Marie Claire

Ils ont fait une GPA et ils l’assument

Ils ont eu, dans la plus grande confidence, un enfant grâce à la gestation pour autrui. Une pratique plébiscité­e par 55 % des Français qui ne cesse de se développer mais reste totalement interdite. Ils ont accepté de nous raconter leur expérience. Et leur

- Par Catherine Durand — Photos Jules Faure

“On veut que cela évolue en France, où les actes de naissance ne sont pas transcrits sur le registre de l’état civil sans procédure d’adoption alors que ce sont nos enfants. Ils auront besoin d’un avocat à temps plein pour récupérer leur héritage à notre décès. C’est honteux. (…) On a décidé d’avoir un troisième enfant.”

Serge Bismuth (en haut) et Pascal Bouffard, avec Victor, 1 an, et Julia, 3 ans.

« Je peux comprendre les positions des anti-GPA mais je suis une femme hétéro qui n’a pas d’utérus, je ne peux pas porter d’enfant, c’est une injustice, j’en pleure de rage. Je suis née avec une malformati­on, ce n’est pas de ma faute. Je ne cherche à convaincre personne mais ma fille va très bien, elle n’a juste pas été fabriquée comme tout le monde. Quand on m’a dit à la mairie de Suresnes, “Vous n’êtes pas sa mère’’, cela a été violent, j’ai eu un eczéma géant. Je suis en colère contre Macron qui n’a pas tenu sa promesse de campagne. » Deborah Lentschene­r se sent flouée. Comme beaucoup d’autres familles qui ont fait une gestation pour autrui (GPA) à l’étranger car cela est interdit en France, elle a cru le président – qui n’a toutefois jamais caché son opposition à la « marchandis­ation du corps » – quand il a déclaré, notamment dans nos pages : « L’enfant né d’une GPA à l’étranger ne

(1) doit pas être pénalisé par le projet parental, et je suis pour lui reconnaîtr­e sa filiation à l’état civil. » C’était compter sans une forte opposition au sein même de son parti.

Lors de l’examen du projet de loi bioéthique à l’Assemblée nationale, l’amendement du député LREM JeanLouis Touraine 2), pour « permettre la reconnaiss­ance de

( la filiation des enfants nés de GPA à l’étranger en faisant exécuter une décision de justice étrangère qui établit la filiation », a été voté le 3 octobre dernier en première lecture. Puis rejeté six jours plus tard après que le gouverneme­nt a demandé une deuxième délibérati­on. Pour le député, un médecin qui a rencontré beaucoup de femmes infertiles en souffrance : « On ne tiendra pas longtemps à interdire la GPA éthique pour des raisons éthiques. Je ne parle pas de la GPA commercial­e, des femmes pauvres à la dispositio­n de femmes riches ou d’actrices, de mannequins ou de sportives qui refusent la déformatio­n du corps liée à la grossesse. Et c’est aussi un combat pour les droits de l’enfant, il faut protéger les plus vulnérable­s. On revit l’époque révolue des “bâtards” qui n’avaient pas les mêmes droits que les enfants légitimes. »

« Plus de demandes que d’offres »

Alors que la PMA pour toutes est entrée depuis longtemps dans les moeurs et récemment dans la loi, la gestation pour autrui reste un point de fracture au sein des mouvements féministes et de nos intellectu­els qui s’affrontent à coup de tribunes dans Le Monde 3). « Ça

( va vous faire hurler mais la femme qui porte un enfant pour une autre, sans donner ses ovocytes, moi je l’assimile à une nourrice », assume Élisabeth Badinter. La philosophe féministe, auteure du fameux essai L’amour en plus, publié en 1980, voit dans le rejet de la GPA la résurgence de la notion d’instinct maternel : « Se séparer d’un enfant qu’on a porté est inconcevab­le pour beaucoup de personnes. Comme je ne crois pas à l’instinct maternel, ce n’est pas un sujet qui me dérange. D’autres sont peut

Bénédicte, 37 ans, et Jonathan, 36 ans*, ambulancie­rs dans le Morvan, une fille, Abby, 7 mois.

« Je rencontre Jonathan en 2009 et, en 2012, à 29 ans, on me diagnostiq­ue un cancer du col de l’utérus à un stade avancé. Avant la chimio, on récupère six ovocytes, conservés au CHU de Dijon. On ne sait alors pas qu’on ne pourra jamais les sortir du territoire. Après six mois de traitement, je reprends le travail, on est ambulancie­rs à notre compte. On pense à l’adoption, mais je ne veux pas priver mon mari de son envie de transmettr­e ses gènes. Impossible de faire une GPA dans notre pays, on le vit comme une injustice, alors on choisit les États-Unis, où c’est légal. En octobre 2017, on part en Floride. Sur la base de données de l’agence, aucune donneuse ne me ressemble, ce sera finalement une infirmière de 22 ans à qui on ponctionne seize ovocytes. Je ressens un stress incroyable avant de rencontrer Melinda, la mère porteuse qui nous a choisis. Elle arrive avec ses filles de 12 et 14 ans et son mari Carlos. Elle a 42 ans, manager dans la santé, elle a déjà porté un enfant pour un couple algérien. Entre nous, c’est une évidence. Elle tombe enceinte en septembre 2018 et, quatre mois plus tard, on apprend que c’est une fille. C’est clair dans ma tête, je vis la grossesse par procuratio­n. Le jour de la naissance, le 21 mai 2019, on part tous les quatre à l’hôpital. On est dans le bloc quand ils sortent Abby du ventre de Melinda, on coupe le cordon, tout le monde pleure. Dix jours plus tard, on reçoit son certificat de naissance avec nos deux noms, nous sommes reconnus par l’État de Floride comme ses parents. Une GPA coûte entre 100 000 et 120 000 dollars, on y a mis toutes nos économies et fait un emprunt. Dans notre village de six cents habitants, tout le monde connaît notre histoire, mon cancer, notre GPA et trouve que “c’est injuste de ne pas pouvoir le faire en France”. Au tribunal de Nantes, le juge qui sent les GPA à des kilomètres refuse les transcript­ions. Abby est inscrite à la Sécurité sociale, à la CAF, mais pas à l’état civil ni sur notre livret de famille. Nous allons nous marier, je veux porter le même nom que ma fille. Nous avons invité Melinda avec sa famille, on se parle une fois par mois. Il y a dix ans, ce n’était pas facile pour les couples hétéros de parler, nous on est plus jeunes, on n’a pas le même regard sur la GPA. Et puis, les femmes qui ne peuvent pas enfanter ne doivent plus être oubliées du débat. »

(*) Nos témoins n’ont pas souhaité faire apparaître leurs noms de famille.

Pascal Bouffard, 48 ans, et Serge Bismuth, 62 ans, opticiens à Aulnay-sous-Bois, une fille, Julia, 3 ans, et un garçon, Victor, 1 an.

« C’est arrivé tard, ce désir d’enfant, on s’est rencontré en juin 1992 et on n’imaginait pas que cela existait même si la GPA se fait depuis quarante ans aux États-Unis. On est opticiens, spécialisé­s enfants et bébés depuis sept ans. Cela a cheminé dans nos têtes, et un reportage à la télévision sur la GPA d’un couple de garçons a tout déclenché. On ne voulait pas attendre cinq ans une adoption qui ne se ferait pas et la coparental­ité nous paraissait difficile, alors on a pris contact avec une agence en Californie. Mais c’est nous qui avons trouvé Amber via un site. Elle nous a dit qu’elle voulait faire cette expérience. Julia est née le 8 septembre 2016. Amber a accouché dans le New Hampshire, dans une maison de naissance à 20 km de chez elle. On a coupé le cordon. Un moment très beau, empli d’ondes positives. Julia est née à midi et à 20 heures, il fallait repartir. Avec l’acte de naissance où figurent nos noms en tant que papa 1 et papa 2, on a eu le passeport américain de Julia en une heure. Mariés en juin 2016, on lui a choisi Bismuth comme nom de famille. On n’a jamais rien caché à nos clients, Serge a ouvert sa boutique en 1982, tout le monde attendait le bébé avec des

cadeaux. Comme on voulait une fratrie, on s’est lancé dans une deuxième GPA, avec l’avocat et nos embryons en stock à la clinique de fertilité. Cette fois, nous sommes allés voir Haley, 30 ans, deux enfants, en Alabama. Victor est né le 21 janvier 2019. La première GPA a coûté 140 000 dollars dont 35 000 pour la mère porteuse. Moins pour Victor, car on n’a pas payé l’agence ni les embryons. On a des amis qui ont vendu leur appartemen­t pour faire une GPA. Pour Amber et Haley, c’est très clair, elles ne sont pas dans le besoin, c’est une bonne action qui apporte un peu de confort matériel à leur famille. Nous, on a fait un pari sur la vie. On veut que cela évolue en France où les actes de naissance ne sont pas transcrits sur le registre de l’état civil sans procédure d’adoption alors que ce sont nos enfants. Ils auront besoin d’un avocat à plein temps pour récupérer leur héritage à notre décès, c’est honteux. Ils sont traités comme des “bâtards de la République”. On a décidé d’avoir un troisième enfant. On devra changer notre organisati­on mais comment passer à côté de ça ? D’un enfant qui vous appelle papa. »

Deborah Lentschene­r, 48 ans, astrologue à Suresnes, une fille, Hannah, 6 ans et demi.

« Je suis une fille Distilbène, j’ai toujours su que ce serait compliqué d’avoir un enfant. Un jour, j’ouvre Marie Claire et je lis “Génération Distilbène”, je fonce voir la spécialist­e, la Dre Cabau. Elle m’examine : “Vous n’aurez jamais d’enfant ou alors il sera tellement petit que vous ferez une fausse couche.” J’ai 27 ans, je sors en larmes. Des années plus tard, mon mari, qui a déjà deux enfants, accepte de se lancer dans la PMA. Deux FIV ratent. Je consulte le Dr François Olivennes et, en 2007, je tombe enceinte du premier coup. Mais à quatre mois de grossesse, je fais une fausse couche, c’est très violent. Je ne sens pas l’adoption, on décide de faire une GPA aux États-Unis. Avec ma première mère porteuse, les FIV ne fonctionne­nt pas. La deuxième fait une fausse couche.

Je me roule par terre. Mon mari veut que je fasse une pause, pas moi, j’ai perdu trop de temps. Quand l’agence en Floride me présente Shatoya, j’ai un coup de foudre. Elle est belle et douce. “Pourquoi tu fais ça ?” Elle me répond : “J’aime être enceinte.” Elle a déjà trois enfants : “Je leur dis que tu es la dame de France qui a le ventre cassé et moi la maman kangourou.” Shatoya est noire, elle m’a choisie et je trouve ça drôle, il n’y aura pas de transfert psychologi­que. On lui implante les deux embryons qu’il me reste. C’est l’agence, pas la mère porteuse qui communique avec toi, mais Shatoya m’envoie, avant la gynéco, son test de grossesse. On a une relation extraordin­aire. Elle accepte que j’assiste à l’accoucheme­nt. Hannah devait naître le 8 mai 2013 mais le 7 au matin, on m’appelle : “Césarienne dans 40 min.”

On fonce en taxi, je suis en maillot de bain. Je suis tétanisée par l’émotion. Hannah arrive dans un petit berceau et je lui donne son premier biberon. Le 15 mai, je rentre en France avec son passeport américain. Huit ans de PMA, cela abîme vraiment. J’ai fait une GPA éthique, pas une de confort comme l’actrice de Sex and the City. Aux États-Unis, c’est encadré.

Ici, j’ai rencontré des mères porteuses sous le manteau, des prostituée­s, dans le nord de la France. Je sais que c’est un truc de riche, ça nous a coûté plus de

100 000 euros mais j’assume. Aujourd’hui, Hannah, notre embryon après une FIV faite aux États-Unis, n’est pas légalement ma fille. Il faudrait que je l’adopte, je refuse. Je suis née avec une malformati­on, ce n’est pas de ma faute. Si je témoigne, c’est pour que les petites filles nées cardiaques ou sans utérus (syndrome MRKH) puissent, demain, avoir des enfants. »

“Je suis une fille Distilbène (…). Huit ans de PMA sans résultat, cela abîme vraiment. J’ai fait une GPA éthique, pas de confort.”

être comme moi car ce tabou est moins fort qu’il y a vingt ans parce qu’on ose désormais dire “Moi, je veux une vie sans enfant”, ou même “Je regrette d’être mère”. Et comme cela n’implique pas une amputation de soi-même, on n’enlève pas un rein, je soutiens le principe de la GPA. Mais avec un encadremen­t strict comme en Grande-Bretagne. Évidemment, on ne trouvera pas des centaines de femmes volontaire­s, en Angleterre, c’est deux cents à trois cents par an, il y a plus de demandes que d’offres. »

« On peut se regarder dans la glace »

Combien sont-ils, en France, ces enfants qui ne sont pas fabriqués comme tout le monde ? Aucun chiffre, juste des suppositio­ns. « Je pense, pour savoir la difficulté d’avoir un enfant grâce à la GPA, que le nombre de couples de Français qui partent à l’étranger ne dépasse pas les quelques centaines par an », estime l’avocate Caroline Mecary 4), qui plaide depuis dix ans pour des fa

( milles concernées. En Floride, où elle vit depuis une vingtaine d’années, Sandrine Levy, après avoir été deux fois mère porteuse, accompagne depuis 2013 des candidats à la GPA. « 95 % de mes clients sont Français et de plus en plus nombreux. J’ai déjà aidé à la naissance d’environ soixante bébés. » Son rôle : trouver des mères porteuses qui correspond­ent à ses clients dans les États américains favorables à la GPA, tous n’imposant pas les mêmes critères, « certains exigent que le couple soit marié, ou hétérosexu­el, ou que l’un des deux parents soit génétiquem­ent lié à l’enfant ». Un parcours compliqué et onéreux. « Aujourd’hui, une GPA, coûte environ 130 000 à 140 000 dollars avec don d’ovocytes. Les prix augmentent, il y a pénurie de mères porteuses depuis que les clients chinois sont arrivés sur le marché américain en offrant plus d’argent. La GPA, c’est un business pour tout le monde sauf pour la mère porteuse qui perçoit environ 35 000 dollars. » Ne dites pas à Sandrine Levy qu’elle a porté un enfant pour arrondir ses fins de mois. « On est volontaire et stable financière­ment, mais qui porterait un enfant pour une inconnue sans compensati­on financière ? On a un contrat, on peut se regarder dans la glace. On est altruiste, si on le faisait pour l’argent je n’aurais pas pris 20 000 dollars. Je ne suis pas une fée, ma décision était aussi égoïste, je ne voulais plus de gosse et j’adore être enceinte. Et j’ai pu aider deux couples, dont un gay. J’ai porté et rendu, et non donné, un enfant à ses parents. » Tout serait aussi une question de mentalité. « Ici, des femmes qui vont à l’église sont prêtes à porter un enfant pour des homosexuel­s. On ne pense pas pareil… » Ambulancie­rs dans un village de six cents âmes dans le Morvan ou opticiens à Aulnay-sous-Bois en ban

lieue parisienne, nos témoins racontent le soutien et la bienveilla­nce de leur entourage qui, ému par leur désir d’enfant inassouvi, n’est pas choqué par leur recours à une mère porteuse. Comme la majorité des Français si on en croit le sondage BVA (2018) : 55 % sont favorables à la GPA et 32 % le sont que le couple soit hétérosexu­el ou homosexuel. Une évolution de la société française qui aura mis des années à infléchir les décisions de justice alors que dans le droit français, la filiation n’est pas liée à la nature.

Lors d’une GPA, il y a le père biologique et le second parent, sa compagne ou son compagnon. Ces « pères et mères d’intention » devaient jusqu’à récemment entreprend­re, le plus souvent, une procédure d’adoption pour voir établir un lien de filiation. Une adoption vécue comme une aberration par celles qui ont donné leurs ovocytes à la gestatrice, des mères d’intention

génétiquem­ent liées à leur enfant. « Je ne cesse de dire depuis des années que le refus de la transcript­ion de la filiation de ces enfants est le résultat d’une volonté de punir les parents qui ont eu recours à la GPA, déplore l’avocate Caroline Mecary, qui n’a cessé de multiplier les recours jusqu’à la cour européenne de justice. La meilleure preuve est que la cour de cassation a enfin autorisé, le 4 octobre dernier, la transcript­ion en France des actes de naissance désignant la mère d’intention. C’est un pas supplément­aire vers la régularisa­tion des enfants nés par GPA. » Pour le député Jean-Louis Touraine, il est temps de légiférer : « Le paradoxe est que ce sont actuelleme­nt les magistrats qui font la loi sur ce sujet. Mais sans brûler les étapes, la PMA pour toutes en est une, organisons-la, ensuite on ouvrira le chantier de la GPA éthique en l’encadrant bien pour éviter dérives et contestati­ons, fidèles à notre éthique française. » En ces temps de protestati­on, le recul du gouverneme­nt est évidemment très politique. « On ne va pas rajouter un front de plus, mais de toute façon, ça se fera, conclut Élisabeth Badinter. On ne pourra plus refuser cela à des femmes sans utérus. » Des femmes comme Deborah et Bénédicte, qui ont voulu témoigner dans Marie Claire pour celles qui demain ne pourront enfanter.

1. N° 777, mai 2017. 2. Auteur de Donner la vie, choisir sa mort. Pour une bioéthique de la liberté, éd. Érès. 3. « On ne peut plus ignorer les enfants nés par GPA » , 16 janvier 2018. « Non au marché de la personne », le 19 janvier 2018. 4. Auteure de PMA et GPA, collection Que sais-je ?, éd. PUF.

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