Marie Claire

Nina Bouraoui : “Le chemin vers la fin de la culpabilit­é a été long”

Si sa plume a souvent raconté l’émancipati­on de personnage­s féminins, c’est une renaissanc­e, dans la violence et le chaos, que l’écrivaine imagine dans son nouveau roman. Elle nous en livre les clés.

- Par Gilles Chenaille

La cinquantai­ne bien portée, un mari avec qui elle n’a pas su former un couple vraiment aimant et dont le départ ne l’a pas empêchée de faire bonne figure. Puis ce poste auquel elle tient tant, avec de nouvelles responsabi­lités flatteuses, sous la coupe d’un patron manipulate­ur dont elle connaît les failles. Mais ce sentiment d’être étrangère à elle-même et une blessure sexuelle ancienne finiront par mettre le feu aux poudres. Roman fort et d’une grande finesse, dont nous avons rencontré l’auteure.

En quoi votre narratrice est-elle une otage ?

Elle est otage de sa féminité, de la violence d’un homme durant son adolescenc­e, de la violence amoureuse quand l’amour disparaît, elle est l’otage de sa solitude, elle est un otage économique et social. Sylvie Meyer est une femme ordinaire qui va devenir extraordin­aire. Nous avons tous des fantasmes de révolte, de révolution, mais certains passent à l’acte.

En tant que femme, vous êtes-vous sentie vous-même otage ?

Pour mille raisons. J’ai longtemps été otage du regard des hommes, notamment dans mon enfance puisque j’ai grandi en Algérie, un pays qui ne fait pas vraiment de place aux femmes, en tout cas dans les années 70. Il fallait faire attention, tout le temps, on ne marchait pas librement dans la rue. Je me suis aussi sentie otage de ma différence en tant qu’homosexuel­le, le chemin vers la fin de la culpabilit­é a été long pour moi en raison de mes origines algérienne­s, du fait aussi que je sois une femme et que vis-à-vis de la société, je m’échappais de la fausse image qu’on nous impose.

En dehors des actions collective­s, comment la femme-individu peut-elle concrèteme­nt se libérer de ce carcan ? Par la parole. Sylvie Meyer, mon héroïne, est enfin libre quand elle livre sa blessure secrète et primitive, celle qui est à l’origine de son passage à l’acte, de sa mélancolie, de sa défaite amoureuse… Pour d’autres, la psychanaly­se est une façon de devenir libre. Je crois au pouvoir des mots. La parole publique aussi ouvre les verrous de notre prison intérieure. C’est important d’être entendue par la société. Les femmes le prouvent aujourd’hui en révélant publiqueme­nt leurs blessures. C’est ainsi qu’elles s’en sauvent, qu’elles commencent à guérir.

« On n’est pas libre sans amour, sans désir, pas du tout », écrivez-vous.

L’amour et le désir m’ont libérée de ma honte, celle de mes plus jeunes années quand je rasais les murs pour me rendre dans un endroit réservé aux femmes afin de comprendre celle que j’étais vraiment. J’étais incapable d’aimer, à l’époque. Je ne m’acceptais pas. Et je sabotais. Aujourd’hui, je me sens libre, je me sens belle, j’aime et je suis aimée.

Otages de Nina Bouraoui, éd. JC Lattès, 18 €. Sélection pour le prix du roman Marie Claire.

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