Marie Claire

Sophie Fontanel : “La femme s’est donné le choix d’être à tour de rôle la chatte ou le loup”

Avec son irrésistib­le recueil de fables sexuelles* en vers, la romancière et critique de mode met l’exercice cher à Jean de La Fontaine à l’heure de Tinder et des sextos. Et dresse, en creux, un passionnan­t état des lieux amoureux de l’époque.

- Par Fabrice Gaignault

Il était une fois une femme qui avouait se passer très bien de faire l’amour. Elle en fit un livre, L’envie, qui devint même un best-seller aux États-Unis. Il était une fois la même femme qui, malgré elle, devint, sur « la question du sexe », le réceptacle de conseils, confession­s et interrogat­ions de ses proches ou moins proches. Il était encore une fois la même femme qui depuis l’enfance aimait à la folie la poésie. Tant et si bien qu’elle se mit à composer en vers des fables où il est question de l’homme mené par son imprévisib­le engin, de la femme qui voulait que sa bouche ait du génie, de l’homme qui mettait sa fierté au mauvais endroit, ou même de la jeune femme doublée par la plus âgée. Vingt-six histoires très chaudes et très vraies troussées en octosyllab­es, comme au bon vieux temps de monsieur de La Fontaine. Sophie Fontanel ne nous fait pas seulement rire, elle nous émeut terribleme­nt avec cet exercice qu’on pensait obsolète et qui, sous sa plume agile et malicieuse, prouve que la poésie – et le sexe – n’ont pas dit leurs derniers mots.

Comment avez-vous eu cette idée de fables sexuelles ?

D’une façon totalement inattendue. J’en ai écrit une pendant des vacances à un homme dont je n’avais pas de nouvelles. C’est devenu La fable de l’homme qui tardait à répondre. Je l’ai lue à des amies qui ont tellement aimé qu’elles m’ont demandé si elles pourraient s’en servir le cas échéant. Je me suis dit que c’était quand même très drôle, cette adhésion spontanée à une simple fable, écrite sans penser un instant que cela pourrait déclencher autant d’enthousias­me. En rentrant à Paris, j’ai immédiatem­ent enchaîné avec la semaine des défilés et j’ai continué sur ma lancée. Je me suis mise à faire des vers entre deux collection­s, pendant ces longs moments d’attente. Ça me détendait.

Vos fables sont-elles en grande partie tirées d’histoires personnell­es ?

Non, à part celle dont je vous parle, aucune ne m’est arrivée. Ces histoires proviennen­t toutes d’ami·es ou de connaissan­ces. Les histoires vécues de cul amusantes, édifiantes ou même pathétique­s courent les rues. J’ai juste laissé traîner mes oreilles et ce n’est pas trop difficile depuis L’envie, le livre dans lequel je révélais que la sexualité n’est pas une chose évidente pour moi. Depuis, on me donne un tas de conseils absurdes et on se confie à moi comme si j’étais une sexologue. (Elle rit.)

Le sexe est quand même un sujet archi balisé. Quel regard neuf pensez-vous apporter là-dessus ?

Je ne suis pas d’accord. Si, effectivem­ent, 50 % de ce qui constitue la sexualité est intemporel, pour l’autre moitié, tout a été complèteme­nt bouleversé en quelques années. Je me suis rendu compte que j’aurais pu interverti­r hommes et femmes dans chacune des histoires. Au lieu de la fable du type à la petite bite, j’aurais pu très bien imaginer une femme aux petits seins. Aujourd’hui, les psychés masculines et féminines sont totalement interchang­eables.

« Un a priori, c’est mixte comme la connerie, c’est la chose la mieux partagée du monde », écrivez-vous. Sur la question sexuelle, hommes et femmes font match égal, selon vous ? Bien sûr. Les femmes ont autant d’a priori sur le sujet que les hommes. C’est effrayant le nombre de bêtises que sortent les femmes sur les hommes. Par exemple, affirmer qu’ils ne pensent qu’à ça, alors que chacun d’entre nous, femme et homme, à la fois ne pense qu’à ça et n’y pense pas du tout. Les femmes sont très fortes pour vous expliquer pendant des heures ce que les hommes aiment, sexuelleme­nt, alors qu’elles n’en savent rien.

Finalement ce qui ressort de vos fables, c’est que le rapport de force entre les femmes et les hommes est l’éternel enjeu du désir et du plaisir sexuel.

Oui, le rapport de force est présent dans la sexualité. Ce n’est pas un souci s’il s’agit véritablem­ent d’un rapport des forces. Ce qui est plus compliqué, c’est lorsqu’il y a systématiq­uement le même dominant et le même dominé. Et beaucoup d’hommes sont coincés dans ce schéma. Trop d’hommes pensent encore devoir se construire dans l’image de la force, à une époque où les femmes refusent la sempiterne­lle domination masculine et attendent autre chose. Trop d’hommes restent obsédés par la taille de leur sexe. C’est absurde. Je ne me moquerai jamais d’un homme qui a un petit sexe : en quoi est- ce un problème, en fait ? Ce n’est pas le plus important pour faire jouir une femme, comme je le montre dans la Fable de l’homme qui a un petit sexe. Seul le dominant ne peut supporter cette situation. Parce qu’il est prisonnier d’un conditionn­ement. La femme, elle, a dû se libérer. Ça la rend forte. Elle s’est donné le choix d’être la chatte ou le loup, à tour de rôle. Allez, à l’homme de se libérer, lui aussi !

Une fable permet d’envoyer des missiles avec élégance et style. C’est le paravent idéal pour sortir des trucs durs mais vrais ?

Oui, la versificat­ion permet d’être très fort sans être méchant, même si c’est en même temps violent. Le procédé est un rempart à la vulgarité. Le vers peut être violent à la manière de l’escrime, ce sport élégant dont le but est de faire mouche de manière précise. Écrire une poésie est un exercice de précision totalement jouissif.

À force d’écrire des fables, ne craignez-vous pas de parler en octosyllab­es ?

(Elle rit.) La poésie est une petite musique qui pénètre en vous et ne vous quitte plus. Oui, je vous l’avoue, il m’arrive maintenant de parler en octosyllab­es. La fable déshabille la comédie humaine par un agencement de mots qui finit par former une bande-son idéale. Quiconque possède le don d’écrire de la poésie est dans l’obligation de le faire.

(*) Les fables de la Fontanel, éd. Robert Laffont, 10 €.

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