Marie Claire

La féminité dissidente de Monia Chokri

La réalisatri­ce, découverte comme comédienne chez Xavier Dolan, signe un premier film réjouissan­t*. Portrait d’une trentenair­e qui s’intéresse à une féminité sans séduction ni posture.

- Par Emily Barnett

Monia Chokri n’a presque rien gardé de ce petit accent qu’elle avait dans Les amours imaginaire­s, le film de Xavier Dolan qui l’a révélée comme actrice en 2010. Elle vit toujours à Montréal, fait beaucoup de théâtre, un peu de cinéma. Dans son premier long métrage, montré pour la première fois au festival de Cannes, elle remercie au générique son ami cinéaste.

« Xavier et moi, on se reconnaît dans notre côté arabe, explique-t- elle. Il a un père égyptien, moi un père berbère tunisien, on a tous les deux un côté très volubile, des envolées de colère mais aussi de grandes joies. » La femme de mon frère se penche sur le lien fusionnel d’une soeur et d’un frère qui tourne au vinaigre quand celui-ci lui présente sa fiancée, une blonde aux airs de madone. « Quand on écrit un premier film, je crois qu’on a intérêt à parler de ce qu’on connaît. J’ai un frère et on a eu cette relation de fusion vers la vingtaine. Cet amour fraternel qu’on apprend en bas âge, on le reproduit d’ailleurs parfois plus tard dans la vie de couple. » Comédie électrique, n’hésitant pas à égratigner la mauvaise foi de ses personnage­s, La femme de mon frère brosse le portrait d’une trentenair­e célibatair­e à la recherche de l’amour et d’un travail. « Le cinéma est encore un monde d’hommes et leur manière d’articuler les personnage­s féminins est parfois un peu trop dans le fantasme, même dans le choix des actrices. Les femmes ont toujours le sentiment qu’elles ne sont pas à la hauteur du corps et de la beauté des comédienne­s à l’écran. J’essaie de dépeindre de manière parfois un peu grotesque ce que j’imagine être une femme. Mon héroïne n’est pas dans la séduction ni dans la posture, elle mange parfois mal, s’habille mal, a les épaules rentrées… J’aimerais que les femmes se reconnaiss­ent dans ce portrait qui tente d’être le plus juste possible. »

« De comédienne à réalisatri­ce, un passage vital »

Interprété­e par la formidable Anne-Elisabeth Bossé, cette Sophia, avec son sens de l’humour taquin et sa nature corrosive, fait un bien fou tant elle renverse les codes de la féminité. Avec l’accueil déjà enthousias­te de ce premier long métrage, Monia Chokri, elle, semble bien partie pour continuer à transmettr­e cette vision iconoclast­e de la femme au cinéma, dans la lignée d’une Lena Dunham. « J’avais besoin de m’épanouir par l’écriture, par les images ensuite, et par la force des choses, ce passage du métier de comédienne à celui de réalisatri­ce est devenu vital », conclut- elle en agitant ses mains ornées de discrets tatouages berbères. « Je les ai fait faire en Tunisie par la première femme tatoueuse tunisienne, un métier plus ou moins illégal là-bas. Ma grand-mère était tatouée sur le visage et sur les bras. C’est donc un hommage à mes origines, à la liberté de ces nomades à la fois libres et liés à la terre. »

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1. Monia Chokri, comédienne et réalisatri­ce canadienne.
2. Anne–Elisabeth Bossé dans La femme de mon frère. La femme de mon frère de Monia Chokri, avec Anne–Elisabeth Bossé, déjà en salles.
1 1. Monia Chokri, comédienne et réalisatri­ce canadienne. 2. Anne–Elisabeth Bossé dans La femme de mon frère. La femme de mon frère de Monia Chokri, avec Anne–Elisabeth Bossé, déjà en salles.
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