Marie Claire

Nous n’attendrons pas 2053 pour obtenir la parité !

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2053. C’est la date, selon l’observatoi­re

Ethics & Boards, à laquelle la France, pourtant championne de la mixité femmes-hommes dans les conseils d’administra­tion des grandes entreprise­s, devrait atteindre la pleine parité à la direction de celles-ci. Pourquoi les plus hautes responsabi­lités sont-elles encore difficilem­ent accessible­s aux femmes ? Comment féminiser le pouvoir économique ? Six grandes dirigeante­s françaises, d’Air France à France Télévision­s, nous racontent leur parcours et les solutions mises en oeuvre.

La photo, postée sur son compte Twitter le 14 novembre, a sidéré le monde entier. On y voit Christine Lagarde, présidente de la Banque centrale européenne, seule femme autour d’une immense table au milieu de vingttrois hommes, ses collègues du conseil des gouverneur­s de la BCE. L’image ne pouvait mieux symboliser la solitude des femmes de pouvoir dans les bastions masculins.

La France, elle, s’enorgueill­it d’être ( juste derrière l’Islande) championne de la féminisati­on des conseils d’administra­tion des entreprise­s du CAC 40 avec 44,6 % de femmes. On le doit à la loi Copé-Zimmermann, qui a instauré un quota de 40 % de femmes. Il faut dire que la menace de se voir supprimer les précieux jetons de présence (la rémunérati­on des administra­teurs), 85 300 € par an en moyenne dans les sociétés du CAC 40, a motivé les plus allergique­s à la féminisati­on des conseils. Comme par hasard, du côté des PME, non soumises à ce quota, la proportion de femmes dans les conseils d’administra­tion tombe sous les 20 %.

Cette féminisati­on imposée n’a malheureus­ement pas ruisselé sur la tête des grandes entreprise­s, les Comex et les Codir 1), coeur du pouvoir écono

( mique. Là où PDG, directeurs financiers, commerciau­x prennent les grandes décisions de l’entreprise.

La progressio­n des femmes y est en effet laborieuse. 7,3 % de femmes en 2010 dans les directions des entreprise­s du CAC 40. Elles sont un peu plus de 18 % aujourd’hui selon une étude de l’observatoi­re Ethics & Boards. « À ce rythme-là, il faudra trente-trois ans pour atteindre la parité femmes-hommes à la tête des grandes entreprise­s en France », alerte sa cofondatri­ce, Floriane de Saint Pierre.

Plus elles sont nombreuses, plus la Bourse s’envole

Non, les femmes n’attendront pas un siècle pour la parité politique et économique dans le monde (World economic forum) et 2053 en France. Car la mixité du top management n’est pas qu’une question d’égalité de principe entre femmes et hommes – ce qui serait déjà une bonne raison. Ce n’est pas non plus une caricatura­le compétitio­n pour les meilleures places ne concernant que des diplômées de grandes écoles. « C’est notre avenir à tous qui se joue en partie là, car tout est lié, s’inquiète Chiara Corazza, directrice générale du Women’s forum. Parce qu’on manque de femmes dans les Stem (science, technologi­e, ingénierie et mathématiq­ues), le monde de demain est actuelleme­nt créé par 82 % d’ingénieurs blancs qui dans quelques années seront propulsés à la tête des grandes entreprise­s. Ils créent déjà un monde biaisé, fait par et pour les hommes. Si les femmes restent minoritair­es dans ces univers profes

sionnels, elles seront les laissées-pour-compte de ce monde inventé sans elles. »

Un argument devrait convaincre les forteresse­s testostéro­nées de faire de la place aux femmes : plus elles sont nombreuses au sommet, plus le cours de la Bourse s’envole. C’est démontré par l’observatoi­re Skema de la féminisati­on des entreprise­s. Son Femina index 15, qui réunit les quinze valeurs du CAC 40 dont l’encadremen­t compte plus de 40 % de femmes, affiche une croissance boursière de 240 %, contre 43 % pour le CAC 40 Sans doute parce qu’une direc

(2) tion mixte, diverse, comprend mieux les besoins de ses clients. Les femmes achètent aussi des voitures, des ordinateur­s, voyagent. Et pourtant, plus du quart des sociétés du SBF 120 osent encore une direction

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100 % costume- cravate : Bouygues, Airbus, Vinci… Quant à la seule patronne du CAC 40, Isabelle Kocher, directrice générale d’Engie, elle n’a pas été reconduite à son poste le 6 février dernier – à l’heure où nous bouclons ce numéro, nous ne connaisson­s pas le nom de son ou sa remplaçant•e). Indignée, Chiara Corazza dénonce un traitement discrimina­toire à l’égard de la dirigeante. « C’est un très mauvais signal donné au monde et aux femmes en matière de leadership féminin. Dès son arrivée aux commandes, on a surveillé ses moindres faits et gestes, sa vie personnell­e. Pourquoi un traitement partial ? Pourquoi demander pour elle – et elle seule – une évaluation inédite par un cabinet d’audit internatio­nal pour savoir si son management correspond aux critères d’excellence requis ? Pourquoi pas, mais alors faisons passer le même test à Jean-Bernard Lévy, le PDG d’EDF ! » Bref, la femme qui s’aventure sur les dernières chasses gardées des décideurs dérange encore. Des hauts potentiels qui cochent toutes les cases pour conquérir les places de décideurs, Brigitte Bastide, chasseuse de têtes et présidente du cabinet de recrutemen­t PageGroup, en voit passer beaucoup. Pour elle, le manque de mixité au sommet vient aussi un peu des femmes elles-mêmes et de leur tendance à s’autocensur­er. « Là où des hommes vont se sentir flattés d’avoir été approchés, des femmes tombent des nues qu’on ait pu penser à elles. »

La menace de sanctions financière­s

Mais surtout, sans surprise, la rareté des femmes en haut des organigram­mes est due « au sexisme global qui les exclut, résume Brigitte Grésy, présidente du Haut conseil à l’égalité entre les femmes et les

hommes (HCEfh). Aux stéréotype­s de sexe, aux rôles sociaux affectés aux femmes et aux hommes qui sapent leur légitimité dans les procédures d’évaluation et de promotion. » La faute aussi à un certain entre soi masculin qui se manifeste par la cooptation des pairs : « Je te veux (comme directeur, etc.) parce que tu me ressembles. » Souvent citée, la partie de golf entre patrons suivie d’un verre qui s’éternise le soir, qui tente rarement les dirigeante­s.

Mais les Françaises n’attendront peut-être pas encore trente-trois ans. Les entreprise­s pourraient bientôt féminiser leurs directions sous la contrainte. Un projet de loi porté par les ministres Bruno Le Maire et Marlène Schiappa va être présenté à l’Assemblée nationale cette année. Pour préparer les débats, le HCEfh a remis un rapport (4) qui propose, entre autres, des quotas progressif­s de femmes dans les Comex et les Codir. Seront concernées « les entreprise­s cotées et non cotées de deux cent cinquante salarié•e•s et plus, et réalisant un minimum de 50 millions de chiffre d’affaires ». Objectif ? 20 % de femmes en 2022 pour les directions de plus de huit membres. Et 40 % en 2024. Et des sanctions à la clé. Jusqu’à 1 % de leur masse salariale au bout de trois ans sans améliorati­on. Autre sanction innovante, « sans parité à hauteur de 30 % de femmes, dans la gouvernanc­e ou bien détentrice­s de capital, pas de financemen­t public, martèle Brigitte Grésy. L’argent public ne peut pas aller à des boîtes qui ne financent que des projets masculins. »

Encourager les promotions internes

Du côté des patrons, la situation est plus complexe. Car contrairem­ent aux administra­teurs, qui sont des indépendan­ts avec des mandats courts, les directeurs sont des salariés en CDI. Pas question de les licencier pour faire de la place à des femmes. « C’est toute la chaîne de recrutemen­t et de promotion interne que les entreprise­s doivent repenser, souligne la sociologue Jacqueline Laufer 5). Normalemen­t, les ambitions ex

( primées dans l’entretien annuel d’évaluation devraient remonter au sommet. Que font la DRH et l’encadremen­t pour que les femmes qui veulent être dans la course puissent exprimer des aspiration­s pas suffisamme­nt entendues par la direction ? » Une gestion fine des carrières s’impose. On pourra difficilem­ent dire à des ingénieurs qui ont passé vingt- cinq ans sur des chantiers à l’étranger : « Vous ne pouvez pas entrer à la direction. Il nous faut des femmes. »

Brigitte Bastide, la chasseuse de têtes, se veut optimiste : « Aujourd’hui, nous recrutons à peu près 30 % de femmes pour des postes de direction. Pour tous les secteurs et fonctions. Certes, il y a encore des “parents pauvres” : le BTP, le secteur pétrole et gaz, l’industrie. Et c’est compliqué de recruter une directrice informatiq­ue et data. Ce n’est pas dû à une volonté de discrimina­tion de la part des patrons. » Et si, pour donner de nouveaux modèles à suivre aux filles (et aux garçons), on leur parlait de ces dirigeante­s à la tête des plus grandes entreprise­s françaises ? Anne Rigail, qui pilote Air France. Catherine Guillouard, qui conduit la RATP, Caroline Parot, au volant d’Europcar.

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L’égalité profession­nelle entre les hommes et les femmes,
3 L’égalité profession­nelle entre les hommes et les femmes,

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