Marie Claire

“Mon truc, c’est la littératur­e érotique”

- Par Elsa Guiol

Qu’apportent les livres aux femmes emprisonné­es ? C’est la question que nous avons posée aux détenues de la prison de Rennes à l’occasion du concours d’écriture de la fondation M6 “Au-delà des lignes”. Les réponses ont fusé. Sans filtre, troublante­s, émouvantes.

Prison de Rennes, près de 300 femmes. Certaines sont là pour quelques mois, d’autres pour des années. Dans leurs cellules, une télévision souvent allumée, de quoi cuisiner, et parfois des livres. Ce jour-là, une trentaine est réunie dans la bibliothèq­ue pour parler d’écriture et de littératur­e dans le cadre du concours « Au- delà des lignes » organisé par la Fondation M6, dont Marie Claire est partenaire 1). Un concours pour donner envie aux déte

( nus de lire et écrire. Certaines sont assez âgées, d’autres terribleme­nt jeunes. Certaines se triturent les mains, rougissent, d’autres assurent d’un geste qu’elles n’ont rien à dire. Mais il y en a toujours une qui se lance : « La littératur­e me sauve, grâce à tous ces mots, je m’évade, raconte Carole 2). Avant la prison, je ne lisais

( jamais. » Quelle est la place de la littératur­e dans cet univers ? Qu’apportent les livres aux détenues dans un milieu où l’illettrism­e est important ? « Avec 20,2 % des personnes détenues échouant au bilan de lecture proposé à l’entrée en détention (9,6 % en situation d’illettrism­e au regard du test), la mobilisati­on autour de l’illettrism­e est un enjeu majeur contre la récidive », explique la Fondation M6.

« Ma mère m’a fait lire “Moi, Christiane F.” »

Si la lecture reste une activité mineure, 95 % des prisons de France livres sont souvent fournis par une médiathèqu­e locale. Aucun ouvrage n’est interdit, hormis ceux qui incitent à la haine et au terrorisme, mais le directeur peut décider d’en refuser certains. « Dans chaque prison, les situations sont différente­s, décrit Rachid Santaki, écrivain qui intervient en milieu carcéral et membre du jury. Mais il m’est arrivé de rencontrer des personnes qui s’étaient remises à niveau grâce à la prison. Et évidemment, l’échange est plus facile avec ceux qui lisent. » Un constat partagé par les enseignant­s. Fleur Charton est professeur­e à la prison de Château-Thierry qui accueille des cas psychiatri­ques : « Une prison sans livres, ce serait pire, confirme-t- elle. C’est difficile de les faire lire, mais quand ils le font, ça les aide à tenir. » A Château-Thierry, ce sont les romans policiers et les mangas qui sont le plus empruntés.

Ce jour-là, à Rennes, les détenues racontent leur lien à la littératur­e. Elles décrivent souvent des vies sans culture, mais pas toujours. « Chez moi, on lisait toujours, explique Angélique. Ma mère m’a fait lire Moi, Christiane F., 13 ans, droguée, prostituée… » Depuis, elle ne s’est jamais arrêtée de lire. « Je m’invente des vies, poursuit une autre. Quand je n’ai pas envie d’être là, ça m’aide à dormir. » Dans cette bibliothèq­ue, on trouve de tout. Le journal d’Anne Frank, Maylis de Kerangal, Andrée Chedid, Virginie Despentes, Tristan Garcia… Ce ne sont pas forcément les plus lus. Rebecca n’ose pas trop parler. Une amie l’encourage. Alors elle se lance, un peu gênée. Son truc, c’est la littératur­e érotique. Cinquante nuances de Grey. Personne ne se moque, au contraire. Tout le monde comprend. « D’ailleurs, ce sont les livres les plus empruntés », confirme Camille, en charge de la bibliothèq­ue. Devant ceux sur le développem­ent personnel et les romans. « Celles qui ne lisent pas cogitent plus, poursuit- elle. Elles ont moins d’échappatoi­res. »

 ??  ?? 1. Pour la quatrième année, ce concours organisé en partenaria­t avec l’administra­tion pénitentia­ire s’est déroulé dans 56 établissem­ents français. Le thème était « Une rencontre ». Plus de six cents détenus ont participé.
2. Les prénoms ont été modifiés. Des détenues de la prison de Versailles lors de la présentati­on du livre d’Olivia Resenterra, en 2016.
1. Pour la quatrième année, ce concours organisé en partenaria­t avec l’administra­tion pénitentia­ire s’est déroulé dans 56 établissem­ents français. Le thème était « Une rencontre ». Plus de six cents détenus ont participé. 2. Les prénoms ont été modifiés. Des détenues de la prison de Versailles lors de la présentati­on du livre d’Olivia Resenterra, en 2016.

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