Marie Claire

L’actu qui nous touche, nous interpelle

- Propos recueillis par Adèle Bréau

part de la notion d’espace public dont les femmes sont écartées. On parle de la ville mais aussi des médias, dont elles restent les grandes absentes. Comment expliquer ce phénomène ?

Les chiffres stagnent, voire baissent. Dès qu’il y a une crise, on se tourne vers les mêmes vieux experts, comme s’il s’agissait d’une parole d’autorité rassurante. Et puis, c’est plus compliqué de faire venir les expertes sur les plateaux télé à 20 heures parce qu’en général, elles s’occupent des enfants. Mais il faut adapter la société. On ne peut pas être devenues des actrices culturelle­s, économique­s et sociales tout en continuant à être assignées aux tâches domestique­s. Pourtant, pendant le confinemen­t, beaucoup se sont imposé les fonctions d’institutri­ce, cuisinière… au détriment de leur travail, comme si c’était « leur rôle ». Pourquoi ? Parce qu’historique­ment, on a toujours fait reposer la responsabi­lité de l’éducation sur elles, les femmes ont l’impression d’être de mauvaises mères si les exercices de maths ne sont pas terminés, avec une culpabilit­é plus grande que les pères. Le sexisme intérioris­é est aussi dur à éradiquer que le sexisme extérioris­é. Mais c’est justement en prenant conscience de ces mécanismes qu’on arrive à les combattre.

Dans notre pays, il y aurait cette idée que « la main aux fesses » fait partie du patrimoine national. Notre culture rendelle le travail plus compliqué qu’ailleurs ? En France, à travers les vieux films ou chansons notamment, on pense que la gauloiseri­e, la drague lourde sont des petites contingenc­es du quotidien des femmes, sans considérer la violence de ces actes. Heureuseme­nt, les jeunes filles d’aujourd’hui ont entendu parler de consenteme­nt (moi, j’ai dû attendre d’avoir 35 ans). Et ça, c’est grâce au travail des militantes.

Récemment, le mouvement Black Lives Matter a été très soutenu par les féministes. Est-ce ça, « penser de façon intersecti­onnelle » ? L’intersecti­onnalité, c’est l’idée que si on s’attaque aux mécanismes de domination systémique dans la société, il ne faut en oublier aucun. Comprendre que la domination du masculin sur le féminin est appuyée sur tout un système fait de lois, de culture, c’est réaliser que ce mécanisme s’applique à celle des Blancs sur les Noirs, des hétérosexu­els sur les homosexuel­s, des cis (3) sur les trans, des valides sur les handicapés… La convergenc­e des luttes féministes et antiracist­es relève de la volonté d’atteindre une vraie égalité entre êtres humains.

Comment fait-on pour que le masculin et le Blanc ne soient plus ces « faux neutres » autour desquels la société s’organise ? Faut-il des quotas ?

Oui ! Pas forcément de lois rigides mais un effort conscient. Tant qu’on continuera à avoir une majorité de mecs blancs partout, dans les gouverneme­nts, les assemblées, les entreprise­s… ce faux neutre restera. Ce que le collectif 50/50 a réussi à obtenir du CNC (une prime est désormais accordée aux films dont l’équipe est strictemen­t paritaire, ndlr) devrait servir de modèle: ni sanction ni obligation mais un bonus qui pousse à faire l’effort. On dit souvent que les choses se feront toutes seules mais c’est faux! Sans effort, rien ne change jamais.

1. Elle a, entre autres, créé le podcast La poudre, et anime Les savantes le samedi à midi sur France Inter. 2. Présentes – Villes, médias, politique… quelle place pour les femmes? éd. Allary.

3. Identité de genre où le genre ressenti d’une personne correspond au sexe assigné à sa naissance.

 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from France