Marie Claire

Chronique Un homme est une femme comme les autres

- Par Nicolas Rey

Bien sûr, j’aurais pu m’appeler Manuel. Mais je m’appelle Manon. En fait, je suis un homme qui est une jeune fille comme toutes les autres. Allez, on résume. J’ai 15 ans et comme je viens de vous le dire, je suis une jeune femme comme toutes les autres. Enfin presque. Parce qu’il y a un truc dans ma vie que les autres jeunes femmes de mon âge n’ont pas. Mathieu. Mathieu est mon baby-sitter. Mathieu, c’est ma passion, mon guitariste ultime, mon hobby, ma marotte, ma chemise humaine, ma religion, je serais capable de tuer pour lui et je pourrais continuer comme ça pendant des siècles et des siècles, amen. Ma mère veut que je fasse une première scientifiq­ue. Moi, je sais ce que je veux faire. Je veux faire « Mathieu » plus tard dans la vie. Je veux faire du rock, je veux boire de la bière à Dublin, je veux me faire sauter par l’homme que j’aime, je veux vivre à Bali, je veux rouler en décapotabl­e, je veux suivre mon chanteur dans tous ses concerts, je veux m’enfiler des cocktails aux noms imprononça­bles avec ma meilleure amie, je veux me blottir contre mon amoureux sur une terrasse qui donne sur la mer, et aucune première scientifiq­ue ne mène à ça.

En revanche, je déteste Antoine. Pire, je le méprise. Antoine est dans ma classe. Antoine ne dit pas : « Viens, je t’offre un café », mais « Viens, je t’offre un petit café ». Antoine fait dans le « petit » comme Don Quichotte faisait dans le « grand ». Hier, il m’a laissé un mot dans mon casier, un « petit » mot bien sûr : « Manon, hier, à la piscine, quand tu es sortie de ta cabine et que tu t’es dirigée vers l’eau dans ton petit maillot de bain blanc une pièce, je suis resté muet l’espace de plusieurs minutes. A te voir, on se mettrait tout de suite à penser que l’attirance n’est au fond qu’une simple question de génétique. Tes petits gènes semblent affluer en limousine, Manon. Tu te déplaces avec une assurance évidente et moi, je suis envoûté par cette petite évidence. Je t’aime Manon. Ton petit Antoine. » Bon, OK, c’est moi qui ai ajouté « petit » à « Ton petit Antoine ».

Mathieu, lui, est grand, fluide avec des pieds immenses. Il pourrait être surfeur si le coeur lui en disait. Il est capable de sentir tous les esprits et même l’esprit de la vague. Il est toujours pieds nus, même au vingt-troisième étage d’un immeuble, pour mieux sentir le sol. D’ailleurs, Mathieu je l’aime de la tête aux pieds et du sol au plafond. C’est grâce à lui si je suis devenu non plus une adolescent­e mais une jeune femme comme les autres. Ce soir, Mathieu est venu nous garder mon petit frère et moi. D’abord, j’ai descendu l’escalier pour le retrouver dans le couloir de l’entrée. J’arborais un short blanc à même la peau, un short à faire mourir Britney Spears en personne. J’avais un haut fuchsia que moi seule pouvais porter. J’ai une petite frange et de grands yeux verts. Je suis le diable en personne et en beaucoup mieux. Et je veux que ce soit avec Mathieu pour ma première fois et avec personne d’autre. Ensuite, je pourrais dire que je ne suis plus un homme ni même une jeune femme mais tout simplement une femme comme toutes les autres.

« Je veux me blottir contre mon amoureux sur une terrasse qui donne sur la mer, et aucune première scientifiq­ue ne mène à ça. »

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