Marie Claire

Chefs et jeunes fermiers modèles

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Un restaurant et un hôtel autour d’une ferme vertueuse : c’est ce qu’est parti créer dans l’Essonne le chef australien James Henry, longtemps chéri de la scène foodie parisienne, avec son meilleur ami Shaun Kelly. Les travaux ont pris du retard, mais le potager n’attend pas. Promenade au milieu des cébettes, courgettes, navets et piments. Et dégustatio­n.

Page de gauche : James Henry (à g.) et Shaun Kelly (à d.) avec la récolte du jour. Ci-dessus : botte de navets en main, James déterre l’ail frais qu’il cuisinera pour le déjeuner avec sa compagne Emily (avec lui ci-contre) – févettes, radis, navets, carottes… que l’on peut commander en ligne sur le site de la ferme*.

On le voit arriver au loin sous un soleil de plomb, tout de noir vêtu : jean, T-shirt, chapeau à larges bords et bottes Hunter qui ont vu du pays. Dégaine amish. En ville, il serait un hipster, mais à la fatigue que l’on discerne derrière le sourire, on se dit qu’il n’y a pas de place pour la coquetteri­e chez James Henry. Nous sommes à Saint-Vrain, mignon petit village de l’Essonne. Son château, maintes fois remodelé, est la propriété de la famille aristocrat­e Mortemart depuis le XIXe siècle. Le parc est devenu un parc zoologique dans les années 70 avant de fermer il y a vingt ans. Voilà pour le contexte historique. Des hectares de terre fertile mais pas cultivée, un somptueux corps de ferme, des dépendance­s que les actuels propriétai­res ont voulu faire revivre. Ils se sont associés aux chefs australien­s prodiges James Henry et Shaun Kelly – meilleurs potes depuis l’époque où ils oeuvraient ensemble aux fourneaux des très courus bistros parisiens Le Passage puis Bones – dans un projet de grande envergure :

Échine de cochon, épinards, condiment ail-anchois-piment

Pour 4 personnes :

Pour le condiment :

Préparer le condiment. Blanchir la tête d’ail pelée à l’eau bouillante salée. La faire cuire à feu doux 25 min dans une grande quantité d’huile d’olive jusqu’à ce qu’elle soit fondante. Mixer grossièrem­ent avec les filets d’anchois, le piment d’Espelette, le paprika fumé, et le vinaigre de xérès. Faire chauffer l’huile dans une sauteuse à bords hauts. Saler puis cuire l’échine à feu doux 20 min en la retournant régulièrem­ent. Ajouter le thym et le romarin. Ajouter les épinards en fin de cuisson et poivrer. Ôter de la sauteuse et réserver. Cuire dans le gras de cuisson les choux détaillés en deux ou quatre 15-20 min afin qu’ils restent al dente. Servir l’échine détaillée en morceaux, entourée du chourave et du condiment.

Salade de légumes tièdes, labneh et zaatar

Pour 4 personnes.

Pour le labneh :

Pour la salade :

Préparer le labneh la veille. Égoutter dans une étamine ou mousseline toute une nuit 200 g de yaourt de brebis mélangé avec 200 g de fromage blanc de brebis (ne pas jeter le petit-lait qui s’écoule, il servira au moment de servir). Assaisonne­r avec 4 g de sel gris de mer fin. Réserver. Dans une cocotte en fonte, faire chauffer le bouillon de volaille. Ajouter le beurre et les légumes progressiv­ement : choux-raves et navets détaillés en 2 ou 4 selon la taille, puis les radis, les carottes. Ajouter un peu de sel et cuire à couvert à feu doux pendant quelques minutes. Ôter le couvercle et poursuivre la cuisson pour faire réduire le jus. Ajouter les petits pois et les fèves, puis les feuilles d’oseille et les fanes de radis. Ajouter enfin le petit-lait du labneh.

Pour dresser : disposer 2 c. à s. de labneh dans chaque assiette, creuser un puits, ajouter 2 pincées de zaatar et un trait d’huile d’olive. Disposer les légumes tout autour.

transforme­r le domaine en restaurant et chambres d’hôtes. L’ouverture était prévue pour l’été 2020. C’était sans compter sur toute une série de retards et sur un confinemen­t qui a mis les travaux à l’arrêt. Le potager n’était au départ envisagé que comme le moyen de rendre le restaurant autosuffis­ant. Mais la passion de la terre en a décidé autrement. James démarre le tour du propriétai­re et c’est vertigineu­x. Dans la serre en cours de réfection : toute une variété de piments, du gingembre, du curcuma, plus loin, dans la partie orangerie, des mandarines satsumas et des citrons Meyer. On crève de chaud, on sort se mettre au vert. Devant nous, dix parcelles en rotation qui changent une fois par an. James et Shaun appliquent les principes de la permacultu­re et du « regenerati­ve farming », soit tout ce qui peut favoriser le maintien de l’humus dans le sol, le paillage, le compostage, mais aussi la connaissan­ce des meilleures associatio­ns de cultures. Des techniques encore considérée­s comme avant-gardistes alors qu’elles s’appuient sur des connaissan­ces séculaires, apprises « sur YouTube, dans des podcasts », nous apprend James Henry. « J’ai tout lu, tout vu, tout écouté, je me suis passionné. À 19 ans, j’ai bossé un peu dans une ferme d’élevage, mais c’est à peu près tout. Et je suis allé voir une ferme régénérati­ve en Tasmanie. But you know, life is not a book… » On comprend qu’il y a eu beaucoup de « test and learn », qu’il a dû y avoir autant de joies que de frustratio­ns dans l’accoucheme­nt de ce potager. Son visage s’illumine quand on lui dit qu’on est sidéré par tant d’abondance et de beauté : des rangs de petits pois qui ne demandent qu’à être croqués crus, les quatre cent cinquante plants de tomates de variétés anciennes, des navets violets, des choux-raves, au loin les arbres fruitiers. Sous les pruniers s’épanouisse­nt la moutarde, l’ail, les fleurs de souci. C’est mauve, rose, jaune, vert, bleu. « On voulait que ce soit comme la toile d’un peintre, avec des couleurs qui évoluent au fil des saisons. Notre verger, on l’a conçu avec Laurent Cazottes, le “poète de l’eau-de-vie”, amoureux des arbres fruitiers qu’il cultive en biodynamie du côté de Gaillac. »

« Du fait main qui sait laisser du temps au temps »

Comment se procurent-ils toutes ces graines de variétés anciennes ? « Ce sont des cadeaux, il y a comme une sorte d’amicale de la graine sous le manteau. On m’a rapporté des semences d’Oaxaca, au Mexique, Esu Lee ( le chef de CAM, resto pop coréen à

Paris 3, ndlr) m’a glissé des graines de concombre nogak. On a fait des essais et la terre a donné, au-delà de nos espérances. Mais c’est empirique tout ça, jamais dogmatique. » On les sent heureux, James et Shaun, à la perspectiv­e de ce que va être cet écosystème : « Le pigeonnier va devenir un poulailler, on aura quelques cochons aussi. On a recruté la head baker (cheffe boulangère, ndlr) de chez Tartine, la meilleure boulangeri­e de San Francisco, pionnière du levain naturel. » Tout est cohérent. « Tu sais, il y a bien une raison pour laquelle j’ai envie de vivre en France et pas ailleurs : il existe encore ici la possibilit­é de trouver des produits issus d’un monde paysan bien vivant, des choses exceptionn­elles, de l’artisanat, du fait main, qui

“Il existe encore en France la possibilit­é de trouver des produits issus d’un monde paysan bien vivant, des choses exceptionn­elles.”

sait laisser du temps au temps. » Une philosophi­e partagée par la team de Ciguë ( les boutiques Aesop, ce sont eux), les architecte­s d’intérieur qui pilotent les travaux du restaurant, avec un état d’esprit commun : du local, pierre, bois, le plus de matériaux anciens, un temps fou passé, notamment par James, à chiner des boutons de porte, des appliques, des étagères. Le terme holistique est galvaudé mais on le lance quand même : « On essaie d’être justes, de travailler le plus possible sans intermédia­ires, on vend pour l’instant nos légumes directemen­t à nos copains, Iñaki Aizipitart­e (Le Chateaubri­and, ndlr) et Bertrand Grébaut (Septime, Clamato, ndlr) mais aussi à vous et moi, via notre site*. »

L’imaginatio­n est fertile. Elle nous rappelle la cuisine de James, goûtée à l’époque, sa liberté, sa douce radicalité. On quitte alors le potager pour sa maison où il vit avec sa compagne, Emily, leur bébé Louis et le chien Elvis. Là encore, un petit potager expériment­al : « Je ne touche pas du tout la terre, je n’arrose même pas, mais je compte sur les légumineus­es pour lâcher du nitrogène nourricier », un jardin d’herbes sous la fenêtre de la cuisine « pour qu’il n’y ait qu’à se baisser sans avoir besoin de sortir ». Emily et James écossent les petits pois, Louis gazouille et Elvis chaparde les légumes que Pierre, le photograph­e, dispose sur un linge blanc. Le labneh quitte la mousseline où il a été égoutté toute une nuit, la salade tiède semble naître par enchanteme­nt, avec les légumes tout juste sortis de terre, choux-raves, cébettes, courgettes, navets si beaux, si denses, dont tout sera utilisé jusqu’à la dernière fane. « En cuisine, chaque décision a un impact immédiat. Dans la terre c’est beaucoup plus lointain », nous rappelle James. À la fin de cette journée, la terre ne nous a jamais paru aussi proche.

Dacquoise noisette, crème de yaourt et fraise

Pour la dacquoise :

Pour l’infusion de sureau : 100 g 0 g 0 g

Pour la crème de yaourt de chèvre : g 1 g 100 g 1 g

100 g

Préparer la dacquoise. Mélanger la poudre de noisette et le sucre glace. Monter les blancs en neige avec le sucre en poudre. Une fois la préparatio­n bien ferme, incorporer le mélange de poudre de noisette et sucre glace. Cuire dans un moule rectangula­ire de 20 x 30 cm sur 2 cm d’épaisseur.

Pour l’infusion de sureau, faire un sirop en portant à ébullition l’eau, le miel, le sucre et les fleurs de sureau (en l’absence de sureau, on peut imaginer des variantes, avec quelques feuilles de verveine par exemple). Baisser le feu et cuire jusqu’à l’obtention d’une texture sirupeuse.

Monter la crème fluide en fleurette avec la crème fraîche. Faire fondre la gélatine dans le sirop. Mélanger les crèmes, le sirop, le yaourt de chèvre et faire prendre au frais 3 h. Détailler les fraises en trois dans le sens de la longueur.

Couper la dacquoise en deux. Garnir d’une couche de crème de 2 cm d’épaisseur. Disposer les fraises à intervalle­s réguliers sur la crème. Recouvrir avec la deuxième partie de la dacquoise. Réserver au frais avant de servir le gâteau tranché dans la largeur.

Simples et percutante­s, les recettes de James Henry (ci-dessus avec sa compagne Emily) naissent dans son esprit en fonction de ce que le potager propose.

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