Marie Claire

Chronique Un homme est une femme comme les autres

- Par Nicolas Rey

Je sifflote sous ma douche un air de Charles Trenet. Je déteste Charles Trenet mais je sifflote du Charles Trenet quand même, c’est ainsi. Je ne me coupe pas en me rasant. Je rase tout comme une femme s’épile : avec applicatio­n. La chance est de mon côté. J’écoute les informatio­ns du matin à la radio. Le journalist­e est pessimiste. Il trouve que la France est dans un sale état. Moi, je trouve que notre pays ne va pas si mal que ça. Je le trouve même en pleine forme depuis un certain temps. J’ouvre la fenêtre. Il pleut et c’est formidable, la pluie. De nombreuses personnes courent en direction du métro, lequel va les emmener en direction d’un bureau et cela me rassure de voir tous ces gens faire la même chose au même moment. Mieux, cela me fait plaisir. A présent, je n’ai plus mal au dos. A présent, dans la rue, lorsque je croise un inconnu, je suis même capable de lui sourire. J’achète des fleurs. A présent, j’apprécie les fleuristes et les boulangeri­es. A présent, la ville ressemble au passage de ma chanson préférée. J’ai même trouvé le dernier livre de Michel Houellebec­q tout à fait marrant. Je suis heureux d’avoir tenu le coup jusqu’à cet instant-là. A présent, j’ai beaucoup moins sommeil. Grâce à elle. A cause d’elle. Pour elle, je serais prêt à me rendre au BHV, je serais d’accord pour passer mon permis de conduire, pour porter des cartons, pour construire un meuble, pour rejoindre Metz afin de rendre visite à ses grands-parents. A l’intérieur, je tremble pour sa semaine de travail, pour qu’elle ne tombe pas malade, pour qu’elle ne rencontre pas le moindre pro- blème. A l’intérieur, j’exulte lorsqu’elle prend sa demi-journée, je brûle comme dans un incendie individuel dès qu’elle soulève sa jupe, je fusionne quand on se regarde et je décide de m’abonner à un club de sport. A l’intérieur, avant de la voir, j’ai le trac des amoureux. La gorge sèche et les oreilles brûlantes. Je passe de soixante à cent vingt pulsations par minute. J’arrive en avance même lorsqu’on se retrouve chez moi. Je redoute que mon portable sonne et qu’il m’annonce « un problème de dernière minute ». L’éternel empêchemen­t de dernière minute, celui qui te vrille le cerveau et t’aspire le ventre dans une immense seringue. La définition de mon état se résume en un seul mot : l’intranquil­lité. Et cette intranquil­lité vaut tous les équilibres du monde. Lorsque la porte du café s’ouvre, qu’elle me regarde, qu’elle se recoiffe légèrement, qu’elle me sourit, j’existe pour de vrai. L’air du bistrot s’avère plus léger. Je me sens un coeur à aimer toute la terre. Je suis comme dans un documentai­re animalier. J’attaque si quelqu’un s’approche d’un peu trop près de notre future famille. Alors, serveur, je commande le plat du jour sans même savoir à quoi il ressemble. Alors, j’ai ma main brûlante dans la sienne. Alors, je suis enivré par un Coca Light. Alors, la carafe d’eau se transforme en un vin de premier choix. Alors, enfin, je relève mon visage. Plus tard, dans la rue, pas une particule ne peut se faufiler entre elle et moi. Nous ne formons plus qu’un. Elle se transforme en homme et je me transforme en femme. En femme comme les autres.

« Avant de la voir, j’ai le trac des amoureux. La gorge sèche et les oreilles brûlantes. Je passe de soixante à cent vingt pulsations par minute. »

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