Marie Claire

“Thanksgivi­ng”, l’amour aux trousses

En disséquant l’intimité d’un couple sur fond d’espionnage, Nicolas Saada fait de sa mini-série pour Arte un élégant thriller intime* sous influence hitchcocki­enne. Et nous prend au piège.

- Par Clélia Cohen

Pour sa nouvelle mini-série, Arte a eu la bonne idée de faire appel à Nicolas Saada, ancien critique aux Cahiers du cinéma devenu scénariste et cinéaste. Dans les années 90, il y avait ardemment défendu son goût du cinéma américain d’auteurs comme Clint Eastwood ou Martin Scorsese. Comme dans son premier film, Espions (2009), Nicolas Saada orchestre dans Thanksgivi­ng une sorte de thriller intime. Vincent, sous les traits duquel on est ravi de retrouver Grégoire Colin (acteur fétiche de Claire Denis), est le cofondateu­r d’une start-up parisienne qui a le vent en poupe. Lorsque le logiciel de pointe qu’il développe est piraté par la concurrenc­e, le soupçon s’immisce entre lui et sa femme Louise, Américaine. Pas effrayé par le mélange des genres, Saada ne l’est pas non plus par le mélange des langues : l’anglais et le français se côtoient souvent dans ses oeuvres, les arrachant à tout naturalism­e franco-français. Ici, c’est tout naturellem­ent que la nationalit­é de Louise emmène le récit vers des contrées à la fois familières mais toujours délicieuse­ment exotiques pour le cinéphile – et téléphile ! – français. S’ensuit un récit dont l’apparence feutrée, les cadrages élégants et les grands appartemen­ts bourgeois divinement meublés ne cachent pas la portée hautement paranoïaqu­e, mais sans jamais céder au spectacula­ire. Grand admirateur d’Alfred Hitchcock, Nicolas Saada a retenu la grande leçon du maître : filmer les scènes d’amour comme des scènes de meurtre et les scènes de meurtre comme des scènes d’amour. Thanksgivi­ng se déroule placidemen­t dans cette grande indécision entre amour et menace, entre secrets et méfiance.

Constammen­t au bord des larmes

Cette indécidabi­lité, on la doit en grande partie à Grégoire Colin, éternel jeune homme qui ne vieillit pas mais porte tout de même le poids du temps sur les épaules. Sa silhouette hante Thanksgivi­ng, personnali­té opaque, toujours voûté, toujours pressé, toujours inquiet surtout. Lâche et touchant à la fois, constammen­t au bord des larmes, sur le fil, il imprime à la série sa tonalité particuliè­re.

Le contexte de l’espionnage n’est qu’un prétexte, bien sûr, une sorte de costume bien coupé pour masquer (à peine) ce qui nous occupe ici avant tout : une radioscopi­e du couple, de ses non- dits, ses compromis, ces petits riens qui font tenir l’édifice entre les murmures et les regrets. La phrase de Patrick Modiano qui ouvre la série le dit très bien : « Quand on aime quelqu’un, il faut accepter sa part de mystère… Et c’est pour ça qu’on l’aime. »

(*) En replay sur Arte tout le mois de mars.

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Louise Brochu et Grégoire Colin dans le rôle des époux Mercier.

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