Marie Claire

Rencontre Après minuit avec Léa Drucker

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Inoubliabl­e dans “Jusqu’à la garde”, cette histoire de femme victime de violences conjugales pour laquelle elle a été primée en 2017, l’actrice nous donne rendez-vous un samedi soir dans une brasserie animée du nord de Paris. Où elle évoque avec une rare franchise son rapport à la nuit, à ses rencontres et à la fête, mais aussi son nouveau film, “C’est la vie” ( 1), et le lien puissant qu’elle construit avec sa fille.

Il est minuit moins dix lorsque Léa Drucker surgit au premier étage de la Brasserie Barbès. Drôle d’endroit pour une rencontre : l’ambiance est à la fête, sonore. Très sonore. Tablées de collègues de bureau, groupes de filles soufflant des bougies à la chaîne et musique à fond qui nous rappelle que, pour certains, la fièvre du samedi soir n’a pas baissé de volume depuis Travolta. « Tout va bien se passer », hurlons-nous à Léa, inquiète devant ce mur du son risquant d’avaler nos échanges dans quelques trous noirs. Tout va bien se passer est l’un des maîtres-mots de « C’est la vie », la comédie sensible et subtile de Julien Rambaldi, le père de leur fille Martha, 5 ans. « La vie… cet aperçu », disait Paul Valéry. Soit cinq femmes aux parcours très différents accouchant le même jour dans le même lieu. Dont une à la tête d’une entreprise spécialisé­e dans le lancement de satellites, restant en liaison avec ses interlocut­eurs par écrans vidéo. Cette dirigeante, c’est Léa Drucker, impeccable en bulldozer donnant la vie comme on met une lettre à la poste, sans pathos et avec une rigueur toute profession­nelle. La comédienne revient sur son personnage, et sur sa propre expérience maternelle : « C’est la vie d’avoir des enfants. Mais c’est aussi la vie qui te retourne. Ce personnage, c’est du sur-mesure. Julien l’a écrit pour moi, il m’aime bien dans les rôles de femme un peu autoritair­e, moi qui n’ai aucune autorité. » Léa Drucker dit conserver un souvenir « assez extraordin­aire » de son propre accoucheme­nt, parce qu’elle a eu sa fille tard, à un moment où elle ne s’y attendait plus. « Pour moi, tout a été merveilleu­x, mais ça ne s’est pas passé comme je l’avais imaginé. Pendant très longtemps, j’ai cru que je n’avais pas d’instinct maternel. J’ai eu l’impression de commencer une deuxième vie. Je suis contente d’avoir une fille parce que je suis curieuse de voir quelle femme elle deviendra. » À propos de transmissi­on : son père, professeur d’épidémiolo­gie, lui inocule le virus du cinéma sans savoir que cette fille, alors unique, ne s’en remettrait jamais. « J’étais très idéaliste, je ne doutais de rien. J’ai commencé à faire du théâtre, poussée par un prof. À partir de là, je me suis dit : c’est bon, je vais rentrer au conservato­ire et ensuite à la ComédieFra­nçaise. Mais ça ne s’est pas du tout passé comme ça. J’ai raté le conservato­ire, et ça a été un drame. J’ai totalement perdu confiance en moi. J’ai tenu parce que de temps en temps je faisais une audition ou un casting. À un moment, j’ai voulu tout laisser tomber mais c’est lorsque j’ai lâché prise que tout s’est débloqué. » Bien sûr, cela n’a pas été facile. Aux compositio­ns intéressan­tes, à l’écran, répondent de façon plus évidente des rôles au théâtre, qui s’enchaînent avec régularité, du « Misanthrop­e » de Molière, mis en scène par Roger Hanin en 1994, à « La dame de chez Maxim » de Feydeau, monté par Zabou Breitman l’automne dernier. Une belle carrière transfigur­ée par son rôle de psychologu­e de la DGSE dans « Le bureau des légendes », la série d’Éric Rochant. Et par sa prestation extraordin­aire en femme harcelée et menacée par son ex-mari dans « Jusqu’à la garde » ( 2), rôle qui lui vaut la consécrati­on avec le césar du meilleur rôle féminin en 2017. « Il y a eu un avant et un après “Jusqu’à la garde”. Sur le moment, c’était presque terrifiant. J’ai vécu ensuite le succès du film comme quelque chose de bouleversa­nt. C’était comme un mouvement d’amour, une espèce d’élan de chaleur qui fait du bien. » Je lui parle de son fameux discours qui, soudain, l’a révélée autrement. « J’avais écrit quelque chose au cas où. J’avais joué la violence domestique mais je n’avais jamais exprimé en public ce que ça signifiait pour moi. C’est sorti d’une façon un peu décousue mais sincère, sans savoir comment cela allait être reçu. » L’heure est soudain grave, alors que retentit « I will survive » de Gloria Gaynor. Survivre. J’avais lu sa hantise de la mort. Tout est synchro avec la bande-son. Ses yeux à vif, comme baignés d’eau claire, guettent la question et actionnent d’une façon quasi mécanique un demi-sourire. Longtemps terrifiée par l’idée de mourir, Léa ne l’est plus depuis la naissance de sa fille. « Jouer, c’est rester connectée à ton enfance. Quand tu es enfant, tu ne penses pas normalemen­t à tout ça. Quand tu joues, tu es dans l’instant, tu n’as pas d’angoisse de l’avenir. » Jouer, c’est vivre.

“Pendant très longtemps, j’ai cru que je n’avais pas d’instinct maternel. (…) Je suis contente d’avoir une fille parce que je suis curieuse de voir quelle femme elle deviendra.”

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