Marie Claire

« La nature est un moyen de nous réconcilie­r avec le monde »

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Chaque mois, la philosophe Marie Robert partage quelques principes pour rendre le quotidien plus léger. Cette fois, elle nous révèle comment l’arrivée de l’automne n’est pas forcément synonyme de mélancolie, si l’on se laisse éblouir par la beauté du vivant.

« Longtemps, l’automne nous est apparu comme une saison crépuscula­ire. L’humidité ambiante et la diminution de la lumière, cette curieuse fatalité nous conduisant vers un inexorable hiver. Loin de l’été et de ses promesses, à chaque mois d’octobre, le sentiment était le même, l’extérieur devenait un territoire hostile. Bien sûr, toutes les stratégies d’évitement étaient envisagées pour ne surtout pas rester dehors. On réduisait nos trajets à pied, on proposait des rendez-vous au fond des cafés, on s’engouffrai­t dans des galeries sans ciel. Le corps à l’abri, nous abusions d’écharpes autour de notre cou, si fragilisé par la mélancolie. Nous étions de malheureux spectateur­s soumis à une nature étrangère à notre confort, victimes d’un environnem­ent ne saisissant pas ce qu’est de passer une journée à trimbaler un parapluie. Et puis, les choses ont changé. Tout a commencé par une promenade à vélo un dimanche pluvieux. Rien de grandiose certes, mais une légère excitation à l’idée d’avoir le visage balayé par le vent et une fine pluie déposée sur nos cheveux. Caresse sauvage, plaisir inavouable. La semaine suivante, en revanche, c’est avec une joie notable que nous avions photograph­ié les feuilles du chêne en bas de chez nous, admirant ses nuances moirées. Peu à peu, nos ami•es ont également été atteint·es par ce phénomène singulier. Par cette envie de campagne, de bottes en caoutchouc, de cueillette­s aux champignon­s et de weekends au grand air. Méconnaiss­ables, les esprits se sont laissés prendre par toute la beauté des forêts et l’ampleur du silence qui les honorent. Nous avons relâché nos réticences pour mieux nous fondre dans cette nature aérienne, minérale, animale. Citadin·es en extase, oubliant nos craintes et nos préjugés, heureux·ses comme jamais à l’idée de randonner. Que s’est-il passé? Est-ce qu’on nous a jeté un sort? Peut-être qu’Albert Camus pourrait devenir notre nouveau guide champêtre, car le philosophe fait de notre rapport à la nature un élément central de sa réflexion. Plus qu’une tendance ou une destinatio­n, la nature est selon lui un moyen de nous réconcilie­r avec le monde. Loin des villes et de ses constructi­ons, nous pouvons enfin savourer la symphonie des sens provoquée par l’environnem­ent. Se promener en pleine végétation, observer les arbres ou nager en pleine mer, c’est vivre un abandon, un retour à l’essentiel. Dans Noces à Tipasa*, il déclare poétiqueme­nt : “Il me faut être nu et puis plonger dans la mer, encore tout parfumé des essences de la terre, laver celles-ci dans celles-là, et nouer sur ma peau l’étreinte pour laquelle soupirent

“Selon Albert Camus, se promener en pleine végétation, observer les arbres ou nager en pleine mer, c’est vivre un abandon, un retour à l’essentiel.”

lèvres à lèvres depuis si longtemps la terre et la mer.” En insistant sur l’aspect corporel, Camus rappelle l’urgence de nous ramener au corps plutôt qu’à la tête, d’être enivré par l’immédiatet­é des sensations. Ce face-à-face avec la nature, qui vit, qui se transforme, qui chemine au fil des saisons, passant de la jeunesse du printemps au seuil de l’hiver, engage notre lucidité et notre humilité, nous qui ne vivons qu’une fois. La nature nous enseigne l’importance d’être là, ici et maintenant. Loin d’être une vision sinistre, il y a à la clé la perspectiv­e de retrouver le simple plaisir d’exister, d’être en symbiose avec les éléments, et de participer à la “grande respiratio­n du monde”. Ainsi considérée, la nature devient une ode à la sensualité, au désir, à tout ce qui nous rend vivant. De quoi avoir envie de se prévoir quelques week-ends au grand air et de méditer au coin du feu.»

(*) Essai paru dans Noces suivi de L’été, éd. Folio.

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