Portrait Ségolène Royal « La présidentielle ? Je ne m’interdis rien. »
Nous avions une question en particulier avant de rencontrer Ségolène Royal. Qu’est-ce qui anime cette femme si sûre d’elle ? Là où d’autres ont renoncé depuis longtemps, elle persiste. Et ne se gêne plus pour décrire avec vérité le monde violent et misogy
Palais de l’Elysée, hiver 2015. Elle participe à un déjeuner officiel. Un ministre français, « et non des moindres », se penche vers elle et lui glisse à l’oreille, alors qu’une consoeur italienne s’apprête à prendre la parole : « Tu as vu celle-là ? Elle serait meilleure à faire autre chose que de s’occuper de son ministère ! » Venise, un an plus tard, pour un autre sommet franco-italien. La même ministre italienne est présente. Deux autres membres du gouvernement français n’ont d’yeux que pour elle : « Je les revois encore, avachis sur leur siège. “Celle-là, elle doit être bonne à faire autre chose que de la politique.” » Ségolène Royal leur lance alors : « Pauvres abrutis, vous avez vu vos têtes ? » Ségolène Royal reçoit un matin dans son grand bureau, au ministère de l’Europe et du Développement international, dans le 15e arrondissement de Paris. Pull fuchsia et pantalon rose éclatant, bottines noires cloutées. L’ambassadrice chargée de la négociation internationale pour les pôles arctique et antarctique, nommée par Emmanuel Macron, est très disposée à la conversation. Son maillot de bain sèche, accroché à une poignée de porte. On évoque avec elle ces deux scènes avec la ministre italienne, qu’elle raconte dans son livre, Ce que je peux enfin vous dire* paru à l’automne 2018 et vendu en trois mois à plus de 50 000 exemplaires selon son éditeur. Pourquoi ne pas donner les noms ? « Vous voulez les connaître ? Alors très bien, après tout… » Et l’ancienne ministre de l’Environnement de balancer Bernard Cazeneuve (ex-ministre de l’Intérieur puis Premier ministre), Michel Sapin (Economie et Finances), et Jean-Marie Le Guen (secrétaire d’Etat chargé du Développement et de la Francophonie). Elle sourit, ravie de son effet.
Contacté par Marie Claire, Bernard Cazeneuve exprime une colère froide contre son ancienne collègue qu’il n’apprécie guère : « Je refuse d’entrer dans une telle polémique. Je vois dans ces propos, que je démens évidemment, de la malveillance et de la méchanceté. » Michel Sapin a écrit : « Je ne sais pas ce que Ségolène peut avoir à me reprocher ! Difficile donc de réagir ! Et l’anonymat de son écriture n’aide pas à la vérité ! :) Bien à vous. » Jean-Marie Le
Guen s’est montré bien plus véhément : « Je démens cette histoire. Ségolène passe son temps à dénoncer une classe politique dont elle ne fait que profiter depuis quarante ans. Elle est plus misogyne que bien des hommes politiques, demandez à Martine Aubry ou Anne Hidalgo ce qu’elles pensent d’elle. Elle a eu son moment mais il faut savoir reconnaître quand l’histoire est terminée. Il serait temps qu’elle quitte la scène. »
« Un sentiment de frustration »
Nathalie Kosciusko-Morizet, Roselyne Bachelot, Aurélie Filippetti, Cécile Duflot… Plusieurs autres femmes ont quitté la politique ces dernières années. Mais à 65 ans, celle qui fut conseillère de François Mitterrand, députée, présidente de la région Poitou-Charentes, ministre de Pierre Bérégovoy, de Lionel Jospin puis de Manuel Valls, candidate à l’élection présidentielle en 2007 (battue par Nicolas Sarkozy avec 53,06 % des suffrages exprimés) n’en a aucune envie. En décembre dernier, elle a essuyé une fin de non-recevoir de Yannick Jadot, à qui elle avait proposé d’être n° 2 sur une liste écologistes-socialistes-société civile pour les élections européennes. « C’est dommage, ça aurait pu être chouette. Jadot a commis l’erreur de sa vie », veut- elle croire. Quand certains l’imaginent intégrer le gouvernement à l’occasion d’un futur remaniement, d’autres la voient se préparer pour l’élection présidentielle de 2022. « Elle est lancée, elle voudrait y aller, assure le journaliste politique du Point Olivier Pérou. Elle veut sa revanche. Chez Macron, ils en parlent, elle constitue une cible. » Pour le député socialiste du Val- de-Marne Luc Carvounas, l’un de ses fervents supporters, elle incarne le besoin de « sérénité, de rassemblement et d’apaisement » dont les Français auraient besoin. « Il n’y a pas beaucoup de femmes d’Etat en France. Quand vous êtes au restaurant avec elle, les yeux se retournent sur elle. C’est une personnalité politique rare, sincère au point d’en être bluffante. » Elle sourit encore : « Disons que je ne suis pas obsédée par l’élection présidentielle. Mais je ne m’interdis rien. »
Au fond, qu’est- ce qui fait marcher Mme Royal ? Battue par Nicolas Sarkozy en 2007, à la primaire socialiste en 2011, aux législatives l’année suivante… D’autres auraient renoncé depuis longtemps, d’autant qu’elle confie avoir été approchée par une banque très connue qui lui a offert un pont d’or pour la recruter. « Elle continue tout simplement parce qu’elle aime ça, assure Julien Dray, vieux compagnon de route de l’exduo Royal-Hollande. Ségolène n’est pas une idéologue de la gauche. Elle n’aime pas enfiler des perles, elle est
dans l’action. Elle est aussi motivée depuis 2007 par un sentiment de frustration qui s’est renforcé avec le temps. Beaucoup se sont bien foutus d’elle à l’époque mais en réalité sur les thèmes de l’environnement, de la France métissée, de l’ordre juste, d’une politique industrielle volontariste, elle a eu raison trop tôt. » Pour Gaspard Gantzer, ancien conseiller en communication de François Hollande et candidat à la mairie de Paris, « elle a cette passion en elle depuis toujours. Cette volonté de faire bouger les choses. Elle ne lâche rien. Et si elle n’est pas dans l’action, cela entraîne effectivement chez elle un sentiment de frustration. »
« Une grande lucidité »
Qu’en dit- elle ? Pourquoi continuer ? Elle apporte deux premiers éléments de réponses : sa « passion de l’action » et son envie de résorber les inégalités hommes-femmes. « Regardez, il n’y a que des mecs au pouvoir. Président de la République, Premier ministre, présidents de l’Assemblée nationale, du Sénat, du Conseil constitutionnel… Pourquoi Laurent Fabius a-t-il été nommé à ce poste et pas moi, alors que j’ai une formation de juriste ? Pour que les choses changent, il faut qu’une femme devienne présidente de la République. » Tant qu’à faire, autant que ce soit elle. Elle qui s’est fait traiter de « vache folle » et n’a de cesse de dénoncer le « cercle des hommes blancs hétéros » censé gérer la France. « Les hommes de pouvoir sont déjà en concurrence extrême entre eux, lâche-t- elle. Alors ils se disent que s’il faut en plus se coltiner des femmes… C’est vraiment des petits fauves qui font pipi autour de leur pré carré. » En avril 2018, Ségolène Royal crée sa fondation, Désirs d’avenir pour la planète. Une autre façon d’agir, assure-t- elle. Des maternités solaires en Afrique, un concours « cinéma et climat » en financement participatif, un partenariat avec la fondation Albert de Monaco… Un an après, le bilan est mince, accusent nombre de détracteurs. Mais l’un des parrains de sa fondation, Hubert Reeves, la défend mordicus. « Elle me paraît être une personnalité politique véritablement intéressée par l’écologie. Elle a sans doute compris l’urgence de la situation et le fait que sans écologie, l’économie s’effondre. Elle possède un caractère bien trempé, fait d’opiniâtreté sans cesser d’être féminine. Elle sait aussi qu’elle ne peut rien à elle seule : c’est, à l’évidence, d’une grande lucidité. »
45 % de bonnes opinions
Et puis il y a l’ego. Propre à toute personnalité politique. Une armure, une force, comme un dopant. Sans doute plus déve-
loppé encore chez elle. « Je suis connue dans le monde entier. » « J’ai un bilan extraordinaire. La masse de choses que j’ai faites, c’est quand même incroyable. » « Un homme de mon calibre serait utilisé autrement, c’est certain. » De fait, sa popularité ne faiblit pas. Mi-janvier, dans le baromètre Paris Match, elle arrive avec 45 % de bonnes opinions juste derrière Nicolas Hulot, Alain Juppé et Martine Aubry. Même certains de ses adversaires lui reconnaissent le mérite de « mieux sentir les sujets de vie quotidienne que d’autres, comme elle l’a fait sur l’environnement ou des questions d’éducation », note ce proche de Valérie Pécresse, présidente de la région Ile- de-France. « Elle n’a pas froid aux yeux. Elle possède une capacité à se mettre au centre des débats, je dirais même à ne pas avoir peur du ridicule. Après, le buzz permanent a construit sa notoriété, mais qu’en est-il de sa crédibilité ? » On aurait aimé interroger son ancien compagnon et père de ses quatre enfants. Mais François Hollande n’a pas souhaité nous répondre. Il faut dire que Ségolène Royal le dézingue à tout va dans son livre, tant politiquement (raillant la « désinvolture » de son quinquennat), qu’intimement. Insistant à plusieurs reprises
sur 2007, quand Hollande ne l’a guère soutenue lors de la présidentielle. Et sur la « violence de l’adultère » lorsqu’il la trompait avec Valérie Trierweiler.
Pour Soazig Quéméner, rédactrice en chef politique au magazine Marianne, « des candidats de la présidentielle de 2007, il ne reste qu’elle dans l’action politique. C’est une des rares de cette génération qui n’a pas été dégagée. Sa campagne de 2007, c’est exactement ce que Macron essaie de faire avec le Grand débat. Elle garde une vraie modernité. » Reste que dans l’éventuelle course à la présidentielle de 2022, quinze ans après la « blessure » de 2007, comme elle dit, Ségolène Royal risquerait de trouver un autre revanchard sur son chemin : François Hollande. Celui dont Arnaud Montebourg avait dit : « Ségolène Royal n’a qu’un seul défaut, c’est son compagnon. » Un proche de Benoît Hamon les a qualifiés de « glyphosate de la gauche »… « Comme elle, lui non plus ne veut pas lâcher l’affaire, reprend Soazig Quéméner. Retomber sur Hollande, ce serait un peu l’histoire de sa vie. » Une histoire sans fin.
“Les hommes de pouvoir sont des petits fauves qui font pipi autour de leur pré carré.” Ségolène Royal