Les enfants du voyage
Des images tendres, une réalité faite de préjugés. La photographe allemande Tamara Eckhardt est rentrée d’Irlande avec l’histoire de huit familles de nomades, cousins bien réels des “Peaky blinders”.
1. Bradley a 5 ans. Il vit avec sa famille près de Galway. Il rentre dans le mobile home familial après avoir joué avec ses cousins. revient de la messe. Elle porte toujours la tenue réservée aux grandes occasions, chemisier, jupe et talons hauts. 3. À Galway comme ailleurs, les Travellers vivent dans des mobile homes. Ils sont parqués en dehors du centre-ville. Une loi devrait les obliger à vivre prochainement dans des habitations en dur, ce qu’ils refusent.
Elle dit qu’elle s’intéresse d’abord à ceux qui vivent à l’écart, en marge. Parce qu’ils le souhaitent. Parce qu’on les y a contraints, souvent les deux. Enfant, la jeune photographe allemande Tamara Eckhardt a vécu en Irlande. Elle n’a jamais coupé les ponts. Lors d’un énième aller-retour entre Berlin et Dublin, on lui parle des Travellers, littéralement les Voyageurs. Une population typiquement irlandaise, qui se distingue des autres communautés nomades du pays par son langage propre, le shelta, et ses coutumes. Les Travellers s’apparentent à la famille Shelby, héroïne de la sublime série de la BBC Peaky blinders, qui se passe en Angleterre, à Birmingham. Un contact lui facilite l’accès à huit familles. Discriminés, montrés du doigt, décrits comme sales, malhonnêtes, voleurs, les Travellers, ce peuple de cavaliers, se méfient de la jeune femme. Comme tant d’autres avant elle, va-t-elle à son tour donner à voir des images misérabilistes, sombres, confirmant les préjugés couramment véhiculés à leur sujet ? C’est tout le contraire qui se produit. Ici, des enfants joyeux, qui jouent torse nu ( pour le petit garçon), joliment apprêtée pour la petite fille ( photographiée un jour de célébration religieuse). « J’ai voulu montrer la couleur, aller à l’encontre des images sombres en noir et blanc que l’on voit souvent à leur sujet », explique-t-elle. Elle qui s’intéresse d’abord aux temps de l’enfance et de l’adolescence n’a pas photographié d’adultes. Mais ces jeunes sujets ont souvent l’air grave, comme cette jeune fille de 12 ans au T-shirt rayé qui regarde dans le vide. « C’était un moment à part, très silencieux, où elle se retrouvait avec elle-même. Les jeunes filles Travellers sont souvent très maquillées, même très jeunes. Là, elle n’en portait pas. C’était juste elle. Mais après cette image, je n’ai plus jamais pu la photographier sans maquillage. »
Sur ces images, les enfants ont souvent l’air inquiet, songeur, comme l’autre petite fille au pull rouge, les mains dans les poches. « J’ai voulu montrer l’enfance, mais qui porte le poids de l’histoire, des préjugés, des conditions de vie dans les mobile homes, sur des terrains loin des centres-villes où on ne veut pas de leur présence. C’est comme une vie normale en apparence mais on voit bien que quelque chose ne va pas. » De ses images, Tamara voudrait que l’on retienne aussi ce qui n’est pas montré, la joie de vivre et la solidarité entre membres des familles et entre familles. Elle espère aussi voir ses photos exposées dans les mois qui viennent en Irlande, qui a toujours tourné le dos aux Travellers. Ce serait la première fois dans le pays.