoirs.

—Un nourrisson, un bébé n’est pas pour vous ?

Non. Je n’aime pas leur tête, leur odeur, leurs cris, leurs pleurs. Rien. J’ai peut- être tort. Eduquer, un enfant, oui, l’élever, non. Je ne supporte pas l’autorité, la punition, les reproches. Les « Tiens-toi bien à table » me révulsent.

—Les hommes ont le choix de s’intéresser ou pas aux enfants. Pas les femmes. C’est un vrai problème, en fait, que vous ayez le choix.

C’est vrai.

—Le souci de l’enfant incombe aux mères de la naissance jusqu’à la mort, presque totalement, et c’est très lourd. J’aimerais beaucoup – vous allez être horrifié par ce que je vais vous dire – un congé de paternité obligatoir­e.

Non, ça ne m’horrifie pas du tout.

—Pour forcer les hommes à se sentir responsabl­es dès les premiers jours de l’enfant, pour que celui-ci entre dans leur charge mentale, physique.

Je sais, je suis déjà sorti avec des filles qui ont des enfants, c’est une aliénation. Je suis d’accord. Je me comporte comme le lâche moyen. Sauf que je m’intéresse à l’éducation, ce qui n’est pas le cas de tous les pères non plus.

—Vous écrivez que l’enfance n’est pas « un paradis perdu », mais « un enfer perpétuell­ement retrouvé ». Y repensez-vous chaque jour ?

Non, mais je suis conscient qu’à chaque fois que je crée de l’irréversib­le dans une relation sentimenta­le, c’est à cause de ça. Chaque fois que je quitte une femme, que je la force à me quitter, je souhaite la mort de mes parents. Je leur en veux à eux d’abord. —Vous l’expliquez très bien dans votre livre. On peut faire un parallélis­me entre le moment où vous êtes en souffrance parce que vous êtes quitté – vous détruisez même des photos, des dessins de la personne que vous aimez, comme le faisaient vos parents avec vous -, et…

Je n’avais pas fait attention à cette symétrie. Ah oui, je détruis tous les dessins… Incroyable. Je cherche le moment de la souffrance. Rien ne me fait plus de mal que la rupture. Parce qu’on ne peut plus me frapper physiqueme­nt. Tout ce que je fais dans ma vie, même les provocatio­ns, c’est pour prendre des coups. Avec les femmes, le seul moyen que j’ai pour retrouver la douleur, c’est de les pousser à me quitter. Elles me donnent plein de chances, mais au bout d’un moment, si elles ne me quittent pas, elles ne se sentent plus respectées par elles-mêmes. Je précise : il n’y a pas de violence verbale, et encore moins physique. Je quitte une fois, dix fois pour de faux, mais quand elles le font, elles, c’est pour de bon. Et là, je n’en reviens pas. Je souffre le martyre. Et voilà, j’ai ma dose.

—Pensez-vous qu’un jour une femme arrivera à dépasser cela, à tenir ?

Il y a des filles avec qui le manège ne marche pas. Si je dis à celle avec qui je suis actuelleme­nt « je te quitte », elle vapote. Comme elle a des enfants, sa pire peur ne peut pas être que je la quitte.

—Pourquoi n’êtes-vous pas allé à votre classe de neige en 1977 ?

Je n’en sais rien. La maîtresse mettait mon bureau dans le couloir et je suivais le cours de là. Elle ne pouvait pas me supporter, je crois.

—Vos parents ne sont pas intervenus ?

Alors, mes parents avaient une spécificit­é – c’est pour ça qu’aujourd’hui, je ne supporte pas la désolidari­sation –, c’est qu’ils ont toujours été à 1 000 % du côté des profs. Jamais ils n’ont pris fait et cause pour moi.

—Ils vous martyrisai­ent tous les deux ?

Oui, ça se passait de la manière suivante : des faits relatés et exagérés au téléphone par ma mère, qui faisaient que mon père moulinait toute la journée sur son lieu de travail et le soir, je prenais.

—Personne n’a rien vu ?

Pourtant, lorsque j’allais à la piscine, comme je me faisais frapper avec des rallonges électrique­s, j’avais le dos lacéré. Je me souviens de ma prof de maths de 5e qui m’a dit, après que je suis revenu défiguré en classe à cause d’une mauvaise note : « Ah, il y en a qui ne sont pas contents des mauvaises notes, à la maison ! »

—Vous vous en êtes bien sorti.

J’en sais rien.

—Si, vous êtes construit.

Oui, mais je souffre. Je ne suis jamais bien. Profession­nellement, ça ne m’a jamais posé de problème, au contraire, je suis indestruct­ible. Je n’ai jamais peur de me faire virer, de finir à la rue. Quand on a cru que j’étais mort, à chaque fois j’ai rebondi. J’ai connu un échec terrible au cinéma, les gens se foutaient de moi dans la rue, et j’ai eu le Renaudot trois ans plus tard. Par contre, sentimenta­lement, c’est catastroph­ique.

— Pourquoi nagez-vous tous les jours ?

Je nage une heure de crawl et le samedi trois heures. J’adore ça. Je me sens bien dans l’eau. C’est comme une messe. C’est le seul moment où mon cerveau n’est pas en activité. Quand on nage, on n’a plus rien à penser, on s’ennuie, c’est l’ennui qui dure, face à soi-même. Et quand je nage trois heures, c’est presque de la méditation. Je vais d’ailleurs aller nager.

—Où ?

A la piscine Molitor. C’est le seul luxe que je m’offre. Après dix-huit ans de piscine municipale, j’ai craqué.

(*) Ed. Grasset.

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