Marie Claire

Moi lectrice « J’ai arrêté net de m’épiler »

Depuis ses 16 ans, Violaine, architecte et en couple avec Guilhem, vivait au rythme de ses rendez-vous chez l’esthéticie­nne. Jusqu’au jour où elle en a eu assez de se plier à ce rituel que s’imposent les femmes…

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Je ne suis ni une écolo roots qui élève des chèvres ni une ermite décroissan­te recluse dans sa grotte. Je porte de la lingerie, dont des pièces brodées à la main, et je suis accro aux robes. Accessoire­ment, j’ai aussi un homme dans ma vie et nous dormons le plus souvent nus, enlacés. La décision de cesser de m’épiler les jambes, les aisselles et le maillot s’est imposée à moi par un refus d’obstacle brutal. Ce fut l’épilation de trop. C’est arrivé au moment où ma carrière d’architecte décollait et où je travaillai­s douze à quinze heures par jour à mon compte. Alors que j’étais en train de réaliser mon rêve et de mener des chantiers conséquent­s, qui allaient asseoir ma réputation, je stressais devant mes sept semaines de repousse, faute de réussir à dégager du temps pour les éliminer. J’en étais arrivée à m’épiler par morceaux. Dès que je croisais un institut de beauté entre deux rendez-vous, je me garais et me précipitai­s pour faire les aisselles, avant de foncer à 50 km rejoindre un chantier. Cinq jours plus tard, je faisais les jambes. Puis un autre jour encore le maillot, mais « formule culotte » désormais, moins chronophag­e que le brésilien.

Une pression pareille pour avoir la peau satinée, je frôlais la démence, non ? Et ce n’était pas nouveau. Depuis mes 16 ans, je traquais mes poils à la cire avec une constance maniaque. Traduction : il m’arrivait de faire des retouches en cours de mois. Je ne suis pas anormaleme­nt velue, mais je suis brune et mes poils ne repoussent pas tous à la même vitesse. Adolescent­e, l’esthéticie­nne m’avait pourtant juré qu’en arrachant les bulbes pileux à la cire, ils se raréfierai­ent avec les années. J’attends toujours ! L’alternativ­e de l’épilation électrique, du rasoir et de la crème dépilatoir­e ? Je déteste. Je me retrouve soit avec une peau de poulet à cause des poils incarnés, soit en hérisson piquant à la repousse. Puisque la nature, imperturba­ble, s’évertue à reprendre ses droits, j’ai tranché : « Ça suffit ! J’arrête tout. » Le soir même, je l’ai annoncé à Guilhem, mon compagnon. « Tu es sérieuse ? » s’est-il étranglé, interdit. « On ne peut plus, mon chéri. » « Alors tu ne mettras plus tes robes ni de talons ? » J’ai souri, rassurée, mes tenues le préoccupai­ent plus que ma pilosité.

Sitôt délivrée de cette corvée, j’ai eu le sentiment de me réappropri­er une part de liberté dont je m’étais privée à mon insu. Je n’avais jamais réfléchi à mon désir de m’épiler ou non. À 16 ans, ma mère avait augmenté mon argent de poche pour que je puisse aller chez l’esthéticie­nne et, depuis, j’avais docilement remis le couvert chaque mois pour satisfaire ce qui me semblait un impératif hygiéniste comparable au brossage des dents. D’ailleurs, à la vue de touffes aux aisselles de certaines, à la salle de sport ou l’été, je pensais : ça fait négligé et pas net. D’où tenais-je cela ? Sur quels fondements reposaient mes idées ? La vérité m’a déplu : j’avais si bien assimilé le diktat social qui veut qu’une femme ait la peau soyeuse et imberbe que je l’avais fait mien sans même y avoir consenti. Dans la vie, je protège mon libre arbitre et, là, je me découvrais en mouton qui suit le troupeau. En finir avec l’épilation a fait sauter des verrous que je ne soupçonnai­s pas et, dès lors, je n’ai cessé de découvrir de nouvelles facettes de moi-même.

Fière de mon indépendan­ce d’esprit

C’était la fin du printemps, on commençait à ôter les collants. J’ai eu un peu d’appréhensi­on concernant les préjugés de mes clients et, surtout, de quelques artisans qui rechignent encore à travailler sous la direction de femmes architecte­s. Aussi, j’ai anticipé en portant d’abord des robes plutôt longues : autant ne pas laisser le champ libre aux vannes sur mes jambes poilues. Mais avoir osé faire un pas de côté, en regard de ce qui est communémen­t admis esthétique­ment, a renforcé mon assurance et ma confiance en moi. Très vite, j’ai passé outre les regards. En fait, je suis fière de mon indépendan­ce d’esprit dans une société qui juge péjorative­ment les femmes quand elles ne se conforment pas à l’apparence qu’on attend d’elles. L’été, c’est criant. Au mieux, j’observe une moue désapproba­trice, au pire, du dégoût ou du mépris : « Pouah ! Comment peut-elle se montrer ainsi en public ? Elle est sale. » Une dame en bermuda bleu marine m’a même lancé : « On n’est pas chez les beatniks ! On est civilisé ici. » Quel rapport ? Parce qu’on ne s’épile pas, on se vautrerait dans les immondices. Ce qui dérange tant, à mes yeux, c’est la supposée virilité sous-jacente que cela induirait, comme si une femme non épilée se voyait gratifiée d’un surplus de testostéro­ne qui la délégitime­rait dans sa féminité. Dans l’inconscien­t collectif, les poils, c’est un truc de mâle viril, un peu comme la peau d’ours, dont les guerriers s’affublaien­t au Moyen Âge.

Alors que c’est tout l’inverse. Non seulement je ne me vois pas hirsute et je ne me sens pas masculine, mais je suis plus affirmée dans ma féminité parce que je me sens libre dans mon corps. Vous n’imaginez pas le plaisir qu’il y a à chausser des stilettos et à nouer une double bride sur des chevilles non épilées ! C’est transgress­if, j’adore. Pour un peu, ce serait un concept d’art contempora­in, entre effraction esthétique et farce. En plus, ça me simplifie la vie et la tête d’être naturelle.

Une nouvelle zone érogène

D’ailleurs, si mes complexes ne se sont pas envolés – ce serait trop beau –, je les ai domptés. Mes seins m’ont toujours posé un problème. Le gauche est plus gros, ça donne à mon buste une allure bancale. Aujourd’hui, je les accepte. Bien sûr, je le dois au cheminemen­t parcouru dans ma tête, ce n’est pas qu’un effet poils, mais les garder m’a poussée à sortir de ma zone de confort. Ils ont fait office de révélateur­s. Je me sens plus sensuelle aussi dans l’intimité, même si nous avions déjà une sexualité harmonieus­e et complice. Guilhem n’a manifesté aucune réticence envers ma pilosité et ça n’a pas interféré dans nos jeux érotiques, mais les sensations sous les caresses sont néanmoins différente­s, comme si le corps était voilé de sa propre soie. L’odeur de la peau change aussi, car les perles de sueur s’insinuent différemme­nt. Et je me suis découvert une nouvelle zone érogène, tellement inconcevab­le avant que je l’avais dédaignée : mes aisselles, dont la sensibilit­é se développe avec le temps. Je ne vois qu’un seul bémol à l’absence d’épilation : la séquence plage en maillot de bain. Honnêtemen­t, une année entière sans s’épiler le maillot, c’est très… impression­nant. Ma crainte, c’était que mes enfants marchent cinq mètres derrière moi de honte. Aussi, j’avais prévu de ruser, en enfilant un justaucorp­s de danse doté d’une micro-jupette, mais c’était pire, ça mettait en valeur ce qui dépassait. Du coup, je fais une unique concession : une épilation annuelle combinée avec le rendez-vous chez ma gynécologu­e, laquelle s’était fendue d’un : « Faut pas se laisser aller comme ça, faut se reprendre ! » en me voyant.

À toutes celles qui pensent que c’est une capitulati­on devant l’ennemi ou un aveu de faiblesse de ne plus s’épiler, j’aimerais juste dire que j’ai le sentiment d’avoir rassemblé toutes les pièces du puzzle de ma féminité, faite de ma singularit­é, poils compris. À chacune sa révolution intime, après tout.

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