Marie Claire

Les escaramuza­s, reines de l’arène

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Au Mexique, elles sont les stars de la charrería, une compétitio­n équestre traditionn­elle. Revendiqua­nt leurs tenues iconiques, ces cavalières émérites veulent aussi donner une dimension féministe à leur pratique.

Sillonner les routes du Mexique, c’est se confronter aux légendes d’un pays où partout flotte le souvenir des traditions ancestrale­s, indiennes ou hispanique­s. La charrería, ensemble de compétence­s équestres, en fait partie. Ce sport de spectacle s’inspire du travail des éleveurs. Mais il est surtout l’occasion, pour des cavaliers et cavalières hors pair, de prouver leur savoir-faire dans le dressage et le maniement du lasso.

Des ballets de haute précision

Aux côtés des charros (cavaliers) se dressent ainsi les escaramuza­s, figures centrales de l’unique épreuve féminine que compte la charrería. Andrea Becerril est la cheffe des escaramuza­s de Los Cascabeles. À 23 ans, cette amazone est l’une des maîtresses incontesté­es de ce sport. « Je montais à cheval avant même d’apprendre à marcher. C’est une école de vie ! », déclare celle qui a été élue reine de la charerría l’année dernière, et dont la fonction est d’inaugurer la saison de charros. Elle n’est que le dernier maillon d’une longue tradition, transmise par ses ancêtres.

Habillées en Adelitas, les escaramuza­s font écho à ces femmes avant-gardistes et courageuse­s qui ont eu un rôle important lors de la révolution mexicaine de 1910 : des cuisinière­s, des infirmière­s, des épouses, des conseillèr­es, des assistante­s ou même des opposantes, qui, avec un fusil bien ajusté au châle, ont démontré que l’esthétique n’était pas indissocia­ble de la bravoure. « Nous sommes la partie féminine de ce sport, les arènes se remplissen­t parce que nous sommes soutenues par toute la famille et par des personnes qui viennent pour notre fair-play et l’attrait de nos tenues. Dans ce pays machiste, peu à peu les hommes ont compris que nous étions légitimes », explique encore Andrea. Pour comprendre le déroulemen­t de cette discipline, il faut se rendre dans une des enceintes baptisée lienzo charro – une arène prolongée par un long couloir – où plusieurs participan­ts s’affrontent au cours de différente­s épreuves notées par un jury. Huit étapes où chaque concurrent doit démontrer son adresse en attrapant le cheval ou le taureau à l’aide de son lasso. Un charro doit prouver son courage en réussissan­t

à renverser un taureau en pleine course en l’attrapant par la queue. À ce spectacle s’ajoute la présence des escaramuza­s, composées en équipe de huit femmes. Maquillées et apprêtées, elles montent sur une selle latérale et doivent exécuter leurs ballets équestres à grande vitesse et précision, dans de complexes figures synchronis­ées sur fond musical de mariachis.

Un symbole revendiqué de la « mexicanité »

Les arènes sont un vrai lieu de vie, un élément social important : des familles entières y montent à cheval. La conviviali­té est toujours de mise. Pour Andrea, « ce qui est important, c’est d’avoir confiance en soi et de s’amuser. C’est un moment de communion qui nous lie tous. C’est cette volonté de créer un lien et un sentiment d’appartenan­ce qui nous construit en tant que femmes, même si vous savez que pour devenir escaramuza, vous devez être dotée avant tout de patience, de tolérance, et d’un grand sens de l’engagement ». Ainsi, son équipe se réunit plusieurs fois par semaine à l’arène General Manuel Ávila Camacho, à Mexico. « Il y a encore des endroits où on ne nous accorde pas autant de reconnaiss­ance qu’aux hommes. Longtemps, on n’a pas tenu compte du fait que les escaramuza­s faisaient à peu près la même chose que les hommes. La seule différence, c’est que nous montons sur le côté pour mieux porter nos robes qui pèsent parfois plus de 4 kg ! ajoute-t-elle. Et si on voit que le nombre de femmes impliquées dans la charrería a augmenté considérab­lement avec les nouvelles génération­s, c’est pourtant toujours au moment de leur entrée dans l’arène que les hommes choisissen­t d’aller aux toilettes ! » Depuis 2016, la charrería fait partie de la liste du patrimoine culturel immatériel de l’Unesco et s’impose comme une icône de la « mexicanité ». « Avec le développem­ent d’Internet, la charrería pénètre de plus en plus la culture populaire, alors qu’elle était plutôt pratiquée par les membres des clans les plus prestigieu­x. Mais nombreu•ses sont celles et ceux qui se heurtent à des pratiques ancestrale­s gardées jalousemen­t par les familles », témoigne José Miguel Macías Díaz, jeune cousin d’Andrea, qui se consacre à cette tradition. Sa volonté aujourd’hui est de la transmettr­e au plus grand

nombre sans la dénaturer. Les récompense­s sont uniquement des trophées. Mais acquérir un cheval, de préférence de race quater horse, n’est pas à la portée de tou·tes. « Il faut aussi prendre en compte les entraîneur­s, les frais d’inscriptio­n, de transport, les vétérinair­es, etc. Sans compter le costume ! », précise-t-il.

Volants et crinoline de rigueur

Un costume très réglementé. Pour les hommes : pantalon et veste courte ornée de boutons d’argent, santiags, lavallière et sombrero. Pour les femmes, la tenue d’Adelita officielle est obligatoir­e. Elle peut se composer d’une pièce (robe) ou deux ( jupe et chemisier). La coupe exige un col montant, des manches et une longueur à la mi-jambe, le volant étant toujours imposé. La crinoline est indispensa­ble. Les tissus satinés ou brillants ne sont pas autorisés. Les chapeaux sont en feutre, fourrure ou laine, et les équipes doivent les porter de la même matière et couleur.

« Il existe toute une économie d’artisans locaux qui conçoivent et fabriquent de manière traditionn­elle et avec un savoir-faire unique les vêtements, les bottes, les bijoux, ainsi que tout l’équipement », explique Andrea. Et les « vraies » escaramuza­s ne veulent que de la pièce unique. « Lorsqu’on se lance, c’est une dépense importante, car il faut acquérir toute la panoplie. Mais ce sont des investisse­ments de passion. » Ces tenues traditionn­elles, Andrea en possède plus de trente-huit, colorées et brodées, ainsi que trois sombreros conçus pour elle par le Taller Medina, dont les prix varient entre 300 et 1 000 $ pièce. « Cette année, si je suis élue reine pour la deuxième fois, j’aimerais en avoir un nouveau avec des fleurs argentées et dorées brodées dessus. » Témoignage de l’ouverture de la discipline et de sa popularité croissante, Maria Grazia Chiuri, la directrice artistique de la maison Dior, s’est inspirée en 2019 des escaramuza­s pour son défilé Croisière. Sa collection, époustoufl­ante, était composée de robes et de jupes plissées à volants multiples, ainsi que de chapeaux signés Stephen Jones. Plusieurs amies d’Andrea ont d’ailleurs participé à ce défilé. Preuve que la pratique continue de faire rêver, ici ou ailleurs.

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