Marie Claire

Camille Laurens : “La question du genre ne devrait plus en être une”

Comment devenir une femme quand le masculin écrase tout ? Dans son nouveau roman*, libérateur, l’auteure, via sa narratrice, déroule le fil d’une féminité à inventer. Rencontre.

- Par Gilles Chenaille (*) Fille, éd. Gallimard, 19,50 €.

Points de re-père. Nom : Laurence Ruel. Pseudo : Camille Laurens. Personnage central du livre : Laurence. Dans ce que l’auteure tient à nommer roman – fût-il très inspiré de sa vie – surgit au début l’image de son père, qui espérait avoir un garçon. Confortée par celle d’une mère, d’une école et d’une société tout entière vouée à l’idolâtrie du masculin. Vint plus tard un oncle, qui la viola, sans que sa famille réagisse autrement qu’en lui imposant le silence. Puis la découverte du désir, magnifique­ment décrite dans ces pages, et d’une sexualité qui dut se développer avec et contre ce qu’elle avait subi. Ensuite, la maternité. Mais son premier enfant – un garçon – mourut deux heures après sa naissance. Quelques années plus tard naquit sa fille, qui devint un peu garçonne, avant d’assumer son homosexual­ité. Camille Laurens évoque ici tour à tour sa mère et sa fille tout en parlant d’elle-même, déroulant le fil d’une féminité en route vers sa liberté. Et relie certains éléments de ses livres précédents, auxquels elle donne un sens puissant : celui de l’éclosion d’une femme, que l’intelligen­ce et la résilience ont aidée à renaître.

Où en êtes-vous de votre colère contre l’injustice avec laquelle sont traitées les femmes ?

Mon indignatio­n est à proportion des injustices et des inégalités que je constate tous les jours, à des degrés divers, dans la vie quotidienn­e comme dans l’actualité du monde. Je ne suis donc pas près d’être paisible.

Très jeune, la narratrice a été violée par son oncle. Quelles en ont été les conséquenc­es ?

Elles sont parfois souterrain­es. À court terme, cela la rend malade, c’est son corps qui proteste, qui dit la douleur. Par exemple, elle a un furoncle : son agresseur revient la faire souffrir jusque dans le nom de son mal. À plus long terme, cet abus sexuel ne la détruit pas mais il modifie toute sa vie future, son approche de la sexualité, des rapports entre hommes et femmes, sa confiance.

Ses premiers émois sont masochiste­s, très sadiens : le rôle de la victime l’attirait ?

La découverte de la sexualité se fait par le prisme de ce viol qui organise la vie fantasmati­que de la petite fille dès avant la puberté. Ce n’est pas que le rôle de victime l’attire : elle est victime, ce n’est pas un rôle. Certes, elle rejoue la scène traumatiqu­e dans ses fantasmes, mais ce n’est pas parce qu’on a un fantasme – de viol, de soumission – qu’on souhaite qu’il se réalise dans la vraie vie.

Que diriez-vous de votre part masculine ?

C’est la part de mon père en moi. Physiqueme­nt, d’abord : quand je me regarde dans un miroir, sans maquillage, cheveux plaqués, il m’arrive d’apercevoir mon père. Dans la langue aussi : je m’entends utiliser ses expression­s crues. Et plus généraleme­nt, ma part masculine, c’est de ne pas me sentir être une femme ! D’échapper ou de souhaiter échapper aux stéréotype­s de genre.

Vous parlez souvent de cette dualité. Est-ce un problème ou une satisfacti­on ?

Je parle de cette dualité parce qu’elle est encombrant­e. Dans la vie – sociale, profession­nelle –, la question du genre ne devrait plus en être une. Ce n’est d’ailleurs plus une dualité, les nuances du genre vont bien au-delà de la bipartitio­n homme-femme. Mais dans ma vie personnell­e, au moins jusqu’ici, l’altérité sexuelle a toujours conditionn­é mon désir : l’autre de mon désir, c’est un homme.

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