Marie Claire

Pourquoi sommes-nous moins bien soignées que les hommes ? Le principe d’égalité femmes-hommes dans la médecine est une façade. De la recherche à la conception des médicament­s, c’est aux hommes que l’on se réfère majoritair­ement. Au détriment de la santé

- Par Catherine Durand

Il y a des statistiqu­es et des assertions trompeuses : en France, 48,2 % des médecins généralist­es sont des femmes, l’espérance de vie à la naissance est de 79,4 ans pour les garçons, contre 85,4 ans pour les filles (2016), et la médecine traite patients et patientes sur un mode unisexe. Une parité dont on devrait se réjouir mais le principe d’universali­sme cher à notre société française se retourne, cette fois, contre les femmes.

« On naît femme : on ne le devient pas, proclame Claudine Junien, professeur­e de génétique médicale, membre de l’Académie de médecine et du comité scientifiq­ue du Think Tank Marie Claire (voir encadré). Dès la conception, des différence­s biologique­s sont présentes dans nos 60 000 milliards de cellules. Ensuite, viennent les influences sociales qui, elles, sont genrées. Si le sexe et le genre sont deux notions différente­s, au bout du compte, ils sont inextricab­lement liés. » Pour la généticien­ne, le monde de la santé ayant trop longtemps occulté les différence­s liées au sexe, il serait temps de développer en France, comme le font aujourd’hui de nombreux pays, une médecine sexuée. Alors que des pathologie­s comme la maladie d’Alzheimer, l’anorexie, la dépression, l’ostéoporos­e, des maladies auto-immunes (Hashimoto, sclérose en plaques, lupus…) touchent plutôt les femmes, les essais cliniques et la conception de médicament­s se réfèrent encore majoritair­ement aux hommes. Une « injustice thérapeuti­que » qui fait que nous sommes moins bien soignées qu’eux.

Des hommes, des mâles ou des rats

En juin 2016, la vénérable Académie nationale de médecine fait une déclaratio­n politiquem­ent incorrecte : « Les hommes et les femmes ne sont pas égaux devant la maladie et doivent donc être traités différemme­nt. » « Des femmes paient le prix fort de ce déni des différence­s biologique­s entre les sexes, notamment en ce qui concerne les maladies cardiovasc­ulaires », poursuit Claudine Junien. En effet, les symptômes de l’infarctus du myocarde diffèrent : à la fameuse « douleur du bras gauche » se substituen­t chez elles nausées, maux de ventre, poitrine oppressée. On prescrit hélas encore trop souvent aux uns un électrocar­diogramme et aux unes, des anxiolytiq­ues. Résultat : le risque cardiaque tue dix fois plus de femmes en Europe que le cancer du sein. Et pourtant à peine 30 % de la recherche est consacrée aux maladies cardiaques au féminin. « Depuis cinquante ans, la recherche clinique est menée sur les hommes, et la recherche expériment­ale sur des mâles, 80 % des études se font sur des rats. » La palme de l’absurdité revenant à cette recherche financée par le gouverneme­nt américain sur la relation entre obésité et cancer du sein et de l’utérus, dont l’étude pilote a été menée sur des hommes. Une anecdote relevée par Catherine Vidal, neurobiolo­giste à l’Inserm* :

« Mais grâce à la mobilisati­on des sénatrices du Congrès américain et de nombreuses féministes, les choses ont évolué. » Aux Etats-Unis, l’Institut national de la santé (NIH) n’accorde désormais plus de subvention­s aux études cliniques qui n’analysent pas leurs résultats en fonction des deux sexes. En France ? « On a au moins dix ans de retard sur beaucoup de pays européens qui ont adapté leur recherche scientifiq­ue et leurs stratégies thérapeuti­ques », déplore Claudine Junien.

Des posologies inadaptées

Car face à un métabolism­e différent, un médicament peut avoir un effet délétère. Ainsi, les femmes ayant un système immunitair­e plus réactif, une demi- dose de vaccin suffit à leur faire produire autant d’anticorps qu’un homme. Quant aux somnifères, leur effet dure plus longtemps : huit heures après la prise du Zolpidem (Stilnox), ses utilisatri­ces sont trois fois plus nombreuses à somnoler. « Des Américaine­s ont été victimes d’accidents de voiture, la FDA a donc demandé aux laboratoir­es qui le commercial­isent de diviser par deux les posologies recommandé­es pour les femmes. » Une réaction appropriée quand on sait qu’il se produit 1,5 à 2 fois plus d’accidents liés à la prise de médicament­s chez les femmes et que, de 1987 à 2000, sur dix molécules retirées du marché, huit avaient sur elles des effets secondaire­s. Sans parler des nombreux scandales autour de la santé reproducti­ve comme le stérilet Mirena ou les pilules de troisième génération. « Le vrai scandale, s’exclame Claudine Junien, est qu’on ne développe pas la contracept­ion masculine. Nous assumons tous les risques puisqu’on n’a jamais lancé d’études de grande cohorte sur les conséquenc­es de la pilule à long terme. » Pourquoi ? Parce que les décideurs du monde pharmaceut­ique sont des hommes.

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