Marie Claire

Idées claires

Une odeur, des gestes d’hygiène, une image de soi : nos invités ont chacun leur idée sur la question, qui déborde de signes et de sens.

- Par Vincent Cocquebert — Illustrati­ons Alexandra Compain-Tissier

Blandine Rinkel, écrivaine et performeus­e

“Je ne sais ni trier mes chaussette­s ni prendre soin de ma peau. Je n’en suis pas fière.” « Au quotidien, j’emploie surtout le mot “propre” pour qualifier un travail bien fait, un texte ciselé, une production musicale aboutie. “C’est propre”, “C’est carré” : manière de qualifier chacune des apparition­s de Tyler, The Creator, par exemple. L’inverse est valable, “Ah ouais, sale”, dit-on d’un morceau radical – et parfois, c’est positif aussi. Le registre de la propreté est pour moi associé au travail artistique. La propreté domestique en revanche – et c’est un défaut – dans l’ensemble m’indiffère. Je vis dans un capharnaüm matériel : je me fiche de manger debout parce que la table est utilisée par des livres ou des claviers. Je ne sais ni trier mes chaussette­s ni prendre soin de ma peau. Je n’en suis pas fière. Ma priorité va aux idées “bien rangées”, quitte à dormir dans quelques miettes – il paraît que ces choses changent quand on grandit. J’ai hâte d’être adulte. »

Dernier ouvrage paru :

Le nom secret des choses, éd. Fayard.

Stéphane Guillon, humoriste

“À mes débuts sur Canal+, pas rasé et pas peigné, certains avaient jugé que je faisais ‘sale’.” « Je me rappelle, lorsque je faisais mes premières chroniques sur Canal+ en 2003, j’arrivais ni rasé ni peigné. À l’époque ce n’était pas encore la mode des barbes de trois jours et certains commentate­urs avaient jugé que je faisais “sale”. Pourtant, je suis un peu un phobique de la saleté, du genre à se laver systématiq­uement les mains après avoir pris le métro. J’ai toujours porté une attention particuliè­re à mon apparence, au point de ne jamais me déplacer sans un tube de dentifrice et une brosse à dents afin de pouvoir être nickel lorsque j’arrive sur scène au théâtre. Ces derniers temps, je suis un peu sans domicile attitré et j’ai remarqué que je n’avais jamais été aussi attentif à mes affaires que je plie soigneusem­ent dans ma valise. Pour moi, la propreté, ça renvoie finalement à l’idée de politesse, de respect envers autrui et donc envers soi-même. »

One-man-show Premiers adieux, au théâtre La Pépinière, Paris 2e, jusqu’au 27 avril.

Saphia Azzeddine, écrivaine

“En arrivant en France, j’allais chaque dimanche me frotter le corps au hammam.” « Pour moi, la propreté fait écho à l’intimité et particuliè­rement à la bouteille d’eau qu’il y avait pour se laver dans les toilettes de la maison de ma jeunesse au Maroc. La propreté, c’est quelque chose qui ne se voit pas, en tout cas pas aux premiers abords. Ma mère me répétait souvent de ne pas oublier de me laver la nuque, derrière les genoux ou les oreilles. En arrivant en France, j’ai découvert que la propreté renvoyait aussi à des usages culturels. J’allais chaque dimanche me frotter le corps au gant de crin au hammam puis faisais le reste de la semaine des toilettes de chat. Chez mes amies, il n’y avait pas de bouteille d’eau dans les toilettes. Elles prenaient chaque jour des douches dans des salles de bain aussi belles qu’elles me semblaient peu fonctionne­lles. En fait, je crois que la propreté est toujours restée du domaine de l’hygiénique plus que de l’esthétique. »

Dernier ouvrage paru : Mon père en doute encore, éd. Stock.

Jean-Claude Kaufmann, sociologue

“C’est une odeur de ma prime enfance, celle du savon, intense et précise, de la lessive au lavoir de mon village.” « Le premier souvenir que cela m’inspire, c’est une odeur, venue de ma prime enfance, du temps où les femmes faisaient encore la lessive au lavoir dans mon village. Une odeur du savon, intense et précise, qui est un peu ma madeleine de Proust. Un lavoir a été rénové dans le village, mais j’ai été déçu, il manquait cette odeur. La propreté est une grande question pour un sociologue. Car être propre, c’est être en propre, être soi, distinct de la saleté, qui marque la frontière du non-soi. Ce n’est pas pour rien que l’on dit nom propre pour désigner une personne. Tout le monde a une définition du propre, mais il n’existe pas deux personnes qui aient la même. On peut accepter de mettre un pull taché mais être un maniaque du lavage des feuilles de salade. C’est pourquoi la notion est si intéressan­te à analyser dans le couple, car il faut parvenir à s’harmoniser malgré les différence­s pour fonder un monde commun. »

À paraître le 6 mai : un livre sur le consenteme­nt dans le couple, éd.

Les liens qui libèrent.

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