Spécial 8 mars Nous voulons un vrai congé de paternité
Convaincues que le congé de paternité est une clé puissante de l’égalité femmeshommes, qu’il permettrait aux femmes de ne pas être ralenties dans leur vie professionnelle et allégerait leur charge mentale, nous lançons une campagne pour son allongement de onze jours à quatre semaines à l’occasion du
8 mars, journée internationale des droits des femmes, avec le soutien de France Télévisions. Douze personnalités ont accepté de s’engager avec nous, symboles de beaucoup d’hommes qui plébiscitent plus de temps auprès de leur enfant. Pour s’emparer pleinement de leur rôle de père.
Il y a un an, le 8 mars, Journée internationale des droits des femmes, Emmanuel Macron visitait Gecina, l’entreprise « la plus paritaire de France », avec Marlène Schiappa, secrétaire d’Etat chargée de l’égalité entre les femmes et les hommes. Il y rappelait que l’égalité entre les femmes et les hommes était la « grande cause nationale du quinquennat ». De son côté, également accompagné de Marlène Schiappa, dont le don d’ubiquité était requis ce jourlà, Edouard Philippe annonçait un plan d’action sur le sujet. L’éventuel allongement d’un congé de paternité, disait-il, serait tranché en juin, après la remise d’un rapport commandé deux mois plus tôt à l’Inspection générale des affaires sociales (Igas). Paru le 11 septembre 2018, ce rapport préconise bien un « renforcement » du congé de paternité, allant jusqu’à dire : « Si (sa) durée restait inchangée », c’està- dire onze jours consécutifs, des progrès significatifs seraient « peu probables » en matière de « répartition des tâches au sein du couple et d’égalité professionnelle ». Les auteurs suggéraient aussi de le rendre en partie obligatoire et de porter à cinq jours ouvrés (au lieu de trois actuellement) le congé de naissance obligatoire à la charge de l’employeur. Las : le 20 septembre, c’est le congé de maternité unique – c’est-à- dire étendu aux agricultrices et aux travailleuses indépendantes – qui est annoncé. Le congé de paternité ? « Là, on est vraiment concentré sur le congé de maternité », expliquait alors Marlène Schiappa à BFMTV. Depuis ce jour, pas vraiment de nouvelles d’un éventuel renforcement du congé de paternité. Fin janvier, une directive européenne annonçait la création d’un congé de paternité de dix jours pour les Etats membres – en deçà, donc, de nos onze jours – ainsi qu’un congé parental de quatre mois dont deux non transférables entre les parents. « Rien de neuf sous le soleil, juge Pascale Vielle, professeure de droit social à l’université de Louvain. Le congé parental continuera d’être destiné aux femmes, à moins qu’il ne soit fortement indemnisé, comme il l’est dans les pays scandinaves. » Car le choix de l’indemnisation sera laissé à chaque Etat membre – le nerf de la guerre quand on sait que les hommes ont souvent le meilleur salaire du couple. En France, elle est de 396 euros par mois, une des plus basses d’Europe, et seulement 3,5 % des bénéficiaires sont des hommes. Or, l’an dernier au Parlement européen, Emmanuel Macron avait mis en garde contre le « coût potentiellement explosif » de la « belle idée » d’un congé parental rémunéré comme un congé maladie ou de maternité…
63 % des 18-24 ans le trouvent trop court
Depuis, les gilets jaunes ont encore secoué l’agenda social. « En ce moment, dans la rue, on entend parler de pauvreté, de précarité, des difficultés des familles monoparentales, dit Olga Trostiansky, du Laboratoire de l’égalité. L’allongement du congé de paternité peut être une demande de jeunes parents qui vivent le sujet dans leur actualité, mais le lien entre les petites retraites des femmes, leur précarité, le temps partiel et le congé de paternité n’est pas encore fait. Il n’est pas vu comme une des solutions. » « C’est envisagé comme un sujet tout à fait secondaire dans une société qui n’est pas du tout sensible aux questions de genre », juge aussi la sociologue de la famille Jeanne Fagnani. Selon le service statistique des ministères sociaux, 38 % des Français le trouvent pourtant trop court (contre 33 % pour le congé de maternité). Chez les 18-24 ans, plus concernés par le sujet, le chiffre monte assez logiquement à 63 %. Le renforcement du congé de paternité semble à la fois dans le sens de l’avenir et pas du tout à l’ordre du jour.
A lire les commentaires sarcastiques sur l’article du
Monde qui relaie ce sondage, on comprend que pour beaucoup, le congé de paternité fait figure de lubie féministe, de luxe grotesque en ces temps de restrictions budgétaires. Il n’était pas vraiment populaire non plus en 2002, lorsqu’il a été créé par Ségolène Royal. « Il y avait énormément d’opposition, se souvient l’ancienne ministre déléguée à la Famille et à l’Enfance de Lionel Jospin. On venait de faire les 35 heures, donc le congé de paternité en rajoutait dans la diminution du temps de travail. Les employeurs étaient vent debout, le ministre des Finances aussi, ça a été un combat. Mais j’avais dit : c’est la modernité. » Il est d’ailleurs entré dans les moeurs à une vitesse étonnante, dépassant dès la première année l’objectif annoncé de 40 % des pères intéressés. « Sans jamais l’avoir réclamé, les pères se sont saisis du congé de paternité comme s’ils l’attendaient depuis bien longtemps », pouvait- on lire dans Le Monde quelques mois après son entrée en vigueur. « C’est impressionnant, se félicite aujourd’hui Ségolène Royal. Je suis assez heureuse, je me dis que tous les ans, sept cent mille pères profitent d’un congé que j’ai créé. »
Le coût d’un enfant porté par les femmes
« Quand on donne cette possibilité-là aux pères, ils la prennent, confirme la sociologue Anne Solaz. Nous avons réalisé une étude sur une cohorte d’enfants nés en 2011, on voit que les pères qui ont pris le congé sont en effet plus investis et passent plus de temps avec l’enfant. » De nombreuses études ont démontré que le fait d’être présent auprès du nourrisson favorise l’implication paternelle sur la durée. Et même si l’on peut imaginer que ceux qui le prennent sont par définition les plus impliqués, il semblerait que le congé aide aussi à développer un sentiment de compétence qui les accompagne ensuite.
« En fait, il s’agit de savoir comment articuler, au sein de la famille, les tâches de production (le travail professionnel des parents) et les tâches de reproduction (les soins et services) », résume l’historienne de la maternité Yvonne Knibiehler dans son dernier ouvrage 1).
( Derrière les obscurs quotients conjugaux et les affaires de congés parentaux, il y a des volontés politiques, des idées de la famille : celle que l’on veut valoriser, celles qui se retrouvent pénalisées. Que disent de notre conception de la parentalité ces onze
petits jours optionnels pour les hommes et ces seize semaines (dont huit obligatoires) accordées aux femmes ? Au- delà de la grossesse et de l’accouchement – dont les suites sont, il est vrai, difficiles à prévoir –, qu’est- ce qui justifie une répartition si disproportionnée et inflexible ? Que dit la qualité facultative de ce congé de ce que l’on attend du père ? Longtemps, la protection sociale et la fiscalité françaises ont favorisé la spécialisation des rôles des femmes et des hommes. L’entre- deux-guerres a vu les premières allocations qui augmentaient les salaires des hommes lorsque leur femme était au foyer. Les politiques publiques ont par la suite cherché à accompagner l’arrivée des femmes sur le marché du travail, en finançant surtout l’externalisation de tâches – la garde principalement – qui leur incombaient. Aujourd’hui encore, à l’inverse de nos voisins européens, « la tendance des politiques publiques d’accueil des jeunes enfants semble dessiner un parcours du type : après la naissance, les mères s’occupent de l’enfant durant le congé maternité, puis les enfants sont accueillis dans des structures d’accueil extérieures à la famille », écrit Hélène Périvier dans un rapport de l’Observatoire français des conjectures économiques (OFCE). Mais qu’est- ce qui a été fait pour inciter les pères à prendre leur part ? C’est pourtant d’abord au sein du foyer que se creusent les clivages de genre qui se répercutent sur toute la vie professionnelle. Comme le note Yvonne Knibiehler, le travail à temps partiel, qui
concerne six fois plus les femmes que les hommes ( par exemple, le 4/5e sans le mercredi), est une « forme banalisée (non rémunérée) de congé de maternité ». Aux répercussions évidentes sur les salaires, la carrière, les retraites. Le coût d’un enfant en termes de parcours professionnel est aujourd’hui porté par les femmes. Le congé de paternité est aussi une manière de répartir ce risque pour égaliser les chances face à un employeur et passer, comme l’écrit Hélène Périvier, du « risque maternité » au « risque parentalité ».
« Il faut que des cadres sup prennent ces congés »
« L’institution du congé de maternité au seuil du XXe siècle signale que l’opinion accepte, entérine le travail des mères hors du foyer familial : le productivisme l’emporte sur le partage des tâches et des espaces selon le sexe, écrit Yvonne Knibiehler. Un siècle plus tard, l’institution, puis l’allongement du congé de paternité signalent un autre basculement culturel : les valeurs de l’intimité familiale retrouvent de l’importance face au productivisme. » Les entreprises le savent : la conciliation de la vie familiale et professionnelle est une préoccupation très importante pour les salariés, y compris les hommes. Certaines ont choisi d’offrir des avantages à leurs employés. Ikea, Facebook, Kering, Axa, Twitter, L’Oréal ou la Caisse des Dépôts dépassent ainsi les onze jours prévus par la loi. « C’est attractif pour les jeunes, commente Géraldine Fort, de l’Observatoire de la responsabilité sociétale des entreprises (Orse). La préoccupation des entreprises, c’est de garder les talents. » En 2018, l’Orse a réalisé une étude sur le congé de paternité. Il en ressort un enthousiasme partagé. Problème : « Les entreprises ont des politiques d’égalité professionnelle – écarts salariaux, promotions – qui, souvent inconsciemment, ciblent les femmes », explique Lydie Recorbet, chargée de mission à l’Orse. Pour que les hommes se saisissent de leurs droits, « il
Pour France Télévisions, l’égalité Femmes/Hommes, c’est aussi l’affaire des hommes.
faut accompagner par la communication, par des prises de parole de dirigeants qui légitiment ces droits à ces congés. Une culture d’entreprise doit faire vivre ces droits. » « Il faut des role models, que des cadres sup prennent ces congés, renchérit Géraldine Fort. Autrefois, il était de bon ton de rester tard au bureau et de croiser le PDG. Maintenant, c’est has been. Les entreprises ont bien compris que la réunion après 18 heures, ce n’est plus possible, on a envie de rentrer chez soi. » Salesforce, multinationale high-tech, a adopté une politique généreuse de douze semaines de congé de paternité et vingt-six semaines de congé de maternité. « Une de nos valeurs clés, c’est l’égalité. On doit permettre à tout le monde de s’exprimer sans avoir peur d’être mis au placard, de ne plus avoir de promotion, explique Olivier Derrien, directeur général de Salesforce France. On s’est dit qu’une des façons de progresser, c’était d’aider les conjoints à prendre des congés lors de l’arrivée d’un enfant. » Les douze semaines sont d’ailleurs allouées non pas au père mais au « second caregiver (3) », quel que soit son sexe, et incluent donc les couples homosexuels. « Le bien-être au travail, c’est aussi le bien-être dans sa vie personnelle, poursuit-il. On s’aperçoit que les gens qui prennent ce congé sont très heureux, et qu’en s’organisant, on arrive à gérer. Plus on s’occupera du bien-être de nos employés, plus ils seront motivés. Et donc performants. » Pas sûr que l’on soit complètement sorti de la logique productiviste, mais la question de la conciliation prend de l’importance, alors que la position de la France sur ce terrain a régressé de la 2e place (en 2007) à
( 3) la 18e, et que le taux d’emploi des mères de famille diminue. Depuis quatre ans, le pays fait même face à une chute des naissances. Un des « grands défis du pays », selon Emmanuel Macron. En janvier, à Bourgtheroulde (Eure) devant les maires de France, il parlait « d’améliorer » l’accompagnement « pour permettre aux pères et mères de famille de mieux articuler vie familiale et vie professionnelle. » Il s’est dit « preneur de solutions pour aller plus loin ». Lesquelles ? « Il est possible d’inventer, écrit encore Yvonne Knibiehler. Quand une exigence sociale devient pressante, on trouve l’argent. » Et le congé de paternité devrait être une de ces solutions.