Que la colère ne s’atténue pas
Un regard américain sur la France : la chronique de Lauren Collins, correspondante du New Yorker à Paris. Pour une Américaine comme moi, qui vit à Paris, le début de l’année 2019 n’a pas été simple. Tant de crises de chaque côté de l’Atlantique. En France, les gilets jaunes ont provoqué un bouleversement de la scène politique en un temps record. Du jamais vu. Aux Etats-Unis, c’est Donald Trump, chamboule-tout individualiste, qui a déclenché le plus long « shutdown » de l’histoire américaine parce que le législatif n’a pas accédé à sa demande d’avoir un « mur gros et beau » à la frontière mexicaine. Une mesure prévue par la constitution lorsque le Congrès ne parvient pas à voter le budget. Résultat : près de 800 000 fonctionnaires – inspecteurs alimentaires, gardiens de prison, contrôleurs aériens… – n’ont plus été payés. Plus incroyable encore, 400 000 ont été contraints de continuer à se rendre au travail sans rien dire. Et ils l’ont fait. Pas une seule manifestation n’a été organisée en signe de contestation. Après cinq semaines sans salaire, des membres des bureaux locaux du FBI ont été obligés de créer des banques alimentaires pour leurs employés. Imaginez ce qui se passerait en France dans une pareille situation. En fait, ce n’est même pas concevable, même théoriquement. Les Français seraient descendus dans la rue, paralysant le pays. Ici, les gens n’observent pas en silence les dysfonctionnements et violations de leurs droits. La prochaine fois que je vois les Champs-Elysées saccagés un samedi, je me rappellerai qu’il est peut- être bénéfique pour la société que la colère ne s’atténue pas. Si j’étais forcée de choisir, je voterais pour des citoyens qui abusent de leur gouvernement plutôt qu’un gouvernement qui abuse de ses citoyens.