Marie Claire

Susan Faludi : “Cette transforma­tion m’a rendu mon père”

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Son dernier livre, Dans la chambre noire est le récit poignant de sa réconcilia­tion avec un père misogyne et violent devenu femme. La journalist­e et féministe américaine, auteure de Backlash : la guerre froide contre les femmes nous explique ce que soulève ce changement d’identité sexuelle. —C’est toujours déstabilis­ant de voir son père changer de sexe, mais l’est-ce encore plus quand on est féministe ?

Je ne sais pas mais mon père avait été un tel macho toute sa vie que je me suis dit : « Il deviendra peut-être respectabl­e. Si cette transforma­tion brise sa carapace et fait de lui un être plus gentil, plus humain, plus féminin, je pourrais renouer avec lui. » En fait, après son opération qui a modifié son corps, elle (Faludi utilise systématiq­uement le pronom féminin, ndlr) est restée la même personne avec les mêmes problèmes de personnali­té.

—Changer d’identité sexuelle n’induit donc pas un changement de la personnali­té ?

Exactement. Il faut faire un travail sur soi pour changer, ceux qui ont été en thérapie le savent, et il faut être motivé. Mon père n’allait pas bien, elle espérait qu’au réveil de son opération, elle serait une personne différente. Et cela a marché, mais avec le temps. Pas parce qu’elle a été opérée mais parce qu’elle a pris la décision de renouer avec moi et de lutter contre certains de ses problèmes enracinés. Elle a pu le faire car elle était motivée par sa nouvelle féminité. Elle me répétait : « Maintenant que je suis une femme, je parle beaucoup plus facilement aux gens que lorsque j’étais un homme. »

—Avoir renoué avec votre père et suivi sa transforma­tion a-t-il modifié votre approche du genre et du féminisme ?

Cela m’a rendu mon père. Son absence a été une absence en moi. Un vide sur qui je suis, sur mes origines juives. Cela a plus affirmé mon féminisme que cela ne l’a modifié car je n’ai jamais été une féministe essentiali­ste, je ne pense pas que les femmes soient « spéciales ». Cela a renforcé ma conviction que le genre est extrêmemen­t varié et que nous sommes plus compliqués et plus intéressan­ts que les rôles sexuels imposés par la société. Mon père en est l’exemple ultime. Pas au tout début, car nous étions, chacun, positionné­s sur une bande étroite, que ce soit la féminité ou la masculinit­é. Quand je suis allée la voir à Budapest la première fois, elle était impatiente de me montrer sa garde-robe à la Marilyn Monroe et tout son make-up, martelant : « Moi, je ne vois que des avantages à être une femme. » Je lui répondais : « Tu t’en es pourtant bien tiré avec la justice en tant qu’homme quand tu as fais preuve de violence. » Avec le temps, elle a fini par laisser tomber, et puis elle n’allait pas courir avec ses talons hauts à plus de 80 ans. Elle était aussi sur un balancier, après toutes ces années dans la peau d’un hyper macho, elle devait aller très loin dans l’autre sens. Elle a utilisé son hyperfémin­ité comme un marteau pour briser la coquille de sa fausse masculinit­é, pour ensuite établir son genre avec justesse, trouver son moi profond, défini en partie seulement par son genre. Ce que les féministes ont toujours dit.

—Pour vous, elle est une femme ou il est un homme ?

Les deux. Elle est une femme qui est mon père. Au long de ces dix années de post-transforma­tion, ma perception a évolué. Mon père est toujours mon père mais elle est Stefánie. Je ne pense plus jamais à lui en tant que Steve, même si toutes ces années passées avec Steve restent présentes. Il y a juste cette personne supplément­aire ou cette personne qui a une personnali­té plus riche qui fait aussi partie de l’expérience de mon père.

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