Michael Kors, l’élégance aiguisée
Le créateur américain, très impliqué dans l’aide alimentaire aux démunis, partage avec nous son “optimisme pathologique”… et un couteau éplucheur. Chaleureuse rencontre new-yorkaise.
Evidemment, effectuer un aller-retour Paris New York pour aller éplucher des navets n’est pas très recommandé pour diminuer son empreinte carbone. Mais puisque c’était pour la bonne cause… « Demain mort à la faim ! » Lunettes noires, T-shirt noir, veste noire, jean noir, le créateur Michael Kors annonce la couleur dans le bâtiment downtown qu’il a racheté et restauré afin de le consacrer à la préparation de repas pour les démunis de Manhattan. Masque de jeunesse éternelle, tête ronde et lisse de bouddha yankee, jovial, amusant, voix sonore, Michael Kors n’a jamais connu de problèmes de nutrition. Elevé dans une tribu américaine unie et en particulier par une mère mannequin, il n’a été affamé que de trois choses : la mode, la mode, la mode. « En grandissant, me confie-t-il, je me suis pourtant découvert une passion pour les comédies musicales de Broadway. J’ai pris des cours de théâtre pendant deux ans mais j’étais un très mauvais danseur et ma voix était “comme ci comme ça” (en français, ndlr). »
Des jeans pour Jackie Kennedy
Comme parfois dans la vie, tout commence par un mélange de heureux hasard et de bon timing. A 18 ans, Michael jure par la grande folie seventies, le tie and dye (délavé de couleurs), l’uniforme hippie que s’approprient peu à peu les marques. « Il n’y avait rien de plus trendy, souligne-t-il. Un jour, en passant par hasard devant Lothar, un créateur français alors très à la mode, j’ai demandé à essayer un de leurs fameux jeans tie and dye. Je n’avais pas un dollar en poche mais je trouvais le style de Lothar tellement cool que j’ai postulé pour un job à mi-temps. Je me suis retrouvé à vendre des jeans à Jackie Kennedy, Noureev, Diana Ross, Cher… Comme Lothar s’est aperçu que j’avais du goût, il m’a proposé de dessiner des modèles. Des gens de Bergdorf
Goodman m’ont repéré, j’ai commencé à travailler pour eux et c’était parti… » Si bien parti que des années plus tard, alors que sa marque explose, Bernard Arnault lui « offre » Celine, la vieille marque élégante mais quelque peu arthritique. C’était en 1997. « Je suis arrivé à Paris en même temps que Marc Jacobs chez Louis Vuitton et Narciso Rodriguez chez Loewe. C’était le nouveau Débarquement des Américains ! (Rires.) J’y suis resté six ans et demi. » Que pense-t-il de l’arrivée d’Hedi Slimane ? « Formidable ! Il est en phase parfaite avec une nouvelle génération de filles. Retirer l’accent est malin car les étrangers ne comprennent pas cette histoire d’accent et cela va rendre la marque plus mixte. »
« Les filles arrivent le ventre vide »
Avant de m’expédier éplucher les légumes dans les sous-sols (ce donateur aime bien que ses hôtes mettent aussi la main à la pâte, je m’empresse d’accepter bien que peu doué au maniement de l’économe), Michael Kors se souvient : « Lorsque le sida est arrivé dans les années 80, un de mes amis m’a parlé d’une petite organisation du nom de God’s Love We Deliver qui, entre autres, nourrissait les malades solitaires trop affaiblis pour aller faire leurs courses eux-mêmes. Beaucoup de familles et de proches de malades, effrayés par le sida, les laissaient pratiquement mourir de faim. J’ai décidé d’investir à fond dans cette organisation de volontaires. La première fois que j’ai livré un repas, j’ai réalisé avec horreur que j’étais la première personne que ce malade voyait depuis des mois. » Le développement exponentiel de sa marque le pousse à découvrir l’envers de la 5e Avenue. « Je me suis rendu compte que je ne pouvais pas me limiter aux malades du sida. Nourrir des gens affamés devait être l’une de mes missions. J’ai trouvé dans le programme alimentaire mondial un partenaire idéal. En particulier dans la fourniture de nourriture dans les écoles de certains pays où les enfants, notamment les filles, arrivent le ventre vide. » Le soir, au gala de charité donné par Michael Kors, pour célébrer le 5e anniversaire de son partenariat avec le Programme alimentaire mondial, beaucoup de femmes ont apparemment fait ressortir le coiffeur de Dynastie. Une ex-belle-soeur de Trump s’excuse de porter un patronyme si encombrant, Hugh Jackman emballe la salle (et surtout ma voisine), et Michael Kors provoque des rafales d’applaudissements par sa façon très « entertainment » de défendre des causes si anxiogènes, avec humour et légèreté. Le Broadway rêvé de sa jeunesse n’est pas si loin. « La plupart des gens de la mode sont négatifs, me confiait-il plus tôt. Ils veulent tous se prendre pour des gens profonds et intenses, ce qu’ils ne sont pas pour la plupart. Le comble du chic n’est pas la façon dont vous êtes habillé, mais l’humour, et surtout la capacité de se moquer de soi-même. Quant à mon optimisme pathologique, il vient du fait que dans les mauvais jours, il me suffit de considérer ma chance pour qu’immédiatement ça reparte. Puis la mode, c’est être sans cesse projeté dans le futur, jamais dans la tristesse du passé. Elle se doit aussi de refléter l’état du monde et ce dernier est-il heureux ? La réponse est non. Mon engagement, c’est me dire que nous sommes tous dans le même bateau, ou la même galère pour la plupart. Cela ne sert à rien de dessiner de beaux vêtements sans conscience. C’est aussi vain que stupide. »