Marie Claire

Dalila Kerchouche : “La révolution du désir est à la fois intime, collective et politique”

La grande reporter publie une enquête sur les “sexploratr­ices” ( 1), ces femmes de 27 à 77 ans parties à la (re)conquête de leur sexualité. Avec une certitude : savoir jouir, c’est affirmer sa liberté. Interview.

- Par Catherine Durand

Ci-dessus : Lady Chatterley de Pascale Ferran (2006). À d. : Dalila Kerchouche.

Vous écrivez avoir connu l’orgasme pour la première fois de votre vie à 43 ans.

Je ne pouvais pas écrire un livre sur la sexualité sans parler de mon expérience. J’ai accédé à la jouissance tardivemen­t. Ça a été un tel bouleverse­ment. J’ai été amputée, jusqu’à 43 ans, de ma sensualité, d’une partie de ma féminité et de ma capacité à ressentir du plaisir. J’ai fait ma révolution sexuelle.

Vous parlez d’« arbre gynécologi­que » : toutes vos ancêtres étaient violées lors de leur nuit de noces. On porterait en nous les violences de celles qui nous ont précédées ?

Oui, de manière inconscien­te. On reçoit en héritage toute la sexualité féminine qui s’inscrit dans notre vagin, nos fibres, nos cellules. Plusieurs sexploratr­ices portaient, elles aussi, ce fardeau d’une sexualité traumatisé­e, elles ont fait un travail de résilience sexuelle.

Vous dites quelque chose de très juste : notre mère ne nous dit jamais : « Tu auras du plaisir en tant que femme ». et les jeunes femmes aujourd’hui, il y a eu rupture dans la transmissi­on. Il faut redécouvri­r des auteures majeures comme Gloria Steinem, pour qui il faut débusquer les ressorts du patriarcat à l’intérieur du corps des femmes. Elle a tout dit.

Les sexploratr­ices empruntent plusieurs chemins, du BDSM (bondage, discipline, sado-masochisme) au polyamour. Ne risque-t-on pas de construire d’autres normes en voulant s’affranchir ?

J’étais assez troublée par la sexploratr­ice Sofia, qui témoigne dans mon livre. Pour se libérer, elle a commencé par avoir un maître en BDSM. Elle a eu besoin de cet homme, ça aurait pu être une femme, pour la contraindr­e à se libérer. Mais elle n’y est pas restée. La sexplorati­on n’est pas linéaire, elle est initiatiqu­e. Ça passe par des zones sombres et d’autres plus lumineuses. Ne pas parler de ces zones d’ombres aurait édulcoré les sexualités féminines.

Avec #MeToo, la sexualité des femmes évolue-t-elle ?

Oui. Une prise de conscience est en train de s’opérer. Avec #MeToo, les femmes ont affirmé ce qu’elles ne voulaient plus, maintenant elles se demandent quelle sexualité elles désirent. Natalie Portman a appelé les femmes à faire la révolution du désir. Une révolution à la fois intime, collective et politique.

Vous parlez d’empowermen­t et d’autonomie. Peut-on être une femme libre si l’on est sexuelleme­nt corsetée ?

Non, on est minorée dans son énergie vitale. Coupée de son corps, de son charisme, de son potentiel de plaisir. Danièle Flaumenbau­m, gynécologu­e, dit : « Je fais l’amour, ça me rend plus intelligen­te et j’ai les idées plus claires. » Moi, je me suis dit : « Qu’est-ce que je fais de ce qu’on a fait de moi sexuelleme­nt ? » Contrairem­ent aux femmes de ma lignée, j’ai le pouvoir de me dresser. J’ai écrit ce livre pour dire stop. Comme Adèle Haenel qui s’est dressée et a gueulé « la honte ». En France, 86 % des femmes ont, au moins une fois dans leur vie, été victimes d’atteintes sexuelles dans la rue. Sortons de la honte ! La seule manière est de reprendre le pouvoir sur notre corps et notre sexualité, de nous soigner, de nous exprimer et de nous dresser. Il faut faire le lien entre sexualité, jouissance et empowermen­t.

1. Sexploratr­ices à la conquête du plaisir, éd. Flammarion. 2. Auteure de Femme désirée, femme désirante, éd. Payot.

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