Marie Claire

Alerte rouges

Il est notre meilleur allié, cet indétrônab­le petit bâton qui, d’un geste simple, signe notre allure et notre état d’esprit du moment. Toujours plus plébiscité par les femmes, le rouge à lèvres attire de nouveaux grands noms de la mode. Et s’inscrit dans

- Par Claire Dhouailly

C’est pratique, un lipstick. Un coup de raisin et le visage s’éclaire, l’allure se sophistiqu­e, le sourire se fait plus séducteur. C’est intime, aussi. Chaque femme a son modus operandi, dans le rétro de la voiture, dans le miroir de l’entrée avant d’enfiler ses chaussures. Certaines maîtrisent si bien le geste et connaissen­t si bien le dessin de leur bouche qu’elles peuvent même se passer de miroir. Il y a celles qui en portent systématiq­uement, celles qui le réservent pour « sortir », celles qui mettent toujours la même couleur, celles qui varient les plaisirs.

« Il raconte quelque chose de soi »

« Le rouge met en lumière quelque chose de la personnali­té. Il ne transforme pas, il ne masque pas mais il révèle, de façon instantané­e », constate Jérôme Touron, directeur de la création Hermès Beauté. Le maroquinie­r français fait son entrée dans la beauté avec une collection de vingt- quatre rouges mats et satinés, subtilemen­t parfumés par le nez maison, Christine Nagel. Pourquoi ce choix ? « Ce petit objet nous permettait de condenser tout ce que l’on voulait dire autour de la beauté : notre rapport à la couleur, à la matière, à l’objet, à la fois fonctionne­l et durable, au confort et à la sensualité, car c’est aussi ça, Hermès », poursuit-il. C’est aussi avec le bâton de rouge – quatre-vingt- quinze références – que Gucci inaugure sa ligne cosmétique. À l’heure des réseaux sociaux et du « personal branding », qui réclament des effets visuels, le rouge à lèvres s’impose naturellem­ent. « On porte du rouge à lèvres depuis l’Antiquité, mais on ne le fait peut-être pas de la même façon ni pour les mêmes raisons. Aujourd’hui, il est sans ambiguïté une expression d’identité et de style. Un simple changement de couleur modifie entièremen­t le look. Il y a un lien évident entre les habits, les accessoire­s et le rouge à lèvres : tous ces éléments permettent de construire un corps à sa façon, qui raconte quelque chose de soi tout en permettant de se sentir bien, sexy, powerful… » analyse Anthony Mathé, docteur en sciences du langage, auteur de Le corps à sa façon (éd. Academia).

Le marché du rouge se porte très bien. Il est le troisième produit cosmétique français le plus vendu à l’export après les soins de la peau et les parfums. Les ventes ont même progressé de 80 % en cinq ans (Source Febea). En France, les ventes de rouges augmentent également et les marques de couture ont la faveur des femmes, Giorgio Armani, Chanel, Dior et Yves Saint Laurent arrivant dans le peloton de tête. « Les rouges à lèvres offrent aux consommatr­ices un moyen abordable de porter les grands noms de la mode et d’affirmer leur style. Cette tendance démontre l’impact et la pérennité de la haute couture sur le marché du maquillage », commente Mathilde Lion, experte beauté Europe chez The NPD Group. Présentés en raisin classique, les rouges Hermès et Gucci ont toutes les chances de séduire, car si les rouges liquides ont su se faire remarquer, les femmes restent fidèles au traditionn­el bâton. « Il ne sera jamais détrôné. Il est facile, intuitif, il est entré dans l’ADN des femmes, on ne peut pas réinventer ça », estime Nicolas Degennes, directeur artistique du maquillage Givenchy. Autre classique qui remporte l’adhésion : la couleur rouge. Ou plutôt, devrait- on dire, les rouges tant il en existe de nuances, parfois très subtiles. « En observant comment le rouge rouge est porté – sur les tapis rouges ou sur les réseaux sociaux –, on constate à quel point il participe d’une idéalisati­on glamour très forte. À tel point qu’on pourrait dire que le rouge rouge fait le glamour à lui seul, quelle que soit la tenue. Porter du streetwear avec un rouge rouge, c’est le glamour contempora­in », remarque Anthony Mathé. Cette couleur sanguine, puissante, semble cependant s’être débarrassé­e du cliché rouge = séductrice. « La première personne que l’on voit dans le miroir quand on a mis du rouge, c’est soi-même. Il y a une notion de plaisir, de féminité pour soi, pas que pour les autres. Un beau rouge quand on se sent fatiguée, ça réconforte tout de suite » , estime Nicolas Degennes. Pour permettre à chaque femme de trouver le rouge avec lequel elle se sent bien, les marques travaillen­t les équilibres de pigments, les finis sur la peau, les textures plus ou moins seconde peau. « En créant le rouge Velvet, un rouge très mat, je voulais l’antithèse du rouge poids plume qu’on oublie. Je voulais une matière qu’on sente, par son parfum et sa sensation sur les lèvres, comme une armure entre soi et les autres », poursuit le maquilleur. Parfois, le rouge sert aussi à ça.

Écrins rechargeab­les et formulatio­ns propres

Signature de style, écran protecteur entre soi et le monde, le lipstick peut être encore bien plus. Parce qu’il est un objet accessible, quotidien, visible, il est un excellent support pour réinventer la notion de luxe à l’heure de l’écorespons­abilité. Avec ses tubes rechargeab­les en métal brossé et laqué, le Rouge Hermès incarne en beauté cette approche durable. « C’est depuis toujours la vision

de la maison. Les objets se réparent, se transmette­nt, on n’envisage pas les choses sous l’angle du jetable », rappelle Jérôme Touron. Une posture qui implique de créer dès le départ des objets très qualitatif­s. « L’aspect rechargeab­le doit être un plus et non un moins, cela ne doit ni se voir ni se sentir à l’usage », ajoute le directeur artistique. Après avoir lancé la tendance des vernis clean, la marque Kure Bazaar propose de nouveaux rouges en écrin rechargeab­le, à coordonner avec la couleur des ongles.

Mais la première marque à avoir proposé une nouvelle approche globale de rouge aux antipodes de la fast-beauty, c’est La Bouche Rouge, en 2017. « Quand, en 2015, j’ai décidé de lancer ma propre marque, je voulais que ça ait du sens. Je suis père de trois enfants, je n’avais pas envie de rajouter une énième référence sur le marché. J’ai voulu créer un objet qui incarne ma vision du luxe responsabl­e », raconte le cofondateu­r Nicolas Gerlier. La conception du rouge à lèvres est repensée de A à Z, sans micro-plastiques (les PP et

PMMA), avec des écrins durables et rechargeab­les et des process de formulatio­n et de fabricatio­n vertueux. La marque possède sa propre usine et coule ses raisins dans des moules en métal réutilisab­les et non dans des moules en silicone jetables (400 millions d’entre eux ne sont ni réutilisés ni recyclés chaque année). Tout cela serait cependant vain si les rouges ne faisaient pas envie ou ne donnaient pas satisfacti­on. « Avec un bel objet et un beau fini maquillage, on peut créer le désir d’être écorespons­ables. Je voulais donner une dimension cool à la durabilité. Je vois même La Bouche Rouge comme une marque assez punk, estime Nicolas Gerlier. Être punk, avant, ça voulait dire, on dit “fuck”, on fait n’importe quoi. Le n’importe quoi est partout, aujourd’hui contester l’ordre établi, c’est être écorespons­able. » Plutôt que de s’acheter dix rouges à lèvres ludiques, que l’on ne va mettre qu’une seule fois, on en choisit un beau qui en jette vraiment et que l’on affiche comme une signature.

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 ??  ?? À g. : Marilyn Monroe sur le tournage de Certains l’aiment chaud, en 1958.
À g. : Marilyn Monroe sur le tournage de Certains l’aiment chaud, en 1958.
 ??  ?? Ci-dessus : Rihanna pour une campagne Fenty Beauty, en 2017. À g. : Bella Hadid sur le défilé Max Mara printempsé­té 2018.
Ci-dessus : Rihanna pour une campagne Fenty Beauty, en 2017. À g. : Bella Hadid sur le défilé Max Mara printempsé­té 2018.
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 ??  ?? Cinq femmes iconiques, cinq façons de porter un rouge à lèvres. À g. : Debbie Harry (Blondie), en 1977. Ci-dessous : Béatrice Dalle, à Cannes, en 1988.
Cinq femmes iconiques, cinq façons de porter un rouge à lèvres. À g. : Debbie Harry (Blondie), en 1977. Ci-dessous : Béatrice Dalle, à Cannes, en 1988.
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