La France en amante humiliée
Un regard américain sur la France : la chronique de Lauren Collins, correspondante du New Yorker à Paris.
Imaginez que vous êtes le ministre de l’Intérieur. Les élections européennes approchent, le terrorisme menace toujours, les forces de l’ordre se fatiguent. Où concentrez-vous votre énergie ? Evidemment, le truc à faire – si on prend comme exemple l’actuel occupant de l’hôtel de Beauvau –, est de saisir une tribune contre un rappeur connu de quelques milliers de personnes. « Je condamne sans réserve et sans ambiguïté les propos inqualifiables et le clip odieux de #NickConrad », a tweeté Christopher Castaner le 19 mai. Il a fait retirer l’oeuvre dudit rappeur des plateformes de streaming et a annoncé vouloir saisir le procureur de la République. Nick Conrad a 35 ans, 6 226 abonnés et deux de ses chansons affolent la classe dirigeante (Castaner a été rejoint par un choeur d’hommes politiques). Dans Pendez les blancs, Conrad songe à entrer dans les crèches et tuer des bébés blancs. Le clip, qui met en scène un lynchage, est, c’est vrai, réaliste et immonde. Selon le tribunal correctionnel, qui l’a condamné à une amende de 5 000 euros avec sursis, « aucun élément ne permet ici de comprendre le caractère fictionnel des appels aux meurtres ». Avec ses références à Billie Holliday, à American history X, Nick Conrad explique avoir créé une fantaisie de l’ultraviolence vengeresse. Dans Doux pays, il imagine la patrie de Charles Trenet en amante humiliée, voire violée. « Je voulais renverser la vapeur pour faire comprendre ce qu’a vécu l’homme noir », justifie-t-il. Un concept de licence artistique que l’on accepte de la part de réalisateurs ou de romanciers. Mais quoi de plus facile pour détourner l’attention quand l’opinion pense qu’on ne maîtrise pas ses dossiers ? Pendre les rappeurs.