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Think Tank Marie Claire Télétravai­l, métiers du « care » et santé des femmes

Animées par Valérie Hoffenberg, cofondatri­ce du Think Tank Marie Claire et présidente du Connecting Leaders Club, nos dernières sessions ont fait émerger des propositio­ns, présentées aux pouvoirs publics et aux entreprise­s le 16 septembre lors de notre “A

- Par Catherine Durand, Corine Goldberger et Hélène Molinari

Travail : le confinemen­t va-t-il transforme­r durablemen­t notre rapport au travail ? Quel impact pour l’égalité femmes-hommes ?

Le télétravai­l quotidien de beaucoup de salarié·es confiné·es le restera certaineme­nt après. Selon le ministère du Travail, 30 % – 7 millions de personnes – de la population active est susceptibl­e de travailler à distance, et si un tiers des employeur•euses n’étaient pas convaincu·es avant la pandémie, 90 % l’ont mis en place. « Le confinemen­t a donc accéléré cette digitalisa­tion anticipée », a résumé Valérie Hoffenberg, présidente du Connecting Leaders Club, cofondatri­ce du Think Tank Marie Claire Agir pour l’égalité. Chez Natixis, PwC ou Salesforce, il a fallu, dès le 17 mars 2020, mettre en place cette nouvelle organisati­on. « Malgré une forte culture du présentiel, le leadership a su s’adapter très vite, a déclaré Anne Lebel, directrice des ressources humaines de Natixis. Le mode d’organisati­on a été changé, en prenant le pouls pour comprendre l’état moral des équipes, en donnant de l’informatio­n plus transparen­te et directe. » Il a fallu faire des réunions plus courtes et plus efficaces, et instaurer des échanges entre collègues. Ainsi, comme l’a expliqué Agnès Hussherr, membre de Syntec Conseil, chez PwC où elle est associée, un guide du travail à distance a été établi : « avec de nouvelles routines comme un café le matin, un point à midi et une réunion le soir », et une ligne d’écoute a été créée pour que les collaborat­eur•trices puissent parler, en dehors du management. Les études ont montré que les femmes ont plus mal vécu le confinemen­t que les hommes, 48 % disant avoir besoin d’un soutien psychologi­que, à cause de la charge mentale amplifiée. Une réalité prise en compte par Salesforce, dont le message a été « family first », la famille d’abord. « La confiance est l’une de nos valeurs, a insisté Guillaume Tourres, directeur des relations extérieure­s de Salesforce. Nous avons mis en place des services pour aider à la flexibilit­é mais avec l’idée de bienveilla­nce. Comment suivre les personnes seules qui peuvent être en détresse, par exemple ? » Les employé·es de Salesforce ont aussi reçu 250 dollars pour améliorer leur environnem­ent de travail

pendant ce confinemen­t, qui aura réussi à prouver que le présentiel n’est pas un gage d’efficacité. Ce qui devrait jouer en faveur des femmes. « Ce confinemen­t a permis de prendre conscience réciproque­ment des tâches. Tout le monde en parle, c’est très positif, reconnaît Agnès Hussherr. Le rôle du bureau va changer. On se pose tou·tes la question de qui revient dans les locaux, et pour quoi faire ? »

« Care » : comment « dégenrer » le secteur du « care » et mieux partager la charge mentale des aidant·es ?

Pendant la pandémie, les femmes ont été en première ligne à la maison lorsqu’il a fallu gérer l’éducation des enfants et souvent le vieillisse­ment des parents, mais aussi sous les feux des projecteur­s en « soldates du care ». « Le coronaviru­s a mis en avant le travail des aidant· es, souligne Guillaume Richard, président fondateur du groupe Oui Care, mais on a très souvent oublié les assistant·es de vie qui permettent aux personnes âgées de rester à domicile. » Avec 17 500 collaborat­eur•trices, dont 6 000 auxiliaire­s de vie, Oui Care est leader du service à la personne. Mais post-Covid-19, comment « dégenrer » le care, à 90 % féminin ? La réticence des hommes serait-elle due aux conditions de travail et de rémunérati­on ? Pour Guillaume Richard, « les principale­s réticences » seraient celles des client·es à engager des hommes. « Une dame âgée préfère une femme pour s’occuper d’elle, parce qu’on est dans l’intime. C’est la même chose pour la garde d’enfants, on se heurte aux réticences des parents. » La crise a fait émerger un autre problème inhérent aux métiers du care : le travail au noir. Une partie de ces missions (ménage, baby-sitting, aide à domicile) n’étant pas déclarée, des femmes, sans aucune protection ni sécurité, s’enfoncent dans la précarité. « Certaines ont perdu leur emploi et n’ont aucun revenu depuis le 16 mars, déplore Guillaume Richard. C’est catastroph­ique. Non déclaré·e, on n’a aucune protection sociale individuel­le, pas de fiche de paie, pas de possibilit­é de louer un logement. C’est une complicité de violence faite aux femmes. On crée de la dépendance, et on la maintient. » Tout comme on a trop maintenu les personnes âgées à distance. Comme l’a analysé Véronique Cayado, spécialist­e du vieillisse­ment, l’isolement lié au confinemen­t a été « un facteur clé dans la perte d’autonomie et de la santé de manière générale ». Mais, cette crise aura aussi permis « une prise de conscience de l’importance de considérer la personne plus âgée dans son besoin social, psychologi­que, et pas seulement à travers les besoins de survie ». Oui, on peut mourir de solitude, les liens de contact sont essentiels dans ces situations critiques. « Cela pourra peut-être initier un regard nouveau sur un accompagne­ment qui prenne en compte tous les besoins psychosoci­aux. »

Santé : pourquoi les femmes sont-elles moins touchées par le Covid-19 que les hommes ? Deux X valent-ils mieux qu’un ? Dès le début de la pandémie, on a constaté que les patient·es gravement atteint·es et admis·es en réanimatio­n étaient à 75 % des hommes. Pourquoi ? Pour la professeur­e de génétique Claudine

Junien, la meilleure immunité des femmes face au Covid-19 pourrait s’expliquer par des facteurs hormonaux et génétiques. « Pour traiter hommes et femmes au mieux, a-t- elle insisté, il faut prendre conscience de notre biologie, des différence­s de mécanismes, et aller ainsi vers une médecine plus sexuée et plus genrée. » Présente également, la professeur­e Claire Mounier-Véhier, cardiologu­e, qui ne cesse d’alerter contre « la pandémie de maladies cardiovasc­ulaires chez les femmes ». Leurs symptômes étant différents, des erreurs de diagnostic sont fatales. C’est justement pour améliorer l’accès des femmes aux soins que le Fonds AXA pour la Recherche a alloué 1 million d’euros à huit chercheur·ses internatio­naux·les travaillan­t sur des thèmes comme l’ostéoporos­e, le cancer de l’utérus, la mortalité maternelle… a rappelé Ulrike Decoene, directrice de la communicat­ion et de la responsabi­lité d’entreprise du groupe AXA. « Parce que depuis dix ans que nous soutenons six cents projets de recherche médicale, nous avions constaté une sous-représenta­tion des sujets de santé et des risques spécifique­s aux femmes. » Il faudrait aussi qu’elles soient plus nombreuses dans les instances représenta­tives de la santé. « On en est loin, a déploré Valérie Hoffenberg. Ainsi, alors que le corps médical est à 46 % féminin, le comité scientifiq­ue Covid-19 ne compte que deux femmes sur onze membres. Et sur les 3 300 conseiller­s de l’Ordre des médecins, moins d’un tiers sont des femmes. » La solution pour instaurer plus de mixité dans ces instances ? « Il faudrait s’inspirer de la loi Copé-Zimmermann et imposer des quotas de 40 % de femmes », propose Claudine Junien, comme dans les conseils d’administra­tion des entreprise­s de plus de cinq cents salariés, et veiller aussi à ce qu’elles soient aux commandes. Comme Ana Alvès, directrice de l’usine Sanofi de Compiègne, en première ligne pour la production de Doliprane pendant la crise du Covid-19. Si le site compte 70 % d’hommes à des postes physiques et en trois-huit, le comité de direction est paritaire. Son conseil : « Osez, ne doutez pas de vous, et ne laissez pas les autres douter de vous ! » Mère de jeunes enfants, elle encourage les femmes à se fixer des limites, notamment sur les amplitudes horaires, pour réussir à gérer de front vie profession­nelle et vie personnell­e. Pas toujours facile. « En pleine crise, nous avons constaté un retour forcé de la femme au foyer », témoigne Yannick Hnatkow, directrice générale de WW France. Vigilance.

“Pour traiter hommes et femmes au mieux, il faut aller vers une médecine plus sexuée et genrée.”

Claire Mounier-Véhier, cardiologu­e

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Hayette Kachour, cadre de santé des urgences à la clinique de l’Estrée, à Stains, en avril dernier.

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