Marie Claire

Après minuit avec Louise Bourgoin

- Par Fabrice Gaignault Photos Paloma Pineda

Elle aime ce qui est beau et les lieux hors du temps. Elle aime aussi rire et bavarder tard quand les tournages de la série Hippocrate le lui permettent, et quand son rôle de jeune mère le lui autorise. Dans L’enfant rêvé*, son nouveau film, elle doit faire face au dévorant désir de paternité d’un homme. C’est ce qui lui a plu, confie-t-elle entre deux éclats de rire. Rencontre avec une comédienne aussi drôle que lumineuse.

Minuit, l’heure du crime, et elle est déjà là, masquée, devant la brasserie La Lorraine, place des Ternes à Paris, où elle a donné rendez-vous. Un endroit centenaire chargé d’histoires, tout pour plaire à cette passionnée d’art nouveau, habituée de Drouot, où elle se rend dès qu’elle peut. Ce 17e arrondisse­ment à la fois bourgeois et plein de trésors architectu­raux néogothiqu­es. Louise Bourgoin aime ces lieux hors du temps, le parc Monceau à l’humeur de cimetière mélancoliq­ue, les rues des Batignolle­s où passe l’ombre de Verlaine. Louise est aujourd’hui Patricia dans L’enfant rêvé de Raphaël Jacoulot, film sensible au sujet fort: un homme marié qui ne peut pas avoir d’enfants jette son dévolu sur une femme mariée qui en a déjà. Elle réalisera son rêve, mais à quel prix? Face à elle, et contre elle, tout contre elle, Jalil Lespert est tout aussi convaincan­t.

Louise Bourgoin n’aime pas se coucher tard. Entre le tournage de la seconde saison d’Hippocrate et ses deux garçons, Étienne, 4 ans, et Vadim, 8 mois, le timing est millimétré et ne donne pas dans l’improvisat­ion festive. Ce soir est une exception. La conversati­on commence dans un salon particulie­r de la brasserie et se terminera tard, très tard, sur le trottoir, avec un verre de brouilly pour dénouer un peu plus encore ce fil d’Ariane. Louise Bourgoin revient sur ce tournage particulie­r à plus d’un titre : « Jusqu’ici, au cinéma, généraleme­nt l’homme accompagne le désir maternel, ou alors il est surpris et il accepte, mais on n’y voit jamais une envie viscérale d’être père, c’est ce qui m’a plu dans le scénario. J’étais réelle

ment enceinte au même moment, c’est mon ventre que l’on voit. C’était une situation assez troublante.» Chez Louise Bourgoin, les visions de bande dessinée ne sont jamais loin, ainsi lorsqu’on lui demande d’en dire plus sur sa grossesse : «J’avais l’impression d’avoir un petit locataire, de ne plus être complèteme­nt propriétai­re de mon corps. » On imagine le petit locataire cognant à la porte de sortie pour manifester son impatience. Oui, l’actrice Louise Bourgoin pense parfois en bulles comme l’artiste Louise Bourgoin qu’elle fut, étudiante. Elle a fini de tourner L’enfant rêvé en octobre 2019 et Vadim est né en janvier 2020. La voici désormais mère de deux garçons : «Fille, garçon, ça m’était égal. Il n’y a qu’une chose qui comptait, c’est de ne pas avoir un seul enfant. Je suis fille unique du côté de ma mère et me suis un peu ennuyée pendant mon enfance car j’étais tout le temps confrontée au monde des adultes. C’est important d’avoir un frère ou une soeur pour pouvoir affronter solidairem­ent le monde des parents, de ne pas être seul·e dans sa constructi­on.» Seule. On a du mal à le croire, mais cette femme qui attire les regards et les compliment­s dans la brasserie Lorraine a souffert, plus jeune, de solitude. « Je suis une esthète, j’ai eu des hommes qui étaient très beaux et je pense que mis bout à bout, ça ferait un très joli calendrier Pirelli au masculin. Mais en même temps, j’ai été une fille un peu seule, en attente du grand amour. J’ai beaucoup projeté sur des hommes qui me plaisaient en rêvant à des histoires qui n’étaient au fond que de longs dialogues avec moi-même. Et quand je les vivais, elles se révélaient inintéress­antes. Je conçois aujourd’hui l’amour comme une sorte de trajet à long terme avec des chemins plus ou moins sinueux.» Est-ce parce qu’elle se méfiait des hommes et voulait conjurer les blessures à venir qu’elle se mit, étudiante aux Beaux-Arts de Rennes, à créer des… hommes meubles ? «Une prof m’avait dit: “Vous êtes là pour réaliser ce que vous avez envie d’avoir chez vous!” Je me suis demandé quoi. Mais bien sûr! Un homme-canapé, un homme-fauteuil, un homme-repose-pieds! Voilà ce qu’il me fallait! Au moins ils ne feraient pas de bruit et ne me décevraien­t jamais. Je moulais des amis avec des bandes plâtrées, ensuite je découpais les coques que je coulais dans la résine ou dans la fibre de verre. J’avais 18 ans, c’était une façon de tripoter tous ces jolis corps nus!» (Rires.) Louise Bourgoin est ainsi, sérieuse et amusante, « coquine » comme elle dit, et pudique. Cette Bretonne, fille d’un professeur de philosophi­e et d’une professeur­e agrégée de lettres modernes, a rencontré l’amour dans une boîte. Elle l’a « chopé », selon sa charmante expression, et depuis, ne l’a plus quitté. Tepr, le musicien et producteur de musique électroniq­ue, est le père de leurs enfants. On a bien sûr envie de lui demander son bilan amoureux post-confinemen­t, elle qui avait, dans les premiers jours de la pandémie, confié à Frédéric Taddeï «s’inquiéter pour son couple». Mais ses craintes ont vite été dissipées. «Ce moment particulie­r a fait de nous des personnes meilleures. Nous nous sommes rendu compte qu’il allait falloir lâcher du lest sur nos défauts respectifs si l’on voulait traverser le confinemen­t sans encombre, car entre mes tournages et son boulot tout aussi prenant, nous ne sommes pas toujours ensemble. Cette acceptatio­n de nos défauts mutuels n’a finalement rien de provisoire, et réaliser cela a consolidé notre relation.»

«DANS LA VIE, IL FAUT TOUT MÉLANGER»

Louise Bourgoin sait ne pas trop se prendre au sérieux. Elle sourit et rit beaucoup, ce qui n’est pas encore interdit par la loi. Les bêtises des uns et des autres lui servent de détonateur. «J’ai appelé mon fils aîné Étienne en hommage à Étienne de La Boétie, l’auteur du Discours de la servitude volontaire. Un journalist­e avait compris “en hommage au DJ Étienne de Crécy”. J’ai failli avoir une attaque devant tant d’inculture.» La comédienne aime le compagnonn­age des grands textes classiques et des artistes comme Mary Cassatt, James Tissot ou encore Guy Wilthew, son arrière-grand-père anglais, le peintre d’une Bretagne disparue qu’elle a sortie des ténèbres de l’oubli. Elle aime aussi dessiner des femmes nues, lascives, sensuelles et enchevêtré­es, comme échappées de La ronde de Matisse. Une manière de célébrer la vie et d’en faire une sorte de printemps perpétuel. Agité chez elle d’envies diverses: jouer, dessiner, écrire. «Dans la vie, il faut tout mélanger », lui a conseillé un ancien prof des Beaux-Arts, croisé il y a quelque temps. Elle est d’accord. C’est une fille drôle qui ne cherche surtout pas à l’être, ce qui serait le comble de la vulgarité, elle l’est par tous les pores de sa peau, pâle et lumineuse, comme une luciole égarée dans la nuit parisienne. Louise se fond maintenant dans le noir d’un boulevard désert. Masquée mais l’âme à découvert, frontale, directe et joyeuse. Comme une certaine Chloé Antovska, qu’elle va retrouver demain sur le plateau d’Hippocrate.

(*) Avec aussi Mélanie Doutey, en salle le 7 octobre.

“J’ai été une fille un peu seule, en attente du grand amour. J’ai beaucoup projeté sur des hommes qui me plaisaient en rêvant à des histoires qui n’étaient que de longs dialogues avec moi-même.”

14 QUESTIONS D’APRÈS MINUIT

Dormez-vous Seulement si je bien connais la nuit bien ? mon texte. Vos boisson et nourriture nocturnes ?

Le lait maternel, mais c’est moi qui le donne. Vivez-vous sous une bonne étoile ?

Je vis sous un beau projecteur. Votre mère vous embrassait-elle avant de dormir ?

Ma mère me racontait des histoires sans image, des histoires inventées et je fais comme elle aujourd’hui. La nuit efface-t-elle le jour et les soucis ?

«Le jour se lève, ça vous apprendra», c’est de Jacques Rigaut. Que trouve-t-on sur votre table de nuit ?

Une pile de livres… En ce moment la bio de Jacques Rigaut par Jean-Luc Bitton*, Le musée de l’Innocence d’Orhan Pamuk, Dandies de Roger Kempf, Love me tender de Constance Debré, Thérèse et Isabelle de Violette Leduc et bien sûr les dialogues de la seconde saison d’Hippocrate. Quels carburants après minuit : alcool, drogue, sexe, sucre, Xanax ?

Le carburant, c’est moi qui le donne, j’ai un jeune drogué de 8 mois à la maison qui en réclame beaucoup! La dernière fois que vous vous êtes couchée tôt ?

Dès que je peux, je me couche ultra-tôt, à 20h30, en même temps que mes fils. Entre le tournage d’Hippocrate, parfois jusqu’à 3 heures du matin, et les enfants, c’est le seul moyen de faire un équivalent de grasse mat’. Boule à facettes?

Je me suis imposée de ne plus aller en boîte après 30 ans. Au-delà, je trouve ça pathétique. J’y allais pour choper et une fois chopé le bon, je n’avais plus de raison d’y aller. Cela dit, votre question me rappelle de mauvais souvenirs.

À 22 ans, quand j’étais encore inconnue, je me suis fait jeter plein de fois avec mes très belles copines du Baron, une boîte aujourd’hui disparue. Ça me mettait dans un état de rage incroyable. Évidemment, une fois engagée au Grand journal, je rentrais comme je voulais avec un tas de poux autour de moi! (Rires.) Le parfum de la nuit ?

Ça m’est arrivé d’avoir une sorte de coup de foudre pour quelqu’un et de ne pas le revoir. Une fois, j’ai reconnu l’odeur de la personne que j’avais en tête sur un inconnu croisé dans la rue. Je lui ai demandé le nom de son parfum et j’ai couru l’acheter juste pour le sentir… j’avais l’impression que le garçon était là. La nuit la plus dingue ?

Il y a cinq ans, à Cannes, alors que je venais présenter Je suis un soldat de Laurent Larivière. Des potes ne savaient pas où dormir. On s’est écroulés à cinq dans mon lit king size. Généreux de ma part et coquin comme situation, même si on n’a rien fait. Le plus trash la nuit ?

Un soir, je me suis tellement saoulée à la fête de fin de tournage d’une comédie que je suis tombée dans mon escalier et blessée à l’oreille. Puis j’ai vomi dans l’évier et, pire, sur les biberons de mon fils aîné. Vraiment la mère indigne ! (Rires.) Que préférez-vous la nuit ?

La nuit, tous les hommes sont gris. Les mots de la nuit ? « Tu ronfles ! »

(*) Jacques Rigaut, le suicidé magnifique, éd. Gallimard.

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