Marie Claire

Natalie Portman “Toute femme devrait se sentir en sécurité”

Imposante à l’écran, sincère lorsqu’elle prend la parole en faveur des femmes, l’actrice et égérie Dior Parfum appartient en réalité à la famille des discrets contrariés. Peu enclins à se mettre en avant, mais portés, comme ce matin-là avec nous sur les h

- Par Fabrice Gaignault Photos Camilla Armbrust Réalisatio­n Anne-Sophie Thomas, avec Ryan Hastings

Natalie Portman est réputée pour dire ce qu’elle pense et le dire bien. On se souvient peut- être de son interventi­on au début du mouvement #MeToo où elle décrivait la condition des femmes, avec sincérité et pertinence. Mariée au chorégraph­e français Benjamin Millepied avec lequel elle a eu un garçon et une fille, Aleph et Amalia, la comédienne israélo-américaine est une amoureuse de la littératur­e, une libérale affirmée (au sens américain d’électrice de gauche) préoccupée du sort des minorités comme de celui de notre planète abîmée. D’un naturel inquiet que vient conforter une grande pudeur des sentiments, Natalie Portman affronte prudemment l’exercice de l’entretien. En cela, Natalie Portman est aussi une profession­nelle obéissant aux lois du genre en vigueur dans le monde balisé du spectacle hollywoodi­en. Une fois en confiance, sa parole se déroule. Ce matin-là, à Los Angeles, dans une grande maison de verre et de béton en équilibre sur le vide, l’égérie Dior Parfum est concentrée et plutôt en verve. La comédienne, que l’on peut découvrir sur les écrans en rock star lestée d’une adolescenc­e meurtrie dans Vox Lux 1), se souvient de ses débuts, des

( conseils de sa mère. Et se raconte telle qu’elle est aujourd’hui. Délicate et discrète.

—Quels genres de rôles vous intéressen­t le plus ?

Mes envies évoluent sans cesse. En ce moment, ce sont des rôles aux antipodes de qui je suis. Je viens d’interpréte­r une pop star ainsi qu’une astronaute 2),

( deux métiers qui faisaient partie de mes rêves quand j’avais 12 ans mais sont très éloignés de mes préoccupat­ions actuelles. (Rires.) Comme toutes les gamines, j’aimais chantonner et danser sur des morceaux de Madonna.

—Enfant, l’espace vous fascinait à ce point ?

La conquête spatiale, oui. Si l’on arrive à réaliser de tels exploits, tout est possible. Cela donne beaucoup d’espoir et de rêves. L’espace permet également de relativise­r qui nous sommes… et de retomber sur terre.

—Ce film vous a-t-il rendue mystique ?

Non, pas particuliè­rement. Je dirais surtout qu’il m’a confortée dans l’idée que nous ne sommes qu’un monde qui devrait être uni. Vue de l’espace, j’imagine que la Terre procure de l’humilité.

—Vous aimez être seule ?

Oui, beaucoup. Je suis fille unique et j’ai, depuis toujours, l’habitude et le besoin de passer des moments seule. C’est dans la solitude que je trouve des idées. Hélas, c’est trop rare.

—Quel moment de la journée préférez-vous ?

Tard, la nuit. J’ai enfin du temps pour moi, pour lire, regarder un film ou rêvasser.

—Dormez-vous la nuit ?

En ce moment, pas très bien. Pour une simple raison : ma petite fille.

—Quel genre de femme pensez-vous être ?

Quelqu’un qui aime changer les choses, qui aime explorer, et qui aime aimer.

—Qu’est-ce qui vous fait douter ?

Beaucoup de choses. Je doute souvent, vous savez !

—Aimeriez-vous parfois changer de vie, maintenant que vous êtes à l’abri du besoin ?

Tout le temps ! Tout le temps… Oui, sans arrêt.

—Dior Beauté a lancé un nouveau fond de teint, Dior Forever. En quoi le maquillage procure de la confiance en soi ?

Il est avant tout une manière d’exprimer sa personnali­té et sa relation aux autres. Le maquillage peut donc procurer de la confiance en soi si vous en manquez.

—A quoi sert le maquillage ?

Il vous permet de révéler qui vous êtes, mais aussi de vous protéger, en vous masquant. Parfois vous avez envie d’un rouge à lèvres très prononcé, parfois de presque rien sur le visage. Et cela ne préjuge en rien de ce que vous êtes. En cela Dior est parfait, il symbolise autant une force de caractère qu’une féminité assumée de manière audacieuse.

—Quels sont vos plus beaux souvenirs liés à Miss Dior ?

Il y en a eu tellement depuis le début que j’ai du mal à vous répondre de but en blanc. Je dirais le shooting à l’hôtel du Cap, à Antibes. On s’est servi d’un hélicoptèr­e et il y avait quelque chose d’extravagan­t et de tellement beau avec ce mur de fleurs. Cela reste un moment sublime.

—Votre mari a réglé les chorégraph­ies de « Vox Lux ». Quels sont les avantages et les inconvénie­nts de travailler en couple ?

Il n’y a rien de spécial, hormis le fait que vous pouvez le faire de chez vous. C’est plutôt amusant de passer de la complicité familiale relax à une concentrat­ion dans le travail. Et puis vivre avec un chorégraph­e m’a permis de gagner beaucoup de temps. Benjamin sait ce que je peux ou non accomplir. Il connaît par coeur mes forces et mes faiblesses physiques.

—Qu’attendez-vous du cinéma aujourd’hui ?

Beaucoup de changement, peut- être grâce aux nou-

veaux modèles de diffusion, et notamment Internet. Cela peut amener à casser les moules obsolètes d’un certain cinéma. Je me réjouis de voir à quel point il sait se renouveler lorsque je tombe sur des gens aussi talentueux que Xavier Dolan ou Rebecca Zlotowski.

—Trouvez-vous qu’il existe une rivalité parfois nocive entre comédienne­s ?

Pas vraiment. C’est vrai qu’à une époque, des gens du métier ont essayé de me mettre en compétitio­n de façon artificiel­le avec d’autres actrices. Mais je ne suis pas ce genre de femme. Evidemment, il y a tellement peu de rôles féminins intéressan­ts que cela rend ce métier plus âpre et c’est, hélas, à nos dépens.

—Si vous deviez donner un conseil à la jeune actrice de « Léon », que serait-il ?

De ne pas chercher à plaire à tout le monde. J’ai mis longtemps à me débarrasse­r de cela, à m’occuper de moi-même au lieu de me préoccuper des autres.

—Ce n’est pas évident de s’affirmer à 12 ans…

Bien sûr, mais il a fallu que j’attende d’avoir plus de 30 ans pour m’en rendre compte.

—Comment y êtes-vous parvenue ?

En trouvant le bon compagnon, à l’écoute, égalitaire en tout, un partenaire de vie, et aussi en devenant mère. Nos deux enfants ont changé mes priorités en me rendant moins disponible aux autres. J’ai dû apprendre à m’occuper des miens et de moi-même.

—Si vous étiez une fée et pouviez accorder trois dons à un nouveau-né, lesquels seraient-ce ?

La santé, la curiosité et la joie.

—Votre staff m’a interdit de poser des questions trop personnell­es. Mais j’ai tout à fait le droit de vous demander pourquoi…

Eh bien, je vais vous répondre. Je ne vois pas pourquoi les personnes que j’aime devraient supporter de lire des choses que je raconterai­s d’elles. Elles n’en ont vraiment pas envie, et il n’y a aucune raison que je les contredise.

—Je vais quand même essayer… Qu’est-ce que votre mère vous a transmis ?

Ma mère m’a fait comprendre, alors que j’étais toute jeune, que ce n’était pas parce que j’étais une femme que je devais m’empêcher de réaliser quoi que ce soit. Enfant, elle ne m’a jamais rien imposé, contrairem­ent à certaines de mes copines qui subissaien­t des règles parentales qui ne leur plaisaient pas, comme le choix de leur coupe de cheveux. Même si je ne savais pas toujours quoi faire avec les miens. (Rires.)

—Acceptez-vous encore aujourd’hui ses conseils ?

Tout le temps ! Ma mère a un talent pour comprendre les gens, les situations. Je ne parlerais pas vraiment

d’intuition, mais c’est une force dans la vie, elle est extraordin­airement intelligen­te.

—Quelle est votre part masculine ?

Que veut dire « part masculine » ? Si vous parlez d’une partie de moi forte et puissante, deux stéréotype­s masculins, alors je suis masculine !

—Dans votre discours à la Women’s March de Los Angeles, le 20 janvier 2018, vous avez appelé de vos voeux la révolution du désir. La sentez-vous en marche ?

Je pense que toute femme devrait se sentir en sécurité, libre d’exprimer ses désirs ou d’être vêtue comme bon lui semble sans que cela ne provoque de la violence contre elle. C’est une telle évidence, mais aucune femme ne devrait craindre d’être qui elle veut être, d’agir comme bon lui semble, ni d’avoir besoin de demander la permission. Nous ne sommes qu’au milieu d’une longue prise de conscience mais une étape a été franchie, je pense, avec la vague #MeToo.

—Les célébrités peuvent-elles jouer un rôle réellement efficace dans ce combat ?

Oui, je ne sais plus qui a dit que le courage était contagieux, mais c’est vrai. Nous en avons la preuve, à Hollywood comme un peu partout dans le monde. La parole se libère enfin. Jusqu’à récemment, on interdisai­t aux femmes d’élever la voix sous prétexte que ce n’était pas féminin d’exprimer sa colère. C’était surtout afin d’éviter qu’elles ne partagent leur expérience et l’expriment. Le fait que tant de femmes aient compris en même temps qu’elles n’étaient pas isolées dans leur désir de changement et constaté à quel point leurs histoires se rejoignaie­nt est l’expression d’un phénomène de société.

—Qu’est-ce que #MeToo et l’initiative Time’s Up ont changé à Hollywood ?

Les gens sont devenus plus conscients des abus sexuels et de la discrimina­tion dont sont victimes les femmes. Il y a une réelle envie de faire bouger les lignes pour que rien ne soit plus jamais comme avant.

—Pensez-vous qu’il faille définir juridiquem­ent de nouvelles règles concernant le consenteme­nt sexuel ?

Absolument. Je suis persuadée que le désir des femmes va être plus pris en compte, et plus du tout dans une optique masculine. Les hommes doivent apprendre à prêter attention à ce que les femmes recherchen­t sexuelleme­nt et non pas imposer leur règle du jeu. Ce changement de mentalité est un immense défi.

—Vous qui connaissez bien notre pays, comment expliquer qu’en France le mouvement #MeToo ait aussi peu pris dans le monde du cinéma ?

Je ne pourrais pas vraiment expliquer pourquoi mais, en revanche, j’ai constaté en vivant à Paris que les femmes sont souvent mieux loties qu’en Amérique. Cela m’a beaucoup impression­née. Chez vous, il y a par exemple plus de femmes investies en politique, et beaucoup plus de réalisatri­ces. La France prend beaucoup de mesures en faveur de l’égalité des sexes, comme la parité en politique. Sur ce sujet, vous êtes très en avance sur nous.

—Pensez-vous que Trump ait accéléré la fracture de l’Amérique ?

Bien sûr. La seule chose positive qu’il aura réussie, c’est de faire s’engager politiquem­ent les gens qu’il méprise et humilie. La plupart des institutio­ns de ce pays sont dirigées par de vieux mâles blancs. Il est temps que cela change. Un petit espoir se lève dans un moment très éprouvant pour les Américains.

1. De Brady Corbet, avec Jude Law, sortie le 5 mars. 2. Lucy in the sky de Noah Hawley, date de sortie non communiqué­e.

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Robe Dior. Mise en beauté Dior.

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