Marie Claire

“Les jeunes aujourd’hui, en colo, ils sont chauds”

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“Les jeunes aujourd’hui, en colo, ils sont chauds” “En colo, tu sais que tu peux tout te raconter, parce que ça va pas être répété en dehors. C’est un peu comme ils disent dans les émissions de téléréalit­é : les sentiments sont décuplés, on s’attache beaucoup plus vite.” Nadya et Mimi, 14 ans

Nadya, Kevin ou Marie ont en moyenne 15 ans, et vont passer une semaine au Grau-du-Roi en centre de vacances avec l’UCPA. Vont-ils lâcher leur smartphone ? Tomber amoureux ? Comment vont-ils exister au sein du groupe ? Entre vannes, insultes et confidence­s, nos deux reporters ont plongé dans l’adolescenc­e d’aujourd’hui.

Dans le TGV qui les conduit de Paris à Nîmes, Nadya, presque 14 ans, Kevin et Issa, 14 ans, sont assis au hasard, ils ne savent pas encore qu’ils seront très proches. Il y a aussi Marc, Marie, Antoine et Jean, se regardant du coin de l’oeil, écouteurs aux oreilles. Marie, 16 ans, qui vit dans le 8e arrondisse­ment de Paris et fréquente un lycée privé réputé, est un peu inquiète de ne pas voir d’autre fille de son âge. « Dans le train, on se fait des préjugés, explique Issa, qui vit dans un quartier plus défavorisé, avec une fratrie nombreuse. Après, on s’aperçoit que les gens sont juste timides. Il faut quelqu’un pour casser la barrière, aller leur parler. Je suis ce genre de personne. » Sauf qu’en sortant du train, c’est Issa qui se fait aborder par Marc, 15 ans, carré souple et sourire large. Issa adore tout de suite « sa bonne humeur » et lui propose de partager sa chambre avec deux autres garçons.

Avant de partir, on nous avait prévenus : « Tu vas voir, les jeunes aujourd’hui en colo, ils sont chauds. Mêmes les moniteurs ne peuvent plus les tenir. » Chauds ? A 15 ans ? On imagine bien les premiers émois, les rapprochem­ents fragiles et maladroits. Mais chauds ? Alors nous voilà dans le train, direction Grau- du-Roi, en Camargue. Prêtes à partager une semaine de colo. Condensé de société humaine vécu à cent à l’heure. A l’arrivée, une navette emmène les « juniors » (13-17 ans), et les « kids » (moins de 13 ans), dans l’un des plus grands centres de sport nautique UCPA de France. Un bâtiment de béton plutôt design où les espaces communique­nt : un patio avec pelouse, coussins et tables de ping-pong, un terrain de beach-volley, un trampoline, un grand réfectoire aux buffets étonnammen­t appétissan­ts. Parmi l’équipe d’animateurs, Victoria, 24 ans, taches de rousseurs, yeux de chat, taille haute, Vincent dit Vince, 21 ans, allure américaine, muscles fins et saillants, seront chargés des juniors sous l’autorité d’Arnaud, 25 ans, casquette retournée et air débonnaire, directeur de séjour, qui a une formation d’éducateur spécialisé : « L’accueil est déterminan­t. Les ados sont dans une quête d’identité, il

faut qu’ils testent le cadre. Je pose tout de suite les règles non négociable­s : pas d’alcools ni de drogues, pas de téléphone portable pendant les activités. J’énumère les sanctions, qui vont de l’appel aux parents jusqu’à l’exclusion. » Mais il est sympa Arnaud, les jeunes l’aiment tout de suite et ça l’arrange car il a besoin de leur confiance. Pour s’occuper par exemple des affaires de flirt et de sexualité, toujours un peu dans l’air pendant une colonie. Victoria : « A 13 ans, ils commencent à être très chauds, il faut surveiller. Les garçons ont les hormones qui fusent, ils aiment bien me dragouille­r pour tester leur potentiel charme. » C’est donc vrai. Victoria gère avec un sain humour et ouvre l’oeil. Damien, l’adjoint d’Arnaud prévient : « On n’a pas le droit de leur dire que la sexualité est interdite, parce qu’elle ne l’est pas. Mais on doit les sensibilis­er. » Arnaud : « On gère au cas par cas. On montre qu’on n’est pas fermé à la discussion sur le sujet pour qu’ils puissent venir se confier. Quand j’en vois deux qui chafouinen­t (draguer, ndlr), on pose des questions : “Tu es sûr que c’est la bonne personne ? Le bon endroit ?” On a un devoir de prévention, on leur parle de respect de leur corps et de celui de l’autre. » Marc, Joachim, Timothée et Jojo, 15 ans : « Ce qui se dit, c’est qu’en colo, tu peux pécho. Et aussi que ce qui se passe en colo reste en colo. » Mimi et Nadya, 13 ans : « Les garçons sont gentils ici, mais ils se ressemblen­t tous. » Bon.

« Ici, tu sais que tu peux tout raconter »

Les premiers jours, des rapprochem­ents, il n’y en a pas. La proportion de vingt garçons pour trois filles n’est pas idéale. L’équipe encadrante affiche une humeur frénétique­ment joyeuse : rires, musique, chorés impromptue­s, apostrophe­s gentiment ironiques dès le petit- déjeuner, défis (se rouler en boule dès qu’un animateur crie « Autruche ! » ), jeux et vannes. La glace a fondu dès le speed dating amical organisé à la première veillée. Toutes les animations tourneront autour d’une thématique « agent secret ». Un oeil adulte trouverait cette joie volontaris­te, mais « c’est fait pour montrer qu’il n’y a pas de honte à avoir »,

traduit Vince, et ça marche. A de rares exceptions près, les jeunes adorent. Les activités sportives, kitesurf, catamaran, windsurf, occupent les journées, rythmées par la cantine ou les pique-niques, les temps libres, les veillées thématique­s, et parfois les sorties libres ( presque exclusivem­ent pour l’achat de bonbons, sodas et chips) au petit centre commercial bordé d’une jolie plage. En mer, l’uniforme en néoprène et l’intimité des bateaux achèvent de former des groupes d’affinités. Nadya et Mimi, par exemple, se sont choisies pour une amitié déjà fusionnell­e : « Dans nos lycées, les rumeurs vont vite. Ici, tu sais que tu peux tout te raconter, parce que ça va pas être répété en dehors. C’est un peu comme ils disent dans les émissions de téléréalit­é : les sentiments sont décuplés, on s’attache beaucoup plus vite. » Issa, Marc, Antoine et Joachim mais aussi Alexandre dit Jojo, qui chante aussi bien le rap que des chansons franchouil­lardes, s’imposent assez vite comme leaders. « Ceux-là, il faut les avoir tout de suite dans la poche, théorise Vince, parce qu’ils arrivent à réguler le groupe, sans qu’on intervienn­e. » De l’avis de l’équipe encadrante, cette semaine, c’est un bon groupe : soudé, joyeux, qui inclut gentiment les plus timides. « La plupart sont des habitués de la colo », explique Vince.

Un matin, un copain de Mimi lui révèle en mer que les garçons ont voté pour définir quelle fille est « la plus belle » . Pas nouveau comme jeu, mais pas moins cruel. Les filles ne semblent pas s’en soucier, elles haussent les épaules face à notre regard inquiet et surpris. C’est Marie qui a gagné mais Mimi et Nadya font comme si ces histoires de physique et de regard de l’autre ne les atteignaie­nt pas vraiment. On voit bien pourtant que Nadya n’est pas à l’aise avec l’image de son corps. Elle passe des heures dans la douche, dessine ses sourcils et lisse avec soin ses cheveux bouclés, mais déteste se voir en photo, refuse de danser en public, picore à la cantine. Kevin, que personne n’a remarqué les premiers jours, mais qui enchaîne les blagues, a fait savoir à tue-tête qu’il est fou de Nadya. Lors d’un jeu de rôle appelé le Loup-Garou, il a comploté avec Issa pour être « mis en couple avec elle ». L’intéressée prétend en pouffant n’être pas au courant. D’autres ont lâché l’affaire. Marie : « Je n’ai pas l’intention de sortir

avec quelqu’un. » Jean, qui trouvait Marie jolie : « J’ai vite laissé tomber, les filles sont minoritair­es, elles restent entre elles. » Pour lui, ce sera une histoire d’amitié avec « ses potes » : « On joue aux cartes, on fait des vannes. L’autre jour, quelqu’un a mis un film porno à fond dans une enceinte à 3 h du matin. » C’est une nouveauté sociétale : tous ces garçons et filles ont accès à n’importe quel contenu sur leurs téléphones portables. Le porno fait partie du quotidien : « Tout le monde en a vu au moins une fois, admet Jean. Après, y a ceux qui abusent. » Ici aussi ? « Ici comme ailleurs. » Les moniteurs gardent leur réserve : « On n’intervient que si on en surprend un. Là, on en parle, on explique que ce sont des mises en scène qui n’ont rien à voir avec la réalité », précise Arnaud.

Les téléphones ressurgiss­ent

Plusieurs fois par jour, Victoria l’animatrice et quelques chefs parmi les « colons » (les ados) hurlent en se croisant des « Je t’aime ! Epouse-moi ! ». En mer, chacun progresse. Nadya apprivoise l’eau, dont elle avait peur. Ceux qui font du kite s’amusent. A midi ou le soir, on s’affale en meute sur les grands coussins du patio, les téléphones ressurgiss­ent, certains y jouent, d’autres écoutent de la musique – surtout du rap –, chacun tentant d’imposer sa playlist sur l’enceinte wi-fi, et des tournois de ping-pong s’improvisen­t. On se traite de « bonhomme », on échange des vannes où la méchanceté affleure parfois, et la violence verbale souvent. Les « fils de pute ! » fusent à un rythme soutenu. « Ils sont confrontés à la violence tout le temps, sur les réseaux sociaux, dans les paroles du rap, au cinéma… On ne va pas les changer en une semaine, commente Arnaud. Mais on contrôle qu’ils ne franchisse­nt pas la frontière. » Lorsqu’une insulte est trop brutale, qu’un geste violent s’esquisse, les animateurs font retomber la tension avec une pointe d’autorité, ou une vanne experte. Le dernier soir, il y a ensuite un cabaret où chacun est invité à s’exprimer après une séquence « tapis rouge » où même Aurélien, un garçon sensible et isolé qui avait du mal à s’adapter ( « Les autres

faisaient trop de bruit » , confie-t-il) avant de tenter lors du séjour une fugue pour rentrer chez lui, est acclamé. Victoria et Vince dansent comme des fous, Arnaud assure la plancha, Kevin fait un stand up : ses vannes tombent à plat mais il les assume. Le banquet part un moment en chenille, les « kids » sont aux anges. Ce sont eux qui ambiancent le début de la boum. Certains ados les imitent. Dans un coin, Nadya, Mimi, Issa et Kevin ont les yeux rivés sur leurs petits écrans. Après quelque résistance, Nadya laisse Kevin passer son bras autour de ses épaules. Mimi, qui ne cache pas son adoration pour le grand Issa, repousse en revanche sa main lorsqu’il tente avec douceur de caresser sa taille. Les kids vont se coucher. La boum continue, la plupart des juniors s’éparpillen­t malgré la play-list survoltée des animateurs. Ensuite… c’est tout. « On a patrouillé après l’extinction des feux, mais rien », rapportera Victoria, presque déçue. Le lendemain, la plupart des adieux sont discrets, même ceux de Marc, l’une des mascottes de la semaine. En partant, Antoine, qui forme un trio fusionnel avec Kevin et Issa, retourne les embrasser deux fois avant d’enfiler, l’oeil brillant, des gants Nike noirs, comme en signe de tristesse.

Une tendresse enfantine infinie

Vers 17 h, le gros de la troupe s’engouffre dans une navette, puis dans un TGV. Après trois heures de fameux bordel dans le wagon, les jeunes débarquent, leurs parents les attendent. Une émotion fatiguée plane. Nadya et Mimi s’enlacent comme des soeurs. « On s’appelle. » « Obligé. » Kevin a encore caressé l’épaule de Nadya, puis ses parents ont surgi et tout a disparu. L’oeil matois du garçon s’est rempli de douceur. Comme le grand Issa, dont l’autorité naturelle et l’influence confiante sur ses pairs s’est naturellem­ent imposée : lorsqu’il aperçoit sa mère, une tendresse enfantine infinie recompose son visage. A 15 ans, les « bonshommes » sont encore des petits garçons.

Tous nos remercieme­nts à l’UCPA pour son aide et son accueil.

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Tous les jours, les adolescent­s de la colonie partent naviguer.
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Aure, Arthur et les plus de 15 ans ont négocié une sortie non accompagné­e, et savourent, dans les dunes, une pizza dont ils partageron­t les restes avec les goélands.
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Dernière soirée au centre de loisirs, où le groupe des plus jeunes est le premier à mettre de l’ambiance.
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Entre deux sorties en mer, les enfans se reposent.
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1. Aure monte sa voile avec son coéquipier. semaine, comme à chaque colo, une boum est organisée.
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Sous l’autorité du charismati­que Paco (devant), Aure, Romain, Hippolyte, Etienne, Samuel, Mathieu et Ethan (de d. à g.) rentrent de leur quartier libre avant même l’heure prévue. Ce que les animateurs appellent « un bon groupe » .

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